Îles et atterrissements (1/2)
À la suite de l’élévation du niveau de la mer durant la dernière transgression marine (vers 5 000 avant JC.), plusieurs affleurements rocheux présents dans la plaine alluviale de la Loire donnent naissance à des îlots. À l’échelle de la métropole, l’îlot de la Saulzaie à Nantes, Trentemoult à Rezé, Port-Lavigne à Bouguenais, les îles de Haute-Indre et Basse-Indre comptent parmi les plus anciens espaces insulaires de l’estuaire de la Loire.
Carte des îles de Nantes au 18e siècle
Date du document : 02/2021
Au fil des siècles, les sédiments et les sables charriés dans l’estuaire par l’action conjointe de la mer et du fleuve s’agglomèrent aux îlots rocheux. De nouvelles îles apparaissent également sous l’effet de l'accumulation des dépôts alluvionnaires s’accrochant à un obstacle comme une épave ou un amas de végétaux.
Ces vastes étendues alluvionnaires forment au fil du temps des grèves de sable et de vase couramment appelées « atterrissements ». Leur stabilisation dans le lit du fleuve est favorisée par la colonisation d’une végétation caractéristique des zones humides et résistante aux phases de submersion comme le jonc.
Plan des atterrissements situés entre la Prairie-au-Duc et l'île Cochard
Date du document : 1781
Au Moyen Âge, le duc de Bretagne est propriétaire de tout îlot formé par les alluvions dans le lit du fleuve mais les seigneurs locaux se les approprient régulièrement. Le plus souvent mis en fermage, ces terres émergentes insulaires constituent donc une source de revenus pour le duc qui va encourager ses fermiers à fixer ces îles et îlots au dessin incertain.
Dans un premier temps, la fixation des berges se fait par des plantations d’osier aussi appelées luces ou lusses servant à retenir les limons, puis, quand les accumulations sableuses sont stabilisées, par des plantations de saules pour renforcer les rives.
Ainsi, chaque phase de consolidation des rives favorise l’apparition de nouveaux atterrissements. Qu’elles soient situées dans le lit mineur du fleuve comme l’île la prairie de Mauves – appelée la Hanne au Moyen Âge – ou l’île des Chevaliers, toutes deux situées dans le lit mineur du fleuve, ou dans le lit profond comme la Prairie-au-Duc, certaines de ces îles forment en quelques siècles des territoires couvrant plusieurs hectares. La formation de ces vastes terres insulaires potentiellement cultivables pose inévitablement la question de leur propriété et des revenus qu’elles génèrent. Il s’agit donc pour le Domaine de procéder à l’expertise des îles disséminées dans le lit de la Loire à des fins d’imposition.
Croquis figuratif de l'île Ripoche
Date du document : 1814
Délimitation et arpentage : cartographier les îles de la rivière de Loire
Le 17e siècle est marqué par plusieurs campagnes d’arpentage des îles de Loire qui illustrent une stratégie initiée dès le 15e siècle d’incorporation des cours d’eau navigables, et notamment des éléments situés dans leur lit comme les îles, au sein du domaine royal. La gestion progressive des terres de Loire s’inscrit dans une volonté d’accroître sensiblement les revenus du Domaine par un système de récupération de taxes. Cette démarche intéressée sur les fleuves et rivières navigables du royaume de France repose autant sur un repérage efficace in-situ des grèves, atterrissements et îles à valoriser, que sur un recensement des anciens droits féodaux s’exerçant sur ces territoires insulaires, le tout consigné dans des procès-verbaux. Ainsi, des commissaires réformateurs accompagnés de géomètres et d’arpenteurs se livrent à des mesures et triangulations pour fixer les limites du rivage et des îles de la Loire.
Pourtant, il faut attendre le milieu du 17e siècle pour que les premières représentations cartographiques du chapelet d’îles compris entre les deux rives nantaises de la Loire accompagnent ces procès-verbaux d’arpentage de la Loire. C’est le cas d’Ambroise Grion, un arpenteur-juré originaire de Champagne, qui dresse en 1665 une représentation graphique des îles et îlots depuis Ingrandes jusqu’à Paimboeuf, soit depuis l’océan jusqu’à la limite en les provinces de Bretagne et de l’Anjou. Il y représente une cinquantaine d’îles entre Mauves et le Pellerin, dont quatre soutenant la ligne des ponts de Nantes. Pour chaque île, Grion mentionne la végétation présente qui a permis de fixer et accroître les grèves (osier et saule en grande majorité), sans omettre le type de culture pratiquée lorsque ces espaces ont déjà été valorisés (blé, orge, lin, etc.).
Détail de la carte d’arpentage des îles et îlots de la Loire
Date du document : 1665
Malgré leur étendue importante (certaines îles nantaises dépassent les 100 journaux de superficie au milieu du 17e siècle comme « la prée au Duc »), elles ne forment pas une masse compacte. Il s’agit plutôt d’un ensemble composé de « massereaux » – terme médiéval nantais équivalent aux « broteaux » du Rhône - séparées par des boires, bras d’eau secondaires plus ou moins larges et puissants, qui les isolent les unes des autres.
Mais cette vision cartographique offre une image figée d’un territoire caractérisé par sa grande mobilité. Chaque île est un espace en constant mouvement à la faveur de l’accroissement des bancs de sable ou de la constitution de nouveaux amas dans le lit du fleuve. Aussi, les procès-verbaux d’arpentage traduisent cette réalité géographique complexe comme en 1684 où Pierre de Savary, seigneur de Saint-Just et Grand maître des Eaux et Forêts de la province de Bretagne indique qu’ayant « traversé l’île de Redressail du côté de Basse-Goulaine [...], le sieur Gaultier nous a fait observer au milieu du cours d’eau qui passe entre la terre ferme et la dite isle, un amas de sable qui commence à se former vis-à-vis de ladite maison, lequel peut contenir environ deux journaux, lesquels ne sont pas plantés et ne sont d’aucun revenu », ou que plus en aval « entre la prée de Mauves et l’île de la Guesse un amas de sable s’est formé depuis trois ou quatre ans, lequel est prêt à se joindre à l’île des Plombs ».
En 1766, l’abbé Expilly dénombre 132 îles entre Ingrandes et Nantes, et plus de soixante à l’aval de Nantes « tant grandes que petites ».
Des îles habitées et exploitées
Dès le Haut Moyen Âge, l’isolement des îles de Loire semble adapté à l’établissement de communautés monastiques. C’est sur le pointement rocheux formant l’île de Basse-Indre, que le moine Hermeland fonde, au 7e siècle, un monastère à la demande de l'évêque de Nantes, saint Pasquier. Ce site accessible en bateau offre un cadre propice à la méditation et la sécurité de la communauté. De plus, les pentes de la butte rocheuse permettaient une production viticole. À Nantes, les prairies formant la future île de la Madeleine sont choisies en 1119 par le duc Conan III pour y installer un prieuré en faveur de l’abbaye de Toussaint d’Angers. Lieux de prière, les îles de Loire sont aussi des lieux de plaisance à l’image de l'île d’Indret. Comprise dans le domaine ducal depuis le Moyen Âge, le duc Jean V y fait construire durant la première moitié du 15e siècle une résidence ducale, probablement un manoir destiné à une occupation saisonnière.
Plus largement, les prairies submersibles formant la plupart des îles de Loire, deviennent des pâturages sur lesquels des communautés de propriétaires ou de locataires font des fenaisons et des transhumances estivales, transportant chevaux et vaches par bateaux ou par la ligne de ponts installées depuis le 11e siècle entre la rive nord et la rive sud de la Loire. Des habitats saisonniers y sont peut-être implantés dès le Moyen Âge et quelques-uns se pérennisent au 18e siècle avec la construction de bâtiments sur les îles Lemaire, Cochard ou sur la prairie d’Amont ; mais, dans leur grande majorité les fermiers demeurent dans les bourgs et villages limitrophes. C’est le cas de nombreux habitants de Saint-Jean-de-Boiseau qui pratiquent sur les îles vis-à-vis des villages de Boiseau et de la Télindière en rive gauche, l’élevage à grande échelle ainsi que la culture du foin et du roseau.
Le colmatage des rives et la navigation
Si les atterrissements forment des îles, ils modifient également les rives du fleuve par colmatage des limons et sables. Ce colmatage est accéléré par les propriétaires riverains qui y plantent osiers et saules afin de provoquer la formation et l’exhaussement des alluvions susceptibles d’être mis en culture à l’insu des agents du domaine. Ces pratiques donnent lieu à des procès lors des campagnes de débornement du domaine royal, rappelant à tous que la propriété des eaux « tirées » du fleuve revient au roi. Le colmatage des rives se poursuit jusqu’au début du 20e siècle lorsque l’administration des Ponts et Chaussées rachète l’île Pivin et colmate la rive jusqu’à l’île de Cheviré avec les produits de dragage du fleuve.
Projet des atterrissements de la Loire de Magin à l'abbé de Pontual
Date du document : 1768
Au-delà des questions de propriété, les atterrissements modifient quotidiennement le paysage fluvial, resserrant le lit du fleuve, transformant les berges au gré des phases de colmatage. Il en résulte une certaine mobilité des îles et des rives qui induit une instabilité hydrodynamique du fleuve : le chenal de navigation est mouvant et d’une profondeur variable, ce qui accroît la dangerosité de la navigation. Pour pallier aux dangers, des balisages sont effectués sur les îles et les rives : au 17e siècle, les carmélites des Couëts de Rezé doivent baliser le chenal du fleuve entre l’île Botie et celle de Trentemoult ; en 1805, des arbres sont plantés sur les îles de Loire entre Nantes et Paimboeuf pour baliser cette partie du fleuve et indiquer aux marins la direction du chenal. Ces îles sont donc tout autant une source de revenus que des obstacles nuisibles à la navigation.
Suite Îles et atterrissements (2/2)
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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