Prairie puis quartier de la Madeleine (1/2)
L’histoire du peuplement et de l’urbanisation du quartier de la Madeleine est l’une des plus emblématique des anciennes îles de la Loire. Prairie humide, cette île n’a pu être habitée qu’au moyen de travaux titanesques de remblaiement et de confortation des rives sous l’impulsion conjointe des habitants, de l’administration des Ponts et Chaussées et de la commune.
Carte Ile de la Madeleine au 18e siècle
Date du document : 02/2021
La première mention de la prairie de la Madeleine apparaît lors de la fondation par le comte Conan III d’un prieuré au sud de l’île, le long de la chaussée, en 1119. Cet établissement donné à l’abbaye de Toussaint d’Angers accueille alors une petite congrégation de chanoines réguliers qui vivent vraisemblablement sur le seul terrain un peu remblayé de cette étendue complètement submersible. Le prieuré de la Madeleine restera l’unique construction bâtie de cette île pendant plusieurs siècles.
Une prairie agricole
Comme sa voisine l’île Gloriette, la prairie de la Madeleine est durant le Moyen Age un ensemble composé de bancs de sables submersibles utilisé comme prairie. Mais, c’est sur son flanc occidental qu’est construit, peut-être dès le 10e siècle, la plus longue des chaussées composant la ligne des ponts.
La chaussée de la Madeleine est bâtie dans le large étier qui sépare la prairie de l’île Gloriette. Mesurant presque 500 mètres de long, cette chaussée est une route surélevée qui permet de traverser l’étier à pied sec ; mais, contrairement à la plupart des chaussées, la route n’est pas établie sur un talus de terre mais sur des piliers en bois ou en pierre, à la manière d’un pont. Signe de son importance crucial pour les communications entre la rive droite et la rive sud de la Loire, au 16e siècle, la chaussée est le premier ouvrage de la ligne des ponts à être reconstruit sur des arches de pierre. Au sud, la chaussée débouche sur le prieuré de la Madeleine. Entre les deux, la chaussée n’est pas talutée et aucun habitat ne semble s’y être réellement développé, à l’exception d’une maison cossue qui voisine le prieuré au 17e siècle.
Carte des prairies de Gloriette et Madeleine
Date du document : 1723
Le plan d’une partie des ponts de Nantes levé en 1712 semble attester des changements en œuvre au début du 18e siècle. Les arches de la chaussée ont été murées et ne peuvent plus laisser passer l’eau. Des projets d’occupation de la prairie commencent également à poindre. Sous l’impulsion de la construction de l’Hôtel-Dieu sur l’île Gloriette, un petit quartier se développe le long de la rive nord de la Madeleine à la fin du 17e siècle ou au début du 18e siècle.
Puis, en 1711, un projet défensif est étudié : l’installation d’une guérite de gardes face à la fausse porte du château est envisagée pour profiter de la vue imprenable qu’offre la prairie sur la ville.
Projet d'établissement d'un poste de garde face au Château des Ducs de Bretagne
Date du document : 1711
La Ville maintient le caractère agricole de l’île en installant en 1745 une ferme au fumier sur la rive sud, à l’arrière du prieuré, accessible par la chaussée et le pont de la Madeleine. Cette institution communale, située en contrebas d’un chemin perpendiculaire à la chaussée des ponts, comprend plusieurs enclos à fumier, une maison d’habitation et quelques bâtiments vernaculaires. Elle est séparée de la Loire par une digue en terre soutenue par des palplanches et séparée de la prairie de la Madeleine par un mur. La route empruntée par des dizaines de charrettes quotidiennes est empierrée et permet un déchargement des déjections animales et humaines dans de grands bacs à fumier. Entretenue par des entrepreneurs de la répurgation, cette ferme à fumier est mise en fermage par la Ville.
Parc au fumier Chaussée de la Madeleine
Date du document : 1793
En 1755, le sieur Vigné de Vigny, très célèbre architecte du roi consulté par l’Intendant de Bretagne, propose pour la première fois d’aménager entièrement l’île. Cette proposition rencontre l’opposition du bureau de la Ville qui considère que la prairie de la Madeleine, fait partie du lit naturel de la Loire et que son aménagement entraînera des inondations. En revanche, sa proposition visant à créer une promenade en vis-à-vis du château est approuvée.
Plan du projet par M. Perronnet, premier ingénieurs des ponts et chaussées
Date du document : 07-1778
Si les projets urbains peinent à se mettre en marche, le monde industriel découvre plus rapidement l’intérêt de ces vastes terrains vierges à quelques encablures du centre-ville. Au milieu du 18e siècle, la maison rouge, grosse fabrique d’ocre s’installe tout d’abord le long de la rive nord puis sur la pointe orientale de la prairie puis, se déplace au musoir oriental de l’île dans la seconde moitié du 18e siècle. Baignée par la Loire, la Madeleine se révèle être un emplacement très favorable pour recevoir la matière première qui transite par voie d’eau depuis les mines de Saint-Georges-les-Prées, dont la renommée dépasse les frontières nationales. Les bâtiments industriels d’environ 650 mètres carrés s’organisent autour de deux cours d’environ 4000 mètres carrés tandis que la maison d’habitation du propriétaire mesure 380 mètres carrés. Dans cet espace vierge, la présence de la fabrique marque durablement la toponymie de l’île : la rue de « Maison Rouge » existe encore aujourd’hui, le long de l’ancien quai nord.
Le début de l’urbanisation à partir de la chaussée
Vers 1760, les propriétaires de la prairie font valoir l’intérêt de leurs terrains pour l’urbanisation de Nantes : « les propriétaires de la prée de la Madeleine, près les ponts, représentent très humblement à Messieurs les maire et échevins de la ville et communauté de Nantes, que cette ville est trop petite pour contenir ses habitants, qui se multiplient tous les jours, et les étrangers que son grand commerce y attire, ainsy il devient nécessaire d'assigner un endroit pour bâtir des maisons. Le plus convenable qui se présente, pour ne pas dire le seul, est la prairie de la Madeleine, surtout la partie qui se trouve entre le chemin qui traverse la prairie pour aller aux Olivettes, et les ponts de la Madeleine. Déjà̀ les ponts sont presque tous garnis de maisons, et ils ne tarderont pas à l'estre, ces maisons sont affermées d'avance sur des plans et devis, ce qui marque bien le besoin pressant d'habitations […] ».
Les terrains situés le long de la chaussée sont peu à peu remblayés par les particuliers désirant bâtir leur maison. A la fin du 18e siècle, les arches de la chaussée ont disparu, ensevelies sous des monceaux de sable et de terre. L’habitat commence à s’organiser en un front urbain percé de sentes qui mènent aux espaces vierges et agricoles de l’île. En arrière de ce front, la future rue des Olivettes se constitue et en 1789, les habitants demandent à la remblayer afin de mettre leurs maisons hors d’eau. En 1794, un premier îlot encore très agricole dans sa forme apparaît dans la continuité de la ferme au fumier, et un alignement de maison ouvrant sur la promenade mise en place au nord de l’île existe peut-être.
Plan de la Madeleine
Date du document : 1794
Preuve qu’en cette fin de siècle, l’île commence à intéresser les industriels, François Julien Dubigeon qui demeure sur le pont de la Madeleine, y possède un terrain servant de chantier de construction navale. Il y a construit un pavillon composé de deux chambres donnant sur la chaussée de la Madeleine.
Au début du 19e siècle, les nouveaux habitants de l’île commencent à signaler les désagréments qu’ils endurent à cause des inondations récurrentes. En 1811, la Ville accepte de remblayer la rue menant à la ferme au fumier – actuelle rue Marmontel – qui se couvre d’au-moins un demi-mètre d’eau à la moindre crue. Par manque de remblais, l’urbanisation est lente : vingt plus tard, la rue Baron située trois mètres plus bas que celle des Olivettes, est toujours un cloaque submergé par les eaux, un repaire de vagabonds bordé par des prés.
Plan de la Madeleine
Date du document : 1836
Prévoyants, la plupart des nouveaux propriétaires ont élevé le sol de leurs édifices au-dessus des inondations et pratiqués divers perrons et rampes. Ceux-ci disparaîtront dans les multiples remblaiements opérés : les anciens rez-de-chaussée sont aujourd’hui des caves et les étages sont devenus des rez-de-chaussée.
Suite Prairie puis quartier de la Madeleine (2/2)
Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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