École des Batignolles
En 1920, l’usine des Batignolles, qui vient de s’installer à Nantes, a commencé à tourner. Elle embauche des ouvriers qui arrivent de toute la France, de toute l’Europe. En octobre 1920, 250 maisonnettes en bois sont déjà habitées par le personnel dans les trois nouvelles cités : la Halvêque, la Baratte, le Ranzay. « Il y a là, écrit l’inspecteur primaire, un effectif, non encore dénombré, mais approximatif, de 200 enfants d’âge scolaire. » C’est une histoire assez curieuse, que celle de l’école des Batignolles, la vieille école, celle de l’usine.
Une école, publique ou privée ?
Le nouveau quartier des Batignolles ne peut se passer d’une école : « La cité ouvrière la Halvêque est à 2 km environ des écoles de la Collinière [boulevard des Poilus], à 4 km de celle de Saint Joseph, quartiers où se trouvent à la fois des écoles publiques et privées. Les familles n’acceptent pas d’envoyer leurs enfants aussi loin, et d’autre part l’agglomération de la Halvêque justifie amplement la création d’écoles de quartier ou de secteur. »
Le maire, Paul Bellamy, et l’inspecteur, aimeraient bien accueillir les nouveaux élèves dans une école publique et laïque. Mais la Ville de Nantes ne serait pas fâchée de faire quelques économies : on sort à peine de la guerre, et quelle guerre ! De son côté, la Société Batignolles–Châtillon préférerait sans doute une école privée, mais il lui faudrait alors payer elle-même les enseignants. Entre gens de bonne volonté, on va rapidement trouver un compromis : l’usine mettra les locaux gratuitement à la disposition de l’Instruction Publique, se chargera du matériel, de l’entretien et des fournitures scolaires ; l’État payera le salaire des instituteurs ; la Ville réglera les indemnités de résidence des maîtres (censées couvrir le prix de leur loyer), car ceux-ci pourront être logés dans les cités.
Une ferme transformée en école
La Société, qui avait d’abord songé à édifier des classes « Bessonneau » sur le terrain qui recevra bientôt l’église en bois, a fait aménager les bâtiments de la ferme du domaine de la Halvêque ; l’emplacement est aujourd’hui occupé par la bibliothèque. La dite ferme semble être de construction relativement récente : les bâtiments sont disposés en « U », les encadrements des ouvertures sont ornés de briques comme cela se faisait à la fin du 19e siècle. « Le bâtiment transformé en école est construit en maçonnerie et couvert en ardoises. Le sol intérieur est constitué par un parquet en chêne posé sur lambourdes. Les murs intérieurs sont enduits en plâtre, recouverts d’une peinture à la colle. […] Chaque école comporte une cour séparée avec préau couvert de 20 mètres sur 6 mètres et un WC à 4 compartiments. Un compartiment spécial, destiné aux maîtres, est en outre réservé dans l’un des édicules. Les classes et les cours sont éclairées à l’électricité. Le groupe est alimenté en eau de la Ville de Nantes par 2 bornes-fontaines ; de plus, un lavabo est aménagé dans chaque préau ».
Ecole de la cité des Batignolles
Date du document : début du 20e siècle
Des exigences… exagérées
Mais, prévient l’inspecteur primaire, les Batignolles ont présenté des exigences. L’école ne recevra que les enfants du personnel de l’usine ; la condition est acceptable, il suffira de répondre aux candidats extérieurs qu’il n’y a plus de place, avec cependant une tolérance pour les quelques maisons voisines. Et, surtout : « La société, pour sauvegarder ses intérêts matériels et moraux, est décidée à ne pas tolérer chez elle de fonctionnaires qui pourraient à un moment donné prendre une attitude hostile ou agressive ou amener des troubles dans un milieu impressionnable comme l’est un groupement ouvrier. Elle exigerait (Collection particulière Louis Le Bail) que les nominations du personnel ne fussent en aucun cas faites sans l’agrément du Directeur des Batignolles. » Cela, par contre, n’est pas du tout légal : dans l’enseignement public, l’inspecteur d’Académie propose, et le préfet dispose en nommant les instituteurs.
En décembre 1920, lorsqu’on va signer la convention, le directeur des Batignolles insiste : « Vous avez bien voulu nous dire que vous ne voyiez aucun inconvénient à soumettre à notre agrément, avant leur nomination, les maîtres et maîtresses chargés de l’enseignement à notre École. Nous vous serions reconnaissants de nous donner à leur sujet tous les renseignements pouvant présenter un intérêt pour nous, afin que nous vous donnions notre consentement en pleine connaissance de cause. De plus, si nous reconnaissions que bien qu’ayant agi en plein accord avec vous à ce sujet, les maîtres et maîtresses ainsi nommés ne correspondaient pas à ce que nous attendions d’eux, vous avez bien voulu nous dire que vous les remplaceriez sur notre demande après accord avec nous. » Ho là ! note l’inspecteur d’académie en marge, au crayon, en face de ce paragraphe, ce sont des choses qui se disent, mais qui ne s’écrivent surtout pas ! « Convention tacite non écrite puisqu’elle aurait diminué la prérogative préfectorale […], le remplacement comportant un déplacement d’office ne pouvant être prévu sous forme aussi rapide, mais le remplacement serait possible toutes les fois qu’on pourrait faire une permutation dans Nantes. »
L’école – les deux écoles, une pour les garçons, une pour les filles - ouvre le lundi 7 février 1921, avec 24 garçons et 27 filles de 3 à 7 ans, et 38 garçons et 54 filles de 7 à 12 ans. Amans Guindré et son épouse, de Châteaubriant, sont les premiers directeurs, M. et Mme Loirat, les adjoints, et Mme Veuve Bouyer prend la classe maternelle.
Ecole de la cité des Batignolles
Date du document : 1931
En novembre 1921, 45 et 67 enfants s’entassent dans les deux classes « garçons », 20 autres ont dû être casés dans la classe enfantine de l’école de filles. Chez les filles, les effectifs des deux classes primaires sont à peine plus légers : 36 et 60 ; la classe enfantine, elle, « accueille » 118 petits ! « Je n’ose envisager sans une certaine appréhension le moment où la classe enfantine devrait recevoir les enfants dès l’âge de 2 ans (décret du 15 juillet 1921) », s’inquiète l’inspecteur. Il y a peu d’absences : « La proximité de l’école au centre de la cité, le souci d’instruction des meilleurs ouvriers (la Société choisit évidemment ceux auxquels elle offre le bénéfice du logement sain et presque luxueux à bon marché), l’absence de toute cause et presque de toute occasion de vagabondage dans un quartier presque rural malgré ses occupations industrielles, expliquent ce fait. » Dès la rentrée d’octobre 1922, une troisième classe « garçons » et une quatrième classe « filles » sont ouvertes, en échange de suppressions… à Nîmes et à Beaucaire. Il faut construire de nouveaux locaux.
Ecole de la cité des Batignolles
Date du document : 1931
Les nominations se succèdent, généralement approuvées par la direction de l’usine. Parfois, les candidats prennent leurs précautions : M. et Mme Luce se sont fait recommander par un ingénieur d’Indret, aux enfants duquel ils donnaient des cours particuliers. Bientôt cependant, cette exigence des Batignolles va susciter quelques remous : « L’administration des Batignolles écrit au curé de la commune dont vient l’instituteur pour être renseigné. Les instituteurs ont déjà exprimé leur déplaisir d’être ainsi appréciés par le curé. Mais comme la chose leur paraît anodine, il n’y a pas eu, à ma connaissance, de protestation officielle. » On est alors en pleine guerre scolaire, l’école publique est encore « l’école du diable » ; cette réaction des instituteurs paraît bien conciliante ! L’inspecteur primaire lui-même s’insurge : « L’obligation de soumettre vos décisions à l’agrément d’une société dont, en somme, nous faisons les affaires (environ 120 à 140 000 F de traitements qu’elle devrait payer, un personnel enseignant recruté sans peine et plaisant au personnel ouvrier) me paraît excessive. Il suffit, à mon avis, que l’administration évite soigneusement de mettre aux Batignolles des maîtres faisant de la politique avec les ouvriers. La question pourra être reprise – avec entière liberté pour nous – dès que j’aurai pu faire construire le groupe scolaire que j’ai demandé route de Paris. Je l’ai demandé parce que les écoles des Batignolles devenaient trop petites, que le quartier s’agrandit rapidement. » Il faudra attendre l’après-guerre pour que ce projet se réalise.
Une véritable école publique
Les mœurs patronales ont changé, 1936 est passé par là. À la Libération, les travailleurs, avec les comités d’entreprise, prennent leurs œuvres sociales en main. Les Batignolles souhaitent se débarrasser de l’école, qui, d’ailleurs, accueille de plus en plus d’enfants étrangers au personnel de l’usine : 610 élèves, 11 classes de garçons, 8 classes de filles. En 1951, la Ville a refusé la proposition de l’usine qui voulait lui vendre l’école : « L’établissement dont il s’agit ne répond nullement aux conditions exigées par le Ministère de l’Éducation Nationale, pour l’aménagement des écoles publiques, les cours sont trop exiguës, et leur extension est rendue impossible par l’existence, aux abords immédiats, de nombreux baraquements habités. »
Ecole de la cité des Batignolles
Date du document : 1970
En avril 1951, elle a acheté aux Établissements Brandt voisins, pour 3 500 000 F, une parcelle de l’ancien domaine de la Halvêque. Elle projette d’y construire un groupe scolaire moderne : 12 classes garçons, 12 classes filles, une école maternelle de 4 classes, un « ensemble de services centraux » : cantine, service médical, direction, conciergerie. Le nouveau groupe ouvre ses portes en 1956.
Ecole de la cité des Batignolles
Date du document : 30-10-2014
Les bâtiments de la vieille école seront utilisés par le centre d’apprentissage de l’usine avant d’être détruits.
Louis Le Bail
2018
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Documentation
Exposition sur l'histoire des Batignolles par l'association Batignolles-Retrouvailles
Pages liées
Dossier : Architecture et histoire des écoles publiques nantaises
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Rédaction d'article :
Louis Le Bail
Anecdote :
Louis Le Bail
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