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Salle à tracer des Anciens Chantiers Dubigeon HLM de la Contrie

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Ligne des ponts : histoire et architecture (1/4)


Il est vraisemblable que la construction d’un ou de plusieurs ponts entre les deux rives sur le site de confluence nantais soit le premier aménagement d'envergure qu’ait connu le fleuve. Titanesque, cet ouvrage est un obstacle dans l’écoulement du fleuve qui va modifier les courants, décupler la force des crues et peut-être favoriser l’amoncellement des sables qui deviendront peu à peu des îles. Il est également au coeur du phénomène de double rupture de charges du port de Nantes : passage infranchissable pour les gros bateaux, les ponts alignés sur deux kilomètres créent la rupture entre Loire maritime et Loire fluviale ; ils permettent également au port de remplir sa fonction d‘échanges entre terre et fleuve en favorisant le transport des denrées jusqu’à Nantes.

Carte des ponts de Loire à Nantes

Carte des ponts de Loire à Nantes

Date du document : 02/2021

La genèse de la construction des ponts est mal connue car les vestiges d’un ou plusieurs ouvrages gallo-romains n’ont jamais été retrouvés. La disparition des traces d’un passage antique est attribuée aux multiples dragages que le fleuve a subi ; elle empêche néanmoins d’affirmer que les ponts furent mis en place dans l’Antiquité.

Pour la période du Haut Moyen Age, la physionomie des ponts est également mal connue. Il est possible qu’avant le 11e siècle, le franchissement des 2 kilomètres entre les rives Nord et Sud se soit effectué par une chaussée submersible bâtie directement dans le lit du fleuve. Le passage à pied n’aurait donc été possible que pendant l’été.

Ce n’est sans doute qu’au 11e siècle que « le pont de Nantes jeté sur la Loire de rive en rive sans interruption depuis Pilemil jusqu’au mur de la ville » a été bâti. Ogée attribue à Charles le Chauves la construction de cet ouvrage cité en 1118 par le duc Conan III dans sa charte de fondation du prieuré de la Madeleine qu’il place sous le contrôle de l’abbaye de Toussaints d’Angers. Avec cette donation, le duc transfère à l’abbaye l’entretien des ponts de la Loire tout en lui conférant la facilité de prélever dans les forêts ducales tout le bois nécessaire. Si l’abbaye semble s’être acquittée correctement de cette obligation jusqu’à la fin du 12e siècle, elle délaisse peu à peu ces travaux trop coûteux.

En 1397, le mauvais état des ponts pousse le duc Jean IV à les confier au conseil de ville. A partir de cette époque, c’est donc la Ville de Nantes qui veille sur la ligne de ponts et organise son administration pour répondre à cette mission. Le conseil élit un « miseur » - ou trésorier - en charge « des oeuvres et reparacions de ceste ville de Nantes, des ponts de boays et pavez ». Si le miseur doit s’assurer de la bonne utilisation des deniers municipaux qu’il avance régulièrement, le « gouverneur des ponts » - qui apparaît dans la comptabilité communale dès 1446 - est sans doute chargé de la surveillance des ponts. Il surveille leur état, fait appeler des experts, trouve les matières premières, s’assure que la ville dispose des engins nécessaires et peut-être gère les ouvriers qui réparent les ponts.

Portrait de l'engin pour servir à l'œuvre des ponts

Portrait de l'engin pour servir à l'œuvre des ponts

Date du document : 11-12-1570

L’office évolue à la fin du 15e siècle pour devenir celui de « pontonnier en chef ». Enfin, de la fin du 16e au début du 18e siècle, la ville réorganise sa gestion en nommant un « conducteur des ponts », architecte ayant la responsabilité technique des ouvrages, et un « contrôleur des ponts » qui surveille les travaux effectués. C’est ainsi, qu’en 1600, « Jean Le Vennyer, maistre maçon et architecte pour la conduite de l’oeuvre des ponts » reçoit 100 écus soleil de gages pour les deux années passées tandis que « Pierre Paris, commis contrôleur de l’oeuvre et réparation des ponts » reçoit deux écus pour les trois années passées.

Au 18e siècle, la mise en place des Ponts et Chaussées par l’administration royale et la définition des différentes catégories de routes fait repasser les ponts sous la responsabilité de l’Intendant de Bretagne qui délègue son rôle au maire de Nantes, « commissaire pour les Ponts et Chaussées ».

L'architecture des ponts

L’expression nantaise « ligne des ponts » transcrit parfaitement l’aspect général de ce franchissement.

Profil de la ville de Nantes

Profil de la ville de Nantes

Date du document :

Les ponts se succèdent depuis la porte de la Poissonnerie sur la rive nord jusqu’à la tour de Pirmil sur la rive sud avec des orientations qui varient selon la position des îlots rocheux. La ligne se compose de ponts dans le lit du fleuve, les boires ou les étiers, et de « chaussées » sur les îlots. Il y a six ponts : celui de la Poissonnerie, celui de la Belle-Croix, celui de la Madeleine, celui de Toussaints, celui des Récollets et celui de Pirmil. Ils sont reliés entre eux par des chaussées mises en oeuvre en hérisson sur des talus prenant appui sur les îlots rocheux ou sur des parties exhaussées des îles comme celles de Biesse ou de Vertais.

Plan des ponts depuis la tour de Pirmil à la porte de la Poissonnerie

Plan des ponts depuis la tour de Pirmil à la porte de la Poissonnerie

Date du document : 06-08-1712

L’aspect général des ponts est, quant à lui, difficile à connaître car les sources ne concordent pas. En 1466, Léon de Rosmital, en voyage à Nantes, décrit un fleuve « traversé par un pont de pierre » ; en 1483, François II autorise le chapitre cathédral à construire un moulin sur « le pont de pierre où est la Belle-Croix » mais en 1565 Charles IX autorise par lettres patentes la construction de moulins à eau en faisant reconstruire les ponts en pierre.

Sur cette question, les spécialités des différents artisans cités dans les comptes des miseurs à partir du 15e siècle apportent un éclairage sur les matériaux en œuvre. Ainsi, les carriers, les « pierraieurs » (sans doute tailleurs de pierre) et les maçons sont fréquemment sollicités au même titre que les charpentiers et les gabarriers dont les bateaux facilitent l’acheminement des matériaux et le travail en sous-oeuvre. Certaines mentions des travaux annuels permettent de se faire une idée plus précise de la nature architecturale des ponts.

A l’instar des deux exemples reproduits ci-dessous, les archives mentionnent, du 15e au 17e siècle, les réparations faites aux tabliers - partie qui supporte les voies de circulation - de bois : « A quatre compaignons de la Saulzaye, pour avoir aidé a rabiller le prochain pont d'emprès la chappelle de Bon-Secours, que les grandes eaux avoint succombé, en faczon quel les bestes chevalines ne pouvoint passer et l'avoir chargé de pierres et de boys, 2s 6d ». « Le mardy 21 du mois de may audit an 1527, pour la grande inondation de Loyre, qui passoit par sur les pontz de Nantes, furent envoyez les gens qui ensuyvent, pour contregarder et ayder que lesdits pontz ne s'en allassent. A ung sergent et au clerc du greffier d'office, qui furent envoyez à la Basse-Fosse, contraindre les barges pour aller prandre les boys desdits ponts, 6s. A onze hommes, chacun un jour à mectre pierres sur les ponts, 22s. »

Ces textes démontrent que ce sont les tabliers en bois qui sont emportés par la violence des crues et la Ville paye des gabarriers pour récupérer les pièces de charpente entraînées jusqu’à Paimboeuf. Il est donc probable que les ponts médiévaux de Nantes aient été des ponts à poutre appuyés sur des piles de pierre et que l’effort de « reconstruction » engagé à la fin du 16e siècle ait transformé ces ponts à poutre en ponts en arc composés de plusieurs arches en pierre.

A partir de 1589, les comptes des miseurs mentionnent des achats de « pierres, chaux, sable et aultres ustencilles » et des « ouvriers, manoeuvres et journalliers qui ont esté emploiés à travailler à tirer de la pierre de Mysérie, qui a esté mise et employée à garnir les chevreaulx qui sont au devant des pilliers du pont de la Magdelaine et Pirmil ». Sur les ponts dont la structure originelle est conservée, on assemble des « pierre[s] froide[s] et billotaige [blocage] le long desdites murettes et parapelz [...] pour les hausser » et les protéger des eaux.

Preuve de ces travaux, les premières mentions des « arches » des ponts apparaissent en 1644 lorsque l’une des arches du pont de Belle-Croix doit être rétablie et que les arcs-boutants du pont de Pirmil doivent être re-maçonnées en pierre de grison. Sans doute pour consolider plus encore les ponts à poutre et faciliter le passage, la Ville commence à paver les tabliers de bois à une date indéterminée. En 1722, il restait encore deux ponts à paver.

Profil de la ville de Nantes

Profil de la ville de Nantes

Date du document :

Concomitamment à la construction de l’Hôtel-Dieu et aux premières modifications des ponts, la chaussée de la Madeleine est rebâtie par Hélye Brosset, architecte et entrepreneur, entre 1620 et 1645. Également élevée sur des arches de pierre et protégée - à la manière d’un pont - par un parapet, elle traverse presque 500 mètres de prairie submersible. Pour la bâtir, l’architecte utilise la technique habituelle de la construction en bord de Loire en plaçant des pilotis de bois dans le lit du fleuve pour stabiliser le bâti en pierre. Pour réaliser cet ouvrage, la Ville achète dès 1620, « 473 pieds de bois avec leur écorce [...] pour faire les pilotis des piliers faits de neuf entre la Belle-Croix et le pont de Nantes ».

Elévations des ponts sur la Loire

Elévations des ponts sur la Loire

Date du document : 14-06-1712

Au gré des reconstructions, les différents modules qui composent la ligne des ponts vont changer de gabarits créant des goulots d’étranglement au niveau des raccordements. Ainsi, au 17e siècle, le chevalier Dubuisson-Aubenay témoigne du fait que la chaussée de la Madeleine est juste assez large pour que « deux chariots se croisent de front » alors qu’elle ouvre sur le pont de la Madeleine qui permet le croisement de « trois à quatre chariots ». Malgré la mise en œuvre d’arches en pierre, les ponts sont sans cesse fragilisés et détruits par le fleuve. Les reconstructions successives jusqu’au milieu du 20e siècle vont affiner la technique de mise en œuvre pour créer des ouvrages plus adaptés au régime très particulier du fleuve.

Rôle économique et stratégique

L’expression « route des ponts » transcrit parfaitement le rôle dévolu à ces ouvrages. Les ponts forment une route continue pour faciliter le transport des marchandises et des hommes d’une rive à l’autre. Comme toute route, celle-ci est en partie bordée d’édifices érigés sur les deux ponts proches du centre-ville (Poissonnerie et Belle-Croix) et sur les îlots rocheux.

Sans les ponts, la traversée de la Loire sur le site de la confluence nantaise est presque impossible à cause des courants, des îles et des bancs de sable mouvant : les voyageurs embarquent en amont ou en aval pour rallier Nantes après plusieurs haltes comme le roi Charles IX qui monte dans une gabarre à Thouaré pour pouvoir rejoindre Nantes après l’effondrement du pont de Pirmil en 1564.

Plan colorié de la brèche du pont de Pirmil à Nantes

Plan colorié de la brèche du pont de Pirmil à Nantes

Date du document :

A chaque effondrement d’un pont nantais, du Moyen Age à nos jours, la circulation et l’économie de la région nantaise mais également celles de la Vendée et du Poitou sont perturbées. Les remèdes comme les bacs, les ponts de bateaux ou les ponts provisoires ne peuvent absorber l’intégralité d’un trafic dont l’intensité n‘a jamais cessé de croître

Carte de la troisième tournée militaire de Mr le Marquis de Paulmy dans les provinces maritimes occidentales de la France : Normandie et Bretagne

Carte de la troisième tournée militaire de Mr le Marquis de Paulmy dans les provinces maritimes occidentales de la France : Normandie et Bretagne

Date du document : 1754

La ligne des ponts est également un ouvrage stratégique pour Nantes car elle offre un accès rapide et facile à une ville protégée par un fleuve infranchissable. C’est pour cette raison que des portes et des fortifications abritent les entrées de Pirmil, de Vertais, de la Saulzaie et enfin de Nantes. Cet enjeu particulier se lit dans l’annexion par Nantes, en 1792, des faubourgs de Vertais, de Pirmil, de Saint-Jacques et de Dos-D'âne qui dépendaient pourtant de la paroisse de Saint- Sébastien.

Suite Ligne des ponts : un espace aménagé (2/4)

Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021

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En savoir plus

Webographie

Nantes, la métamorphose d'une ville - Auran/Ina : Chantiers de la deuxième ligne des Ponts à Nantes

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Rédaction d'article :

Julie Aycard

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