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Anciens bains-douches Jules-Bréchoir Chapelle du Martray

1424

De la digue au comblement : une histoire du fleuve sur le territoire de Nantes Métropole (1/3)


Fortunat, évêque de Poitiers, attribue à son contemporain saint Félix, évêque de Nantes de 548 à 582, les premiers travaux du fleuve : "[...] par une digue judicieusement placée, vous ramenez l’écoulement des eaux dans le lit du fleuve [...] la terre s’est élevée en un obstacle inerte [...] et vous dirigez un fleuve docile malgré la montagne [...]”

Les premiers travaux

Au 17e siècle, François-Nicolas Baudot, seigneur du Buisson et d’Ambenay, diplomate et érudit qui effectue un séjour à Nantes en 1636, explique que certains de ses contemporains voient dans ces vers la preuve que Félix a détourné le cours originel du fleuve pour le ramener vers la ville, donnant ainsi son angle très particulier au bras nord de la Loire.

Pourtant, les quelques vers de Fortunat, s’ils attestent que l’évêque fit réaliser des travaux, ne permettent ni de les situer ni d’en évaluer la réelle importance. En outre, la morphologie de la prairie de Mauves jusqu’au 19e siècle autorise à douter de cette assertion. La digue citée semble être une levée de terre protectrice contre les inondations, ouvrage fréquent au Moyen Age, et pourrait se situer à Nantes ou à Sainte-Luce-sur-Loire, résidence épiscopale.

Sous le duc Jean IV, des travaux sont effectuées pour permettre “aux chalands d’un tonnage élevés de remonter jusqu’à la ville” et la communauté des marchands fréquentant la Loire - corporation originale regroupant tous les utilisateurs de la Loire depuis Roanne jusqu’à l’estuaire - entretient le fleuve à ses frais ou avec le concours des très nombreux seigneurs qui lèvent des péages sur la Loire La communauté cure le chenal, crée des chemins de halage et possède un “engin à balisage” installé dans un bateau à tillac pour poser des balises.

La pêche occasionne des travaux d’aménagement avec la construction de dhuis ou d’épis dans le bras de la Madeleine, ainsi qu’une écluse sur la boire principale de la Prairie-au-Duc.

Ces rares aménagements dont certains, en particulier les épis, sont détruits dès 1515 nous rappellent que Nantes est alors un port fluvial desservi par une flotte de batellerie qui s’adapte relativement facilement aux désordres du fleuve. A cette époque, l’attention du Duc de Bretagne puis des édiles nantais est fixée sur les ponts fréquemment abîmés par l’eau.

Rive gauche du fleuve en aval de la chaussée

Rive gauche du fleuve en aval de la chaussée

Date du document : Fin du 17e siècle

Pourtant, dès le 16e siècle, l’étiage est si bas dans le bras nord que les bateaux peinent à arriver jusqu’aux quais : en 1624, des mendiants, des femmes et enfants indigents sont employés au désensablement de l’embouchure de l’Erdre. De fait, au début du 17e siècle, les marchands de la Fosse demandent à poursuivre les quais jusqu’à l’île Lemaire pour resserrer la Loire et augmenter le tirant d’eau dans le bras nord car les bateaux du commerce transatlantique ne peuvent plus arriver jusqu’au port et sont parfois obligés de s’arrêter à Paimboeuf. Cette demande est la première qui mentionne une relation entre des travaux sur le fleuve et le tirant d’eau. Elle ne sera pas suivie d’effets : il faut attendre un siècle supplémentaire pour étendre le port vers la Chézine à l’embouchure de laquelle le tirant d’eau est suffisant.

Les travaux de l'ingénieur de la Marine Magin (1756-1768)

Principal port d’Europe au 18e siècle, la prospérité de Nantes et de son réseau de ports secondaires, est largement dépendante du maintien du grand commerce maritime avec les colonies. Mais la liaison entre l’océan et le port de fond d’estuaire est fortement compromise par l’accumulation des sables qui entravent la navigation dont le tonnage ne cesse d’augmenter.

Tout au long de la première moitié du 18e siècle, les difficultés persistent et s’accroissent et, de fait, la navigation est très souvent interrompue : en été lors des basses-eaux et en hiver par les glaces en Loire.

L'amélioration de l’accessibilité du port de Nantes devient alors une question partagée mais source de vives tensions au sujet de son financement entre la Communauté de la ville de Nantes et la Couronne. Cette problématique se double d’un vif intérêt de la part des ingénieurs pour remédier à cette situation critique où le fleuve est considéré comme un véritable objet d’étude scientifique.

En 1753, à la faveur de la sécheresse, d’anciens épis sont découverts sous le pont de la Madeleine et constituent un nouveau danger pour la navigation dans le port de Nantes.

Plan général à joindre au rapport sur le duit de la Madeleine

Plan général à joindre au rapport sur le duit de la Madeleine

Date du document : 30-07-1844

Nommé la même année au poste de lieutenant-général de Bretagne, Emmanuel-Armand de Vignerot du Plessis-Richelieu, duc d'Aiguillon, s'empare très rapidement de la question relative à “l’amélioration de la rivière de Loyre”. Ainsi, avec le concours financier des Etats de Bretagne et du Conseil du roi, il confie à Magin, ingénieur de la Marine, d’entreprendre les premiers grands travaux. Le projet de Magin, présenté dès 1749, consiste à resserrer le lit du fleuve afin de concentrer les eaux d’étiage en un chenal unique. Le dispositif repose donc sur l’utilisation de la force du courant et le va-et-vient des marées pour évacuer les sables obstruant le port de Nantes.

Le système de rétrécissement proposé par Magin et exécuté en partie, dès 1756, par Armand Eustache François Fougeroux de Blaveau, ingénieur du roi pour la marine, se caractérise par la construction de digues s’appuyant sur les nombreuses îles qui parsèment le fleuve à cette époque. Les digues sont constituées d’une double rangée de pieux comblée et talutée de pierres. Ces pierres sont extraites localement dans les carrières accessibles en bateau de Roche-Ballue à Bouguenais ou de la Garenne à Couëron.

A Nantes, l’ingénieur fait élever six digues : deux rattachant la Prairie-au-Duc à la prairie de Biesse (située à l’est de l’île de Grande Biesse) et à l’île Cochard (appelée île Videment au 19e siècle), deux entre le Bois Joly (située à l’est de l’île de Petite Biesse), la prairie d’Amont (située à l’est de l’île de Vertais) et la prairie de Biesse, enfin deux digues reliant respectivement les îles Beaulieu et de la Turmelière aux prairies d’Amont et de Biesse. Ainsi, par l’empêchement de l’écoulement des eaux dans les boires de Toussaint et des Récollets, la force du courant était rejetée dans trois bras principaux entre les deux rives nantaises. Par la construction de ces digues entre les îles de l’archipel nantais Magin avait pour objectif  « de réunir un plus grand volume d’eau à la Fosse » (C 496).

Plan d'une portion de la ville entre le pont d'orient et la douve des Récollets

Plan d'une portion de la ville entre le pont d'orient et la douve des Récollets

Date du document : 28-07-1815

En aval du port de Nantes, quatre passes difficiles pour la navigation sont identifiées : Chantenay, Bouguenais, la Queue des Plombs à la hauteur de Haute-Indre et Couëron. Magin ayant constaté que “la navigation étant bien mauvaise en 1754 pour venir de Couëron à l’isle d’Indret où il y a un grand dépôt de bois pour la marine du Roy”, huit îles sont reliées par des digues sur une distance de près de six kilomètres entre le village de Port Lavigne à Bouguenais et le bourg de Saint-Jean-de-Boiseau. Face au constat de la trop grande division des eaux le long de la rive gauche de la Loire, seule la navigation dans le bras nord de la passe de Bouguenais est envisagée et les eaux sont interceptées par deux digues transversales entre l’île Cheviré, l’île Boty et la rive gauche.

Carte géométrique de la Loire

Carte géométrique de la Loire

Date du document : 1755-1756

La solution de Magin visant à canaliser les eaux de la Loire en un seul chenal a très tôt eu pour effet de former de nombreux atterrissements auprès des nouvelles digues. Dans le but de trancher la question de la propriété foncière de ces nouveaux amoncellements de sables et de sédiments, un arrêt du Conseil du roi en date du 21 mars 1758 ordonne qu’il sera fait concession à la Communauté de Nantes, moyennant une rente annuelle de 10 livres, “de tous les atterrissements occasionnés par les travaux faits et à faire dans la rivière de Loire en-dessus et en-dessous” des ponts de la ville de Nantes, de quelqu’étendue qu’ils fussent, pour en employer le produit à l’entretien des travaux faits et à faire pour améliorer la navigation de cette rivière, avec la faculté de les vendre ou aliéner à son profit”. Pour déterminer et fixer les limites des atterrissements à concéder, un procès-verbal de débornement est réalisé entre 1763 et 1765.

Plan de la Loire entre Trentemoult et Port-Lavigne, îles Boty et Cheviré

Plan de la Loire entre Trentemoult et Port-Lavigne, îles Boty et Cheviré

Date du document : 1768

Si les travaux projetés par Magin connaissent très vite les résultats escomptés, ils soulèvent également de nombreuses critiques de la part des usagers du fleuve. Un mémoire de 1769 enregistre les plaintes des capitaines de navires des paroisses riveraines et fait le constat de tensions entre les besoins de la navigation et les revendications des populations riveraines.

On peut y lire :« Au résultat, Couëron n'est point encore un port de mouillage. Le passage de la queue des plombs et celui de Chantenay ne sont praticables qu'aux grandes marées pour des bâtiments qui ne tirent que sept pieds. Les gens qui naviguent journellement de Paimboeuf à Nantes, se plaignent de ce que le sieur Magin n'a fait par ses ouvrages que rendre la navigation plus pénible”. De son côté Magin se défend en expliquant que la dégradation des conditions de navigation sur certaines passes est à mettre au compte des États de Bretagne qui “n'ayant rien donné dans le temps pour continuer le travail, on ne peut le faire. Les sables ont été dégradés et on se trouve obligé de faire des travaux considérables pour en faire retenir. »

Mal vécues par les populations riveraines, les troubles révolutionnaires sont l’occasion d’actes de vandalisme sur les digues. Ainsi, le 7 octobre 1792, Jacques Le cadre officier municipal accompagné de Mathurin Crucy visitent la digue « tenant par ses extrémités audit quartier de Grande Biesse et à la prairie au Duc servant à empêcher le dévoiement vers la prairie d’aval d’une partie de l’eau de la Loire passant par dessous le pont de la Madeleine à lui faire suivre son cours primitif direct et naturel (…) constater qu’environ 19 à 20 pieux ont été coupés et rasés presque au plus bas niveau de la rivière d’où il résulte une brèche par laquelle au moindre flux les eaux peuvent s’échapper avec rapidité dans le lit de l’ancien canal de Toussaint ». Brèche volontaire qui fait suite à la pétition des habitants de Grande Biesse qui estiment que l’assèchement de la boire les prive d’eau et nuit à la salubrité du quartier ; ils souhaitent que le courant soit maintenu dans son état naturel soit 12 à 15 pieds.

Au tournant des 18e et 19e siècles, de nombreux épis et digues sont en mauvais état. En 1806, on signale ainsi treize épis situés sur la rive droite, entre Couëron et Chantenay, qui ne présentent plus que des têtes saillantes de pieux sur lesquels les embarcations s’échouent et “dont la saillie occasionne journellement des accidents”.

De plus, la question de la formation des îles et des dangers pour la navigation qu’elles occasionnent est toujours d’actualité. Dans une lettre au Préfet de la Loire-Inférieure, l’Ingénieur en chef du département insiste sur le fait que, dans la Basse-Loire, “les débris accumulés entraînés par les eaux aggravent le lit du fleuve et le rendent d’une navigation difficile. Des îles nouvelles se forment, les anciennes s’agrandissent et élèvent leur sol”.

Suite Digues et comblements (2/3)

Julie Aycard, Julien Huon
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021

 

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