Pont de Pirmil (3/4)
Si la grande arche a été rétablie, les premières arches sont toujours détruites et, depuis 1717 la passerelle provisoire est trop instable pour recevoir des voyageurs. Il est donc nécessaire pour la Ville d’entreprendre ce nouveau chantier.
Un chantier loin d’être terminé
En 1720, le rétablissement des quatre piles et trois arches nécessaires pour « fermer la grande brèche de Pirmil » est adjugé à Jean Laillaud pour 123 000 livres. Son contrat prévoit de rétablir les arches proches de la rive avant 1724 mais le chantier ne s’ouvre pas. Il est possible que cet immobilisme soit dû à des problèmes financiers mais les modifications importantes que le pont va subir suggèrent plutôt des tergiversations d’ordre technique.
En effet, le rétablissement des arches sud impose de reconstruire de nouvelles piles, et pour cela de draguer le fleuve pour retirer les gravats issus de la destruction des anciens supports au lieu de rétablir les arches sur les piles.
Le choix est donc fait de dévier l’ouvrage, de reconstruire des piles en amont de celles qui se sont effondrées dix années plus tôt et de faire déboucher le pont à l’est de la forteresse. Ce projet n’est définitivement accepté qu’en août 1724 et ordonné par le Conseil du roi que le 16 octobre 1725.
Plan d'une partie du pont de Pirmil
Date du document : 1725
En novembre 1725, Goubert dresse un plan de l’état d’avancement des travaux. Il y précise que trois piles sont déjà en cours de construction par le biais de l’adjudication de 1720. Laillaud a donc finalement lancé le chantier pour lequel il avait été engagé. En revanche, la dernière pile et la nouvelle culée du pont vont faire l’objet d’un nouveau contrat.
Le 26 août 1726, Georges Mellier, maire de Nantes écrit à M. de Brou, intendant de Bretagne, à propos des premières piles : « Je viens de visiter les ouvrages de construction des ponts de Pirmil, ils avancent plus que nos fonds. Cela n'empêche pas Laillaud de faire travailler, il espère que dans la fin du mois de septembre prochain les deux grandes arches de pierre seront finies […] ».
L’intervention de Jacques-Ange Gabriel
En 1726, Delafond, ingénieur ordinaire du roi émet de profondes réserves sur le projet et le chantier du pont. En 1727, Jacques-Ange Gabriel, architecte ordinaire du roi, ingénieur des Ponts et Chaussées et membre de l’Académie expertise le travail effectué.
Plan d'élévation du pont de Pirmil
Date du document : 1727
Les nouvelles piles sont alors achevées mais il est nécessaire selon lui de les refaire car les risbermes sont manquantes ou insuffisantes pour protéger les ouvrages du courant. Gabriel indique également que la pile située entre le nouvel ouvrage et l’arche centrale doit absolument être refaite. En effet, le nouvel angle donné à la moitié sud du pont crée un décrochement très net avec ces piles anciennes et ce décrochement crée une fragilité importante au milieu du fleuve.
La Ville ne fait pas arrêter le chantier qui continue selon les plans initiaux : depuis plus 10 ans, la route des ponts est entravée et cet état met à mal toute une économie.
En avril 1729, deux des arches nouvellement construites s’affaissent. Goubert déclare que Laillaud est contraint de démolir l’arche la plus endommagée afin de la consolider. Cet incident est dû à la pile qui la soutenait et qui s’est affaissée.
Pour se défendre, Laillaud explique que contrairement à ce qu’il a fait pour les autres arches, il fut dans l’incapacité de suivre les prescriptions techniques données par l’Académie. Il était impossible pour les ouvriers d’enfoncer les pieux nécessaires à la construction de la pile en question dans le sol car ils ne tenaient pas en place et chutaient. Selon l’entrepreneur, le problème résulterait de la présence de ruines d’ouvrages plus anciens qui ne peuvent être transpercées par des pieux.
Face à ce nouveau coup dur, la Ville se résout à faire une nouvelle adjudication selon les plans de Gabriel, le 6 septembre 1729. Louis Laillaud est chargé du chantier pour 190 500 francs. L’architecte du roi dresse des plans spécifiques selon les diverses typologies de piles que Laillaud contresigne en guise d’acceptation : le travail reprend conformément aux préconisations de l’architecte du roi. Il semble qu’à partir de ce moment Jacques-Ange Gabriel a été plus étroitement associé au projet.
De nouveaux travaux pour consolider l’ouvrage
Il faudra encore six années pour rebâtir toutes les arches défectueuses et achever la réparation des parties du pont endommagées par la crue de 1711. Ce n’est donc qu’en 1735 que les travaux de la partie sud du pont jusqu’à l’arche médiane sont réceptionnés. Un plan réalisé peu après 1735 nous offre une vision de cet ouvrage : Pirmil est alors un drôle de pont !
De la rive sud jusqu’au milieu du fleuve, le pont forme une ligne droite dont les larges arches cintrées reposent sur des piles renforcées. Celles-ci semblent agrandies par les massifs des anciens ouvrages ou leur décombres. Puis, après l’arche médiane, les arches du 16e siècle ont été conservées. Leur rythme est beaucoup plus resserré, leurs piles ne sont pas consolidées et, surtout, leur angle brise la ligne du pont.
Cet angle est une source de fragilité pour le nouvel ouvrage et la Ville a englouti trop d’argent et de temps pour s’autoriser à voir à nouveau Pirmil s’effondrer dans la Loire.
En 1741, Jacques-Ange Gabriel « chevalier de l'ordre de saint Michel, inspecteur général des bâtiments du Roy, premier architecte de S. M. et premier ingénieur des Ponts et chaussées du Royaume » dresse un devis pour finaliser la reconstruction du pont. Il préconise de réduire le nombre d’arches en passant de sept arches à quatre seulement. Il propose de construire les nouvelles piles légèrement en amont des anciens supports pour former une ligne parfaite avec les parties sud du pont, en les intercalant avec les ouvrages à détruire pour éviter les déboires dus à l’encombrement des gravats. Ce projet s’appuie sur la nécessité de reconstruire les deux avant-dernières arches de la rive nord que l’architecte avait déjà relevé en 1727.
Plan du pont de Pirmil
Date du document : 10-6-1941
Le total de la dépense prévue par Gabriel s’élève à 500 000 livres. Un coût exorbitant pour la Ville de Nantes dont les recettes annuelles ne dépassent pas 650 000 livres. Les travaux sont lancés et les quatre piles dans le prolongement de l’arche médiane vers le nord sont détruites et remplacées par seulement deux nouveaux supports et trois arches. Mais les travaux terminés en 1745 s’arrêtèrent là : les deux dernières piles du pont du 16e siècle subsistèrent surmontées d’un tablier de bois.
Pont de Pirmil
Date du document : 18e siècle
La Ville ne finira de payer cette reconstruction qu’en 1772.
Un pont à l’épreuve du temps
L’analyse minutieuse de la reconstruction du pont de Pirmil au 18e siècle permet tout d’abord de saisir l’ampleur de l’enjeu de la reconstruction des ponts nantais, et en particulier de celui enjambant le bras de Pirmil. Trente-quatre années furent nécessaires à la réhabilitation de cet ouvrage brisé par la crue de 1711. Le chantier se heurta à différents problèmes qui par deux fois obligèrent à refaire les ouvrages reculant d’autant la reprise d’une circulation normale sur la ligne des ponts et impactant l’économie de la région mais également celle des hameaux îliens de Nantes. Il changea l’axe du pont modifiant sensiblement la physionomie du faubourg de Pirmil. Mises bout à bout, les sommes déboursées avoisinent le million de livres quand les recettes moyennes annuelles de la Ville ne dépassaient pas 650 000 livres. À tous points de vue, la reconstruction du pont de Pirmil au 18e siècle est donc le fruit d’une épopée technique, architecturale, politique et financière.
Cette analyse permet également d’attribuer définitivement la reconstruction du pont de Pirmil à Jacques-Ange Gabriel, à l’exception de son arche centrale qui est le fruit du travail commun des membres de l’Académie d’Architecture. Gabriel supervisa et dressa les plans des ouvrages définitifs du pont, ceux qui tinrent face au courant. Cet ouvrage ayant été réalisé petit bout par petit bout, il ne fut pas possible à Gabriel d’y déployer – comme Règemortes à Moulins ou à Orléans – d’autres techniques que celles développées depuis la Renaissance : les radiers de bois furent uniquement dédiés aux piles au lieu de solidifier l’intégralité de l’ouvrage. En revanche, les imposantes risbermes furent solidement amarrées aux piles par des agrafes de fer apportant une véritable solidité aux piles : le pont de Gabriel resta en place 170 années établissant un record de longévité toujours inégalé pour un ouvrage lancé au-dessus du bras sud de la Loire nantaise.
Suite Pont de Pirmil (4/4)
Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
En bref...
Typologie : architecture civile publique et génie civil
En savoir plus
Bibliographie
Caraës Jean-François, « La disparition des vestiges de l'ancien pont de Pirmil », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°148, 2013, p. 259-273
Dantin Ch., « Constructions métalliques : le nouveau pont-route métallique de Pirmil, sur la Loire, à Nantes », Le Génie civil : revue générale hebdomadaire des industries françaises et étrangères, Tome 90, n°15, 47e année, n°2330, 9 avril 1927, p. 353-356
Lazard R., « Travaux publics : la démolition des anciens ponts en maçonnerie de Pirmil et de la Madeleine, à Nantes », Le Génie civil : revue générale hebdomadaire des industries françaises et étrangères, Tome 59, n°19, 51e année, n° 2569, 7 novembre 1931, p. 476-480
Rousteau-Chambon Hélène, « Le pont de Pirmil au 18e siècle et l'Académie royale d'architecture », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°136, 2001, p. 163-178
Véronneau Frédéric (dir.), « Le pont de Pirmil », dans Les ponts de Nantes d'hier et d'aujourd'hui, Coiffard, Nantes, 1995, p. 63-69
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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