Pont de Pirmil (2/4)
En février-mars 1711, une crue de la Loire, estimée à 7,29 mètres, détruit une partie du pont de Pirmil. Une nouvelle fois, la ligne des ponts est brisée. Ce n’est qu’en 1745 que la construction du nouveau franchissement est totalement achevée.
La grande crue de 1711 et ses conséquences
Les grandes réparations entreprisent au 16e siècle permettent au pont de subsister jusqu’en 1711 lorsqu’une crue exceptionnelle qui marqua longtemps les mémoires brise plusieurs arches du pont : « la sixième et septième arches, qui estoient de pierres, avec le pilier entre deux, sont entièrement tombées ce qui fait une brèche de 72 pieds [23 mètres] de longueur ; les onze, douze et treizième arches sont aussi renversées, avec les deux pilliers, ce qui fait une brèche d'environ 130 pieds [41,6 mètres] de longueur ».
Carte figurative contenant l'état où se trouvent les pêcheries de Pirmil
Date du document : 1711
Cette double rupture casse à nouveau la liaison entre Nantes et la Vendée, déséquilibrant le commerce de la façade atlantique. La Ville engage aussitôt les travaux de restauration : il ne s’agit pas de refaire le pont mais de réparer les arches brisées. Faute de moyens, elle se concentre d’abord sur la brèche médiane. Sur les avis des uns et des autres, le choix est fait de remplacer les deux arches brisées au centre du pont par une seule arche centrale reposant sur les piles anciennes. Ce choix évite de rebâtir une pile ce qui impliquerait d’évacuer les pierres tombées dans le lit du fleuve avant toute intervention : une entreprise très difficile dans le milieu du fleuve.
Une nouvelle architecture étudiée collectivement
Ce premier chantier est confié au nommé Biermant, architecte aux Ponts-de-Cé, qui effectue à la même époque des chantiers autour de l’Erdre. En quelques mois l’arche s’élève puis, au moment de son décintrage, s’écroule.
Selon les explications donnés par l’ingénieur Thévenon à l’Académie d’Architecture, la chute de l’arche serait due à l’utilisation d’une pierre plus tendre que la pierre de grison qui était originellement prévue pour la construction de l’ouvrage.
Suite de la rupture de l’arche, Antoine-François Le Ferrand, intendant de Bretagne, « désire avoir l’avis de Messieurs les architectes de sa Majesté sur ces dessins et le devis et sur tout ce qui est nécessaire pour rétablir avec succez et en toute sécurité une arche du pont de Pirmil à Nantes ». Le sujet occupe l’Académie pendant toute une année.
La « Compagnie » examine d’abord les plans envoyés par l’intendant puis demandent des explications détaillées sur la nature du sol et la nature des pilotis prévus pour soutenir les piles du pont. Celles-ci leur sont fournies par l’ingénieur Thévenon et l’architecte Roussel.
Plan d'élévation d'un projet d'arche du pont de Pirmil
Date du document : 1713
Ainsi, aux questions qui portent sur des fondations des piles, Thévenon répond que seule la nouvelle pile a été détruite et qu’il semble donc que le choix de réutiliser les anciennes piles étaient judicieux bien qu’il ne puisse pas donner plus d’indications sur les pilotis et la composition de ces supports.
Goubert précise également la nature du sol en se fondant sur l’expérience acquise grâce aux pilotis de bois battus depuis 1711 pour la mise en place de ponts provisoires. Ceux-ci « ont été enfoncés facilement dans le sable, puis dans une terre glaise dans laquelle le pieu ne rentre plus que d’un pouce ou un demi-pouce à chaque coup du mouton jusqu’à six ou neuf pieds de profondeur ».
Puis, les plans des deux Nantais sont étudiés par l’architecte François Bruand. Celui-ci s’interroge sur la nature de ce qui est resté sous la pile détruite lors de l’écroulement des deux arches.
Le 25 juin 1714, les architectes Desgodetz et de la Hire le fils soumettent à leurs pairs les dessins qu’ils ont réalisés et lisent leur devis pour recevoir les avis sur les solutions apportées. À la suite de cette séance, Desgodetz fait une épure qui synthétise les points évoqués et décidés par l’Académie.
Le 20 août 1714, François Bruand présentent trois nouveaux dessins pour régler la forme de l’arche avec ses collègues. Deux plans sont estimés conformes aux sentiments et idées exprimés par la Compagnie dans les séances précédentes, l’un montre son propre sentiment de donner à l’arche la forme d’un demi-ovale formé de trois portions de cercles ayant trois centres différents.
Le 27 août suivant, M. Bullet présente également à ses collègues son dessin. Suite à cette séance, la Compagnie convient de « relever le point où doivent tendre les joints des voussoirs dans la ligne de niveau passant par le premier voussoir de l’arche à construire ».
Le 3 septembre 1714, l’Académie d’architecture donne les préceptes techniques que devront suivre les concepteurs de la nouvelle arche médiane du pont de Pirmil. Les vestiges de l’ancien ouvrage seront déblayés pour laisser place à la nouvelle arche celle-ci s’appuiera sur les anciennes piles qui seront remaniées pour permettre de mieux lier les deux constructions.
L’Académie précise à la suite de ces prescriptions techniques qu’elle souhaite cependant « qu’il ne s’exécute rien desdits ouvrages qu’après qu’elle aura eu communication et examiné le devis qui en sera fait sur les lieux ». Le dessin original de Desgodetz qui synthétise les prescriptions de l’Académie est envoyé à l’intendant de Bretagne.
Plan, profil et élévation d'un pont de bois provisioire pour le pont de Pirmil
Date du document : 1711
Le 12 novembre 1714, le devis que l’ingénieur Thévenon a dressé en tenant compte des prescriptions de la Compagnie est lu et commenté en séance. Deux articles sont modifiés.
Ce travail collectif de réflexion technique sur un ouvrage architectural est une démarche régulière dans les séances de l’académie. En 1717, l’architecte Règemortes soumet ainsi à ses collègues son projet sur le pont de Blois, en 1718, Jacques-Ange Gabriel fait de même pour le pont du Rhône. Mais dans ces deux cas, la Compagnie consacre une séance ou deux aux projets et questions qui lui sont soumises. En revanche, le cas de Pirmil souligne toute la difficulté technique de ce long ouvrage soumis à un courant fort dans un lit sablonneux, difficulté amplifiée par la modification partielle d’un pont dont les ruptures multiples font craindre un mauvais état général.
L’urgence d’un nouvel ouvrage solide
À la réception des prescriptions de l’Académie, le 23 octobre 1714, la Ville lance un appel à soumission pour les « ouvrages de massonnerie, pierre de taille, charpenterie et payez qu'il convient de faire pour la construction de l'arche neuve, pour réparer la première brèche du pont de Pirmil du côté de la porte Saint-Louis ». Le 24 novembre 1714, elle adjuge le chantier à l’entrepreneur Jean Laillaud. La rapidité de la procédure témoigne de l’urgence de l’affaire.
Depuis 1712, une passerelle de bois provisoire a été édifiée pour rétablir le passage du pont sur les piles sud, et depuis 1713 une nouvelle passerelle a été construite par l’architecte Roussel au-dessus des piles centrales.
Mais ces ouvrages sont fragiles et la nécessité de retrouver une route commerciale solide se fait pressante : ébranlées par la crue de l’hiver 1717, ces passerelles sont interdites à « toutes sortes de personnes, de quelques qualités et conditions qu'elles puissent être, de passer et repasser avec leurs charettes et autres voitures sur le pont de bois provisionnel, étably proche de la porte de Saint-Louis, à l'endroit de la rupture des deux arches de pierre du pont de Pirmil de cette ville, à peine en cas de contravention, de prison, de 10 livres d'amende et de tous événements, dépens dommages et intérests qui pourront en résulter. »
Pour suivre ce chantier, la Ville nomme des experts, les ingénieurs Goubert, Thévenon et Hordebourg.
La délicate reconstruction de l’arche centrale
En août 1715, l’Académie reçoit une lettre de l’ingénieur Goubert contenant un procès-verbal de visite du chantier qui laisse penser aux architectes que l’entrepreneur n’a pas suivi les prescriptions qui avaient été faites : les mesures des voussoirs de l’arche ne sont pas bonnes. En novembre 1715, un nouveau procès-verbal d’inspection des travaux est soumis à l’Académie : Jean Laillaud n’a pas insérer de cailloux dans son mortier de liaison ce qui est « contraire aux intentions de l’Académie qui a précisément marqué qu’il y eust des cailloux à tous les voussoirs ». La Compagnie ordonne alors la démolition de la première assise de grison du côté de l’îlot de Vertais.
Le 25 novembre 1715, elle adresse un courrier à la Ville dans lequel « la Compagnie, sans s'arrester aux raisons et autres discours et exemples mesmes alléguez par l'entrepreneur, persiste à soutenir que pour bien construire l'arche du pont de Pirmil à Nantes, il faut exécuter de point en point ce qui est porté par les délibérations, remarques, dessins et devis arrestez dans l'Académie ; et comme il paroist par le procès-verbal de descente que l'entrepreneur n'a pas suivi ce qui a esté envoyé par l'Académie, elle est d'avis que tout ce qui n'est pas conforme soi démoli ».
Laillaud reprend alors son ouvrage. En 1717, l’Académie reçoit un nouveau procès-verbal de visite de chantier. Elle prend acte du fait que les voussoirs de Jean Laillaud ont un demi-pied (environ 16 centimètres) de moins que la longueur préconisée par ses membres et qu’il n’a pas mis de cailloux. Elle considère néanmoins que l’ouvrage n’en semble pas moins solide et que le mortier étant pris depuis des mois, il serait trop lourd de détruire cette arche. Elle accepte donc que Laillaud termine son ouvrage.
Suite Pont de Pirmil (3/4)
Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
En bref...
Typologie : architecture civile publique et génie civil
En savoir plus
Bibliographie
Caraës Jean-François, « La disparition des vestiges de l'ancien pont de Pirmil », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°148, 2013, p. 259-273
Dantin Ch., « Constructions métalliques : le nouveau pont-route métallique de Pirmil, sur la Loire, à Nantes », Le Génie civil : revue générale hebdomadaire des industries françaises et étrangères, Tome 90, n°15, 47e année, n°2330, 9 avril 1927, p. 353-356
Lazard R., « Travaux publics : la démolition des anciens ponts en maçonnerie de Pirmil et de la Madeleine, à Nantes », Le Génie civil : revue générale hebdomadaire des industries françaises et étrangères, Tome 59, n°19, 51e année, n° 2569, 7 novembre 1931, p. 476-480
Rousteau-Chambon Hélène, « Le pont de Pirmil au 18e siècle et l'Académie royale d'architecture », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°136, 2001, p. 163-178
Véronneau Frédéric (dir.), « Le pont de Pirmil », dans Les ponts de Nantes d'hier et d'aujourd'hui, Coiffard, Nantes, 1995, p. 63-69
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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