Port-Maillard
Simple grève d’échouage jusqu’à l’époque moderne, le Port-Maillard est un maillon essentiel du dispositif portuaire nantais. Parallèlement au développement du port maritime, il perd son importance au 18e siècle avant de disparaître complètement dans les comblements des bras nord de la Loire.
Au cœur du dispositif portuaire médiéval
Si l’on en croit Jean-Baptiste Ogée, géographe du 18e siècle et auteur du dictionnaire historique et géographique de la Bretagne, deux ports furent créés au pied du château à la demande du duc Pierre de Dreux dit Mauclerc (1213 à 1237). Le port Pierre-de-France aménagé dans une anse proche de la tour de Sainte-Radegonde (entrée actuelle de l’édifice), disparaît dans l’agrandissement du château en 1490 ; le port Briand-Maillard situé en front de Loire, sur une grève étroite entre le château et le pont de la Poissonnerie, se maintient jusqu’au 20e siècle.
Ce port est en réalité une grève d’échouage où les « aménagements » semblent bien légers. Profond d’environ 30 toises (58 mètres environ), il est séparé de la porte de ville par une boire ; un pont couvert d’ardoise mène donc à la poterne d’entrée dans la ville. Au début du 16e siècle, les échevins décident de combler la boire et d’établir une chaussée continue entre la ville et le port.
Autour de cette chaussée, l’espace est divisé en deux zones. La zone aval – qui sera nommée port Lorido ou port de la « Pouterne » au 16e siècle – est proche de la porte de la Poissonnerie. Elle est dédiée au halage des bateaux qui ne peut plus être effectué à partir du faubourg de la Fosse à cause de la muraille de la ville : celle-ci plonge directement dans le fleuve et le chemin de halage est interrompu. L’interruption du chemin de halage s’accompagne de la difficulté – voire de l’impossibilité – de passer les ponts à contre-courant puisque les pêcheries empêchent d’utiliser des rames. Il n’est donc plus possible pour des barges lourdement chargées de remonter le courant jusqu’au port. Pour haler les bateaux, la Ville met en place un treuil dont la forme n’est pas connue. Décrit comme un « tour en bois », ce treuil est peut-être de type « cage à écureuil » - une machine qui permet à quatre hommes de tirer des charges d’environ 2,2 tonnes – ou de type cabestan à tambour vertical. Cette machine est protégée par un pavillon carré vraisemblablement construit en pierre. Cet engin permet « monter les grands bateaux par la grande voye du pont qui est proche les tours de la Poissonnerye de ladite ville ». La présence de ce dispositif incite à penser que cette zone du port Maillard avait reçu un aménagement maçonné dans les premiers siècles du Moyen Âge : pour fonctionner le treuil avait besoin d’être amarré solidement. C’est également à cet emplacement que sont établis les bureaux de la « recepte […] sur les marchandises qui se voiturent par ladite rivière » : les bateaux remontés payaient les taxes dues dès leur arrivée au port.
Schéma de treuil
Date du document : 1575
La physionomie de la zone amont n’est en revanche pas connue et il est vraisemblable qu’elle soit restée à l’état de grève naturelle propice à l’échouage des barges à fond plat. Par ailleurs, il est certain que le port Maillard médiéval n’est protégé par aucun quai et reste donc soumis aux inondations. Néanmoins, des « estaples », entrepôts où l’on déposait les marchandises destinées à être vendues, y sont construites. Il s’agit sans doute de structures légères en charpente qui doivent être amarrées lors des crues comme en 1496 lorsque la ville embaucha Jamet Bérault, « sa gabare et seix hommes », « pour deffandre le rateau d'Erdre que lesdites eaux le rompoint et amarer les estapes du port Brient-Maillart ».
En 1554, les utilisateurs du Port-Maillard réclament un quai. La Ville demande donc à Roger Varier de fournir un « devis et portrait d'un cail », étude pour lequel il perçoit quatre écus. Mais le coût du projet ne permet pas de lancer ces travaux.
20 ans plus tard, la physionomie du port n’a pas évolué et les difficultés restent importantes. Entre 1575 et 1579, les échevins relancent le projet de construction d’un quai et demandent à la « communauté des utilisateurs de la Loire » son concours pour « afin d'établir au port Maillard, près du château, un quai dont le manque est de la plus grande incommodité ». Les deux refus successifs émis par la « communauté » repoussent les travaux qui ne seront entrepris qu’en 1582.
La construction de ce quai transforme la grève d’échouage originelle et permet d‘agrandir le port. Quelques années plus tard, en 1595, des travaux sont également menés sur la zone aval, désignée sous le vocable de port Lorido ou port de la Poterne, qui est si étroite que « à peine peult l'on descharger à la foiz troys vaisseaulx ensemble ». A cette époque le trafic fluvial commence à s’amplifier et, lorsque le temps est pluvieux, l’attente pour décharger les marchandises est si longue que celles-ci « se gastent et dépérissent ». En outre, l’insuffisance de ce dispositif contraint les mariniers à allonger leur séjour à Nantes pour attendre leur tour. Le quai qui consiste en une cale à double escalier et tablier central pavé de 23 mètres de long sur 2,80 mètres de large, est donc agrandi. Construit sur un radier de bois le nouvel aménagement mesure 61 mètres de long sur cinq mètres de large. Sa plateforme est accessible par un escalier perpendiculaire au fleuve à l’ouest, ainsi que par un quai bas et un escalier parallèle au fleuve au centre. Elle se termine à l’est par un emmarchement courbe qui plonge dans le fleuve et se rétrécit jusqu’à 3,80 mètres.
Plan d'agrandissement du quai de la Poterne
Date du document : 1595
Le port fluvial face au port maritime
Moins d’un demi-siècle après ces travaux, en 1643, le quai du Port-Maillard sur lequel se débarquent « plusieurs marchandises, comme vins, bois, chau, tufleaux et autres matériaux, propres à faire édifices » est à nouveau en mauvais état. La « machine est demeurée inutille » car le lieu où elle est « posée » n'est plus accessible, à cause « des fumiers, boues et autres immondices de notre ville » qui sont déposés sur le quai. En outre, le port est raviné par le fleuve et son quai « est à présent tout remply d'eau dont la rapidité ruine les fondementz desdites murailles, pourist et emporte les pillotis » en sorte que pour en éviter la ruine il est nécessaire de rebâtir les quais de la zone amont et de la zone aval. Des réparations sont lancées en 1670 ; elles sont suivies d’un nettoyage de la rivière pour « que les batteaux soient à flot pendant les hautes et basses marées dans toute l'étendue d'icelluy ». Malgré tout en 1699, « […] le Port-Maillard, joignant le chasteau, un des plus beaux et commodes de cette ville, de tout temps immémorial destiné pour la charge et descharge des marchandises qui sortent de cette ville et qui arrivent, se trouve occuppé et rempli de terres, terriers, manis et fumiers, qui infectent ce lieu et causent une telle corruption qu'il peut en arriver de fascheux accidents et des malladies très dangereuses, outre que les habitants de la ville et faubourgs n'y peuvent librement passer ny mettre les marchandises d'ardoises, tuffeaux, carreaux, chaux et bois ». A cette date, le Port-Lorido « est tout desmolly, en la plus grande partie ».
A cette époque, le port fluvial perd sa suprématie dans le dispositif portuaire de Nantes : le commerce maritime se développe de plus en plus et le quai de la Fosse, agrandi en 1632, semble offrir plus de commodités aux navigateurs et aux négociants dont celle de ne pas devoir passer le pont. Le déclin de l’utilisation du Port-Maillard explique vraisemblablement la décrépitude dans laquelle il se trouve à partir du milieu du 17e siècle et à la difficulté que la Ville rencontre pour mobiliser les subsides nécessaires à sa reconstruction. Les réparations s’apparentent plus à des rustines posées sur un édifice en perdition.
Un quai de centre-ville
En 1720, un nouveau quai est entrepris « à l'endroit de l'ancien Port-Lorido ». Comme la plupart des quais de la ville, c’est un quai à mur droit ponctué de cale en tablier, double ou simple, qui permettent de débarquer les marchandises par le biais d’escaliers. A la demande de l’intendant de Bretagne, il est dénommé quai Mellier, en l’honneur du maire de Nantes.
A ses côtés, le Port-Maillard conserve deux zones de quai bas séparé par une grève. Il est toujours utilisé pour le déchargement du bois de chauffage, du tuffeau et de la chaux grâce à des cales en tablier parallèles au fleuve. Il est organisé par quelques particuliers qui en occupent toute la surface pour entreposer les fagots de bois, et autres matériaux de constructions qu’ils vendent dans des magasins plus ou moins cossu. Le sieur Forestier demande à y placer des moulins à bras pour faire de la farine ainsi qu’un chantier de taille de pierre et de charpente. Une zone nommée « petit port », zone refaite à neuf en même temps que le quai Lorido est dévolu au déchirage des sapines pour faire du bois de chauffage.
Plan de construction du port Maillard établi à la requête du sieur Forestier
Date du document : 18e siècle
Au milieu du 18e siècle, ce quai est prolongé jusqu’au château mais ne se continue pas plus loin, stoppé par la valeur défensive de l’édifice qui nécessite des aménagements contraires aux besoins du port. Ce n’est qu’en 1785 que les pilotis du futur quai sont plantés devant le château. En 1790, le profil définitif du quai est arrêté : une cale en abreuvoir s’évase jusqu’au fleuve.
Profil du quai à construire au devant du château
Date du document : 1790
Ce nouveau quai devient l’un des lieux privilégiés pour le lavage et le séchage du linge : à l’exception de quelques marchandises de construction dédiées à la ville et de quelques produits de la pêche, le port Maillard n’est plus un lieu d’échanges portuaires dès le début du 19e siècle.
  La Loire au pied du château  
Date du document : fin du 19e siècle
Si le quai du Port-Maillard a perdu son rôle dans le dispositif portuaire de Nantes, il participe en revanche à l’ouverture de la ville sur le fleuve grâce au front urbain qui s’y bâtit durant la première moitié du 19e siècle. Il permet également la mise en place des rails de chemin de fer et de tramway dans la seconde moitié du 19e siècle, acheminant au cœur de la ville le progrès du transport mécanique.
Doublement de la voie de chemin de fer
Date du document : 23-02-1919
Comme tous les quais du centre-ville, il disparaîtra dans les années 1930 lors des comblements des bras nord de la Loire
Par sa longue histoire, le Port-Maillard est un lieu emblématique du port de Nantes. Il fut pendant quatre cents ans au cœur du dispositif portuaire nantais lorsque celui-ci était dominé par le trafic fluvial. Puis, il déclina dans un mouvement inverse à l’expansion du port maritime et de l’anse du quai de la Fosse. Lorsqu’il fut enseveli dans les sables des comblements, le Port-Maillard avait depuis longtemps cesser d’être un port.
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Aménagements portuaires au Moyen Âge et au 16e siècle (2/7)
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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