Quai de la Fosse
La construction du quai de la Fosse acte véritablement la naissance du port maritime de Nantes. Avec la mise en place de multiples cales sur plus d’un kilomètre et la présence d’un fond profond au niveau de l’embouchure de la Chézine, ce quai est le premier élément du développement du commerce maritime nantais. Pendant presque deux siècles, il sera le quai le plus important de Nantes, premier port de France, le lieu où s’effectuent quotidiennement les amarrages des navires, et où s’installent les premiers bureaux des douanes et les premiers équipements portuaires, etc.
« La Fosse » est un faubourg qui se développe à l’ouest de la ville, au-delà de la muraille du quartier Saint-Nicolas, à partir d’une date indéterminée au Moyen Age. C’est sans doute la présence d’une « fosse » formée dans le fleuve par le débouché de la Chézine qui va permettre le développement d’un petit quartier portuaire en aval de la ligne des ponts, seul point où les bateaux « venant de la mer » peuvent alors accoster à Nantes.
Au 16e siècle, ce port ne possède qu’une seule cale située au Port-au-vin – aujourd’hui place du Commerce. Le reste des rives forme des grèves naturelles.
Détail d'un profil de la ville de Nantes, attribué à Linder
Date du document : vers 1630
En 1625, la Fosse a grossi et le port s’est pourvu de plusieurs quais qui se succèdent sur environ 200 mètres à partir de la cale du Port-au-Vin. Si ces quais peuvent accueillir des bateaux de tonnage important, l’arrivée de ces derniers est impactée par l’irrégularité des eaux de la Loire. En 1650, le quartier s’est étendu jusqu’à la rue des Capucins – actuelle médiathèque – et des quais bordent la rive jusqu’à cet emplacement. Depuis le Port-au-vin, les quais s’étendent sur environ 600 mètres de long. Au-delà, une chaussée longe la rive pour rejoindre la Chézine et Chantenay.
Un quai pour consolider le commerce et construire la ville
Dès le 16e siècle, les eaux de la Loire s’abaissent dans le bras nord rendant difficile l’arrivée des bateaux jusqu’aux quais. Au début du 17e siècle, à la suite d’une crue dévastatrice, les marchands demandent à poursuivre les quais jusqu’à l’île Lemaire pour resserrer la Loire et augmenter le tirant d’eau dans le bras nord. Leur souhait adressé au roi reste lettre morte et il faut attendre un siècle supplémentaire pour étendre le port vers la Chézine à l’embouchure de laquelle le tirant d’eau est suffisant.
Au début du 18e siècle, Gérard Mellier, maire de Nantes, tente de trouver des solutions pour financer un quai favorable au commerce transatlantique en plein développement. En 1712, il décrète un premier alignement du front urbain depuis la place de la Petite hollande – actuelle place de la Bourse – jusqu’à la rue des Capucins : les propriétaires ayant une maison sur la rive se voient rétrocéder des terrains dans le prolongement de leur parcelle. Ils sont alors autorisés à augmenter la surface intérieure de leurs maisons et à mettre leurs rez-de-chaussée à l’abri de l’eau en exhaussant leurs sols. En échange de cette cession, les propriétaires s’engagent à exhausser leurs parcelles au moyen d’un quai et à reconstruire leurs façades selon les prescriptions de la Ville : « Touttes de niveaux et dans un mesme ordre d’architecture extérieure et seront en pierre de taille ou de tuffeau battie, les portes d’entrée seront égalles aussy bien que les croisées et cordons de chaque estage, et cependant seront posées des bornes dans ledit alignement à vis de chacune des maisons. »
Plan du nouvel alignement de la Fosse
Date du document : 18e siècle
Dans la foulée, en 1722, Gérard Mellier lance un projet de lotissement des terrains que la commune possède à Chézine, petit bourg situé à l’embouchure de la rivière du même nom et qui est relié à Nantes par une chaussée longeant la Loire.
Ce projet s’accompagne du souhait de créer un quai plus facile d’abord pour les bateaux en provenance de l’aval et une promenade agréable, « la plus belle d’Europe », pour les Nantais. Ce projet est motivé par le fait que le Port-au-Vin est régulièrement à sec l’été tandis que l’embouchure de la Chézine a un fond profond et un étiage quasi constant. Par ailleurs, il répond à la volonté municipale de doter Nantes de promenades, dans le sillage du cours Saint-Pierre créé en 1712, et d’un front urbain homogène et régulier. Avec le lancement du lotissement, le maire impulse un mouvement de construction du quai depuis la Chézine vers le Sanitat.
Bien qu’entérinée par le parlement en 1724, la création du quai de la Fosse par les propriétaires ayant reçu une rétrocession de parcelle en 1712 n’est toujours que partiellement exécutée en 1736.
A cette date, le procureur de Nantes constate que ceux qui ont reconstruit leur façade et agrandi leur maison n’ont pas bâti un quai unique et résistant mais des petites cales indépendantes qui n’ont d’utilité ni pour le port ni pour les déplacements de la population. Un plan de quai unifié est dressé par Nicolas Portail, architecte-voyer de la ville, en 1736. Sa mise en œuvre débute en 1742. Le nouveau quai est payé à 50% par la Ville sur les octrois que lui rapportent le passage des bateaux et à 50% par les propriétaires à proportion des avancées de terrain qui leur avaient été octroyées. Il doit offrir un front urbain unifié.
Le nouveau quai se situe à 20 mètres environ de la façade urbaine. Élevé sur pilotis de sapin, il recouvre les cales individuelles érigées devant les maisons. Son talus rempli de sable et de blocage offre un profil sur Loire en pierre de grison taillée et montée au mortier de chaux.
L’ensemble s’élève à 1,65 mètre au-dessus du niveau d’étiage. Sa mise en œuvre entraîne donc un premier exhaussement du niveau de la rive qui facilite l’implantation de maisons sur des terrains naguère inondés une grande partie de l’année.
Ce quai unique est ponctué à distance régulière de cales doubles à tablier haut ou de simples cales en tablier. Ces cales pavées portent généralement le nom du négociant qui les utilise.
Cale de la Machine
Date du document : 1817
Les immeubles se bâtissent sur des parcelles laniérées ayant parfois à peine trois mètres de large. Selon les prescriptions de l’architecte-voyer, ils auraient tous dû présenter une façade identique similaire à celles du projet de lotissement de l’île Feydeau pour créer un front urbain unifié sur le fleuve. La durée du lotissement et de la construction des immeubles contrarie ce projet urbain : les immeubles sont en majorité différents du dessin originel.
Dans la grande majorité des cas, ces immeubles sont des investissements de rapport et peu de propriétaires y habitent. Néanmoins, certains grands armateurs ou négociants occupent l’étage noble de leurs biens et parfois une partie des entresols. Leurs appartements s’organisent sur des étages complets avec de vastes salons sur la façade fluviale et des chambres, antichambres, vestibules, cabinets, et communs sur les façades latérales et la cour. Le reste des appartements est occupé par des classes sociales variées : noblesse et grande bourgeoisie occupent généralement des appartements entiers, petite bourgeoisie ou noblesse désargentée peuvent parfois cohabiter dans des appartements louant des chambres, petits artisans, domestiques, lavandières, marins, occupent ou cohabitent dans les appartements des étages supérieurs ou ceux donnant sur les arrière-cours. Les rez-de-chaussée sont réservés au commerce. Beaucoup d’immeubles ont une ou plusieurs cours à l’arrière de leur parcelle. Celles-ci peuvent servir d’entrepôts pour les négociants mais également de sentes pour la population qui semble conserver d’anciens trajets.
Ce premier quai de la Fosse et le quartier qu’il a fait naître sont achevés vers 1760-1780. Il aura donc fallu plus d’une génération pour que le projet municipal aboutisse grâce à un mouvement de convergence des travaux entre le village de Chézine et le quartier de la Fosse.
De 1830 à 1940, l’extension du quai de la Fosse
Ce nouveau et unique quai de la partie maritime du port devient le cœur du grand commerce transatlantique nantais. Son rôle économique motive le développement du quartier en arrière du front urbain et l’extension de la ville vers l’ouest.
Avec l’augmentation du trafic portuaire, le quai devient, durant le 19e siècle, un organe séparé de la ville. Il s’agrandit vers le sud, grignotant la Loire pour donner toujours plus de place aux espaces de travail et de stockages des marchandises.
En 1834, un premier agrandissement a lieu avec l’adjonction « de cales horizontales » qui recouvrent les égouts et facilitent le déchargement.
Cette première amélioration n’est qu’une rustine sur les insuffisances du quai. Dès 1843, les Ponts et Chaussées présentent un nouveau projet d’alignement du quai qui n’est pas mis en œuvre. Enfin, en 1867, l’agrandissement du quai de la Fosse, demandé par la chambre du commerce depuis plusieurs années, est lancé.
Édifié sur pilotis de bois, le nouveau talus en pierre de grison est vertical pour correspondre aux standards de la construction navale et faciliter la manutention des marchandises. Il fait disparaître les cales qu’il recouvre entièrement et ménage une bouche pour l’écoulement de la Chézine canalisée et recouverte.
A la fin des travaux qui durent plus de six ans, le quai de la Fosse a acquis, selon les endroits, jusqu’à 15 mètres supplémentaires pris sur le fleuve et sa hauteur a été portée à six mètres au-dessus de l’étiage. Il régularise la rive du fleuve par son front vertical parfois percé d’escaliers. Sa nouvelle forme autorise enfin l’installation de grues et de hangars indispensables à l’attractivité du port de Nantes.
Pendant une quarantaine d’années, les travaux réalisés maintiennent le rang du port maritime dans l’arsenal économique national puis, l’évolution de l’architecture navale et la course effrénée à la réduction des délais de transport des marchandises rendent à nouveau nécessaire la transformation du quai de la Fosse.
Ainsi, en 1909, une estacade sur pieux de béton est agrafée au talus de pierre. Avec ce nouvel ajout, la plateforme du quai est agrandie de six mètres tandis que sa hauteur est maintenue. L’utilisation du béton change la physionomie de la rive. En 1913, de nombreux affaissements obligent à reprendre en sous-œuvre le talus vertical en pierre, le vannage et les palplanches qui protègent les fondations du quai.
Panorama de la Loire et de ses quais vu du pont transbordeur de Nantes
Date du document : sans date
Enfin, en 1938, le service des Ponts et Chaussées procède à un dernier exhaussement des terre-pleins et à un renforcement de l’estacade et du quai pour les voies de grues et les voies ferrées.
Comme l’ensemble du port, le quai de la Fosse est la cible de bombardements anglo-américains de 1943 et de 1944. Il est brisé en deux endroits ; les dégâts les plus importants se situent dans la courbe entre le quai de la Fosse et le quai d‘Aiguillon.
Quai de la Fosse
Date du document : 16-07-1943
Même si les immeubles reconstruits adoptent un style en accord avec les bâtiments du 18e siècle qui les entourent, la reconstruction modifie la façade sur Loire : la place du commandant Jean L’Herminier est percée, l’îlot des Capucins est laissée vide jusqu’à la construction en 1981 de la médiathèque Jacques Demy.
La séparation du quai et du quartier de la Fosse
L’ensemble des travaux réalisés sur le quai entre 1867 et 1938 ont éloigné la Loire du quartier de la Fosse. Le fleuve se situe à presque cinquante mètres du front urbain et la perception de sa présence est gênée par la surélévation du quai et par les aménagements des espaces urbains et des espaces de travail.
Ainsi, la chaussée qui bordait le quai au 18e siècle devient, au milieu du 19e siècle, une 2x2 voies hippomobiles à laquelle vont se greffer à partir de 1853, deux voies ferrées. Celles-ci sont aménagées entre la chaussée et le terre-plein du quai sur le tracé de la ligne de train Tours-Saint-Nazaire. Le long du quai de la Fosse, une petite station, la « gare de la Bourse », est élevée au niveau de l’actuelle station Médiathèque. Son architecture en halle métallique bouche la vue sur le fleuve depuis le square de la Bourse.
Puis, en 1879, l’ouverture de la première ligne de tramway accroît la séparation entre le front urbain et le fleuve en insérant deux nouvelles voies au centre des chaussées hippomobiles.
Au-delà de ces sept voies de circulation, la Loire est éloignée du front urbain par un équipement dense composé de hangars d’environ dix mètres de hauteur, de grues, de zones de stockage de marchandises, etc.
Schéma d'aménagement du viaduc du quai de la Fosse
Date du document : 1928
Cette séparation physique perdure jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, les aménagements urbains subissent de grandes transformations : la ligne de tramway est abandonnée et les voies sont recouvertes de bitume ; le chemin de fer est détourné et enterré sous le parking de la Petite-Hollande.
En parallèle, le déclin du port allège les équipements du quai. A partir des années 1960, les hangars et les grues sont peu à peu démontés.
Toutes ces mutations auraient pu transformer le rapport entre le front urbain et la Loire d’autant que, dès 1946, la Ville demandait le « déclassement » du quai de la Fosse et le déplacement du port en aval du quai d’Aiguillon afin de recréer une promenade arborée pour les Nantais. Pourtant, aucun projet ne permet à la population de se réapproprier l’espace du quai.
Celui-ci devient un espace de circulation dédié à l’automobile qui profite de la disparition du tramway et du chemin de fer, pour occuper une voirie de presque trente mètres de large soit une 2x3 voies séparées par un terre-plein. L’impact de la circulation automobile dans le paysage fluvial est augmenté par la construction du pont Anne de Bretagne à partir 1972 et de son échangeur sur les voies du quai. En 1985, le tramway revient sur le quai avec l’ouverture de la ligne 1 et son arrivée annonce un début de changement dans l’utilisation du quai.
Détail du schéma d'aménagement du viaduc du quai de la Fosse
Date du document : 1928
Le quai séparé en deux parties par le pont Anne de Bretagne connaît différentes phases de requalification. La première partie du quai, en continuité avec la place de la petite Hollande, est réinvestie par la construction du mémorial de l’esclavage en 2012 et la requalification des terrains par la mise en place d’espaces verts. Une promenade, lointaine héritière de celle du 18e siècle, y existe aujourd’hui. La seconde partie du quai, plus éloignée du centre-ville, est moins utilisée et n’est réinvestie que depuis quelques années par le service des espaces verts lors de la mise en place du « quai des plantes » qui préfigure un projet de promenade arborée qui permettra de joindre la gare à la carrière Misery le long de la Loire.
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
Album « Le quai de la Fosse »
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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