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Surréalisme


« Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine […] où un esprit d’aventure au-delà de toutes les aventures habite encore certains êtres. » La célèbre phrase d’André Breton dans Nadja scelle une connivence entre Nantes et le surréalisme qui mérite pourtant d’être interrogée.

À l’origine, en 1916, une rencontre entre André Breton, affecté comme infirmier à l’hôpital militaire de Nantes, et Jacques Vaché, soigné pour une blessure reçue sur le front de Champagne. Trois ans auparavant, au lycée de Nantes, Vaché avait appartenu à une petite bande, le groupe des Sârs, dont les provocations et la revue sont apparues depuis comme une préfiguration du mouvement Dada et du surréalisme. Vaché délivre Breton de ses influences littéraires (« Sans lui, j’aurais été peut-être un poète ») ; il le prépare à fomenter la révolution surréaliste, conçue comme « la libération totale de l’esprit » et non comme un simple mouvement artistique et littéraire. Breton regagne rapidement Paris où il revoit Vaché avant la mort de ce dernier, en 1919, d’une surdose d’opium dans un hôtel nantais. Breton imagine la thèse du suicide, une dernière « fourberie drôle », qui renforce le prestige de Vaché au sein du mouvement surréaliste.

Huile sur toile,   <i> Adrienne pêcheuse </i> 

Huile sur toile,   Adrienne pêcheuse  

Date du document : 1919

Les surréalistes nantais

Très tôt, des Nantais sont de l’aventure : Benjamin Péret, né à Rezé, journaliste, poète et militant révolutionnaire ; Jacques Baron, l’auteur de l’An I du surréalisme ; le peintre Pierre Roy, qui prend rapidement ses distances, mais participe à la première exposition collective de peinture surréaliste, montée par Jacques Viot, un autre Nantais, tout comme Camille Bryen, artiste abstrait, mais proche du mouvement dans les années 1930 ; la photographe Claude Cahun, fille de Maurice Schwob, directeur du quotidien nantais Le Phare, nièce de l’écrivain Marcel Schwob…Une telle concentration fera sourire Aragon, écrivant de Pierre Roy qu’il était « né à Nantes, comme tout le monde ». À cette constellation, il faut ajouter des écrivains influencés par le surréalisme, venus d’ailleurs, mais qui ont écrit sur Nantes. C’est le cas d’André Pieyre de Mandiargues, auteur d’une nouvelle Le Passage Pommeraye, ou de Maurice Fourré, qui publie La Nuit du Rose-Hôtel, préfacé par Breton.

Et puis il y a Julien Gracq, proche de Breton, qu’il rencontre pour la première fois à Nantes, en 1939, mais qui répugne à rejoindre les surréalistes, même s’il publie en 1948 un André Breton. Quelques aspects de l’écrivain. Quelques semaines avant la mort de Breton, il reçoit une carte de ce dernier qui se conclut sur ces mots : « Nantes où nous sommes tout à la fois ensemble et séparément. »

Une rencontre fondatrice ; un réseau d’affinités entre une ville et un mouvement : pour autant, le surréalisme n’est pas né à Nantes, mais à Paris. Et Nantes ne s’est découverte surréaliste que tardivement. Élève au lycée Clemenceau, Gracq n’entend parler de Breton qu’à Paris, à l’École normale supérieure.

Une découverte tardive

L’intérêt marqué par Nantes au surréalisme remonte à l’après Mai 68, même si l’on peut en trouver quelques exemples auparavant. La revue Nantes-Réalité consacre en 1970 un dossier au sujet, dont l’introduction est signée de Jacques Baron. Le guide de l’Office de tourisme lui emboîte le pas la même année. Deux ans plus tard, la Maison de la culture organise une Semaine surréaliste. Mais le tournant décisif date de 1985 et du livre de Gracq, La Forme d’une ville, tout entier consacré à Nantes. Le souvenir de Breton, marchant de l’hôpital militaire au parc de Procé en songeant à Rimbaud, est présent dans cette géographie intime ainsi que « le suicide de Jacques Vaché comme un ruban surréaliste à sa boutonnière aujourd’hui cousue ». Gracq attribue à Nantes une « autonomie tranchante », un « air de hardiesse et d’indépendance mal définissable, mais perceptible, qui souffle dans ses rues ». Ce passage fait écho aux lignes de Breton qui voit une ville « où certains regards brûlent pour eux-mêmes de trop de feux », où « la cadence de la vie n’est pas la même qu’ailleurs ».

Ce portrait flatteur sera utilisé par la politique d’image de Nantes, passée à gauche quatre ans plus tard. En 1994, une importante exposition du Musée des beaux-arts, Le rêve d’une ville. Nantes et le surréalisme, accrédite l’idée du rôle central de Nantes dans le mouvement. Dans la préface au catalogue, l’adjoint à la Culture Yannick Guin pose la question : « La rencontre de Nantes et du surréalisme relève-t-elle de la coïncidence, du hasard objectif ou bien d’une détermination subtile ? » Sans trancher vraiment, il exalte « Nantes l’insolite, aux images fulgurantes, [qui] cherche à faire éclater au grand air une vitalité nouvelle » et place dans le sillage surréaliste le festival des Allumées et la troupe Royal de Luxe, tous deux emblématiques du renouveau culturel nantais.

Depuis, le débat se poursuit, avec vivacité parfois. D’un côté, des historiens estiment que l’association entre Nantes et le surréalisme est une construction tardive, qui intervient après la mort du mouvement pour alimenter à peu de frais l’image d’une ville littéraire et frondeuse. De l’autre, des spécialistes de littérature assurent que l’esprit du surréalisme vit encore. Ils l’associent à l’imaginaire portuaire de la ville ou au rôle joué ici par des étudiants situationnistes en mai 1968, tout en se faisant les archivistes pointilleux de la littérature nantaise présurréaliste. Enquête historique contre mythe d’une ville magnétique : la controverse se joue sur des plans différents ; elle ne s’éteindra donc pas de sitôt.

On peut toutefois s’étonner dans ce débat de l’absence d’une pièce non négligeable : l’intérêt porté par Breton à l’imaginaire celtique, renforcé par plusieurs séjours à Brocéliande. Ce goût de la « matière de Bretagne » était partagé par Gracq, et un poète comme Octavio Paz a comparé le surréalisme à « un ordre de chevalerie » dont Breton fut le roi Arthur. Mais on quitte là le rêve d’une ville pour entrer dans un plus vaste songe encore.

Thierry Guidet
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d’auteur réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Barreau Joël, « Nantes et le mouvement surréaliste », dans Croix, Alain (dir), Nantes dans l'histoire de la France, Ouest éd., Nantes, 1991, p. 182-192

Carassou Michel, Jacques Vaché et le groupe de Nantes, J.M. Place, Paris, 1986

Gury Christian, Le poète étranglé : préludes au pré-surréalisme, au "groupe de Nantes" et à la mort de Jacques Vaché, Non Lieu, Paris, 2013

Le rêve d'une ville : Nantes et le surréalisme, catalogue d'exposition, Réunion des musées nationaux, Paris, Musée des beaux-arts de Nantes, Nantes, 1994

« Nantes et le surréalisme : le rêve et les réalités », Place publique Nantes Saint-Nazaire, n°16, juillet-août 2009, p. 4-48

Webographie

Repères chronologiques par la Bibliothèque municipale de Nantes Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Pages liées

Littérature

Passage Pommeraye

Jacques Vaché et Jeanne Derrien

Jean Sarment et le Groupe de Nantes

Jacques Baron

Jacques Viot

Claude Cahun et Suzanne Malherbe

Julien Gracq

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Image de Nantes Littérature Peinture, art graphique Surréalisme

Contributeurs

Rédaction d'article :

Thierry Guidet

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