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Artisanes au 18e siècle à Nantes


Au 18e siècle, les femmes exercent des métiers extrêmement variés : alimentation, commerce, revente, rares sont les secteurs économiques à ne compter aucune travailleuse de sexe féminin. En revanche, la place et le rôle des femmes dans l’artisanat sont encore relativement méconnus. L’artisanat regorge pourtant de travailleuses dotées de savoirs divers et d’une grande capacité d’adaptation face aux contrôles exercés par les autorités sur leurs activités professionnelles.

Variété et diversité du travail féminin

Dans une ville où le commerce prospère, les marchandes affluent et investissent aussi bien le monde négociant que le petit commerce. Boulangères, charcutières, marchandes d’huîtres ou tenancières accaparent l’espace public. L’importante présence féminine dans le commerce est favorisée par La Très Ancienne Coutume de Bretagne, qui émancipe les épouses de l’incapacité juridique : celles qu’on surnomme les marchandes publiques peuvent indépendamment de leur mari, développer leur boutique en gérant leurs dettes et en contractant leurs propres emprunts.

Les revendeuses de poissons et de fruits de mer, particulièrement actives sur les ponts et sur les grands axes de communication, organisent entre elles la répartition de ces espaces afin de s’enrichir et de concurrencer la communauté des maîtres marchands de Nantes. Parfois, les relations commerciales génèrent des conflits et de nombreuses requêtes auprès de la police font mention de marchandes d’huîtres portant plainte contre des compteuses, des marchandes de châtaignes, ou bien encore d’autres marchandes de produits de la mer.

Les femmes sont également présentes au sein de professions réputées comme étant masculines : à Nantes, l’Hôtel de la Monnaie accueille journellement des dizaines de travailleurs et de travailleuses. D’autres femmes encore exercent des professions hautement qualifiées, respectées et valorisées : les veuves de maîtres libraires-imprimeurs, au décès de leur mari, poursuivent parfois le commerce entrepris et apprennent à faire fructifier l’héritage familial.

Les travailleuses intègrent donc toutes sortes de professions artisanales ou marchandes, qualifiées ou journalières, dans des espaces de travail hétérogènes, et de cette diversité, naît une large variété de savoirs. Chacune de ces professions implique en effet la maîtrise de techniques, de gestes, l’emploi d’instruments et d’outils mais également le partage de savoir-faire spécifiques.

La culture des apparences : couturières, coiffeuses et marchandes de modes nantaises

Le 18e siècle est caractérisé par une large diffusion de produits variés et divers, issus d’industries récentes, lesquels répondent aux nouveaux désirs des consommateurs. L’essor de la demande transforme les activités artisanales et donne naissance à une culture matérielle nouvelle, marquée par « l’accroissement du superflu, la confusion des signes et des conditions [et] l’obsolescence des objets ». Depuis peu, les historiens ont reconnu le rôle des artisans dans la propagation et la diffusion de cette culture des apparences, dans l’émergence de la technique, et enfin, dans la publicité des savoirs pratiques. Si cette relecture historiographique est entamée pour les hommes, les artisanes sont encore délaissées et leurs savoir-faire largement méconnus.

À Nantes, les secteurs du linge, du textile et plus largement des apparences, rapportent un nombre important de travailleuses : couturières ou tailleuses, lingères, marchandes de mode, faiseuses de bas, mais aussi bonnetières, rubannières, tresseuses ou coiffeuses, participent activement à l’économie urbaine et sont présentes sur l’ensemble du territoire nantais. Ces artisanes manifestent une grande capacité d’adaptation dans le cadre de leur travail, marqué par différentes inégalités et par un contrôle permanent de leurs activités.

Au 18e siècle à Nantes, elles sont plusieurs centaines de tailleuses et couturières à exercer au sein de leurs habitations. Leur présence augmente considérablement à partir de la seconde moitié du 18e siècle, en raison notamment d’une masse documentaire plus conséquente. Cette situation peut-être également en partie expliquée par la facilité avec laquelle les jeunes filles sont poussées à se former aux travaux d’aiguille. Peu coûteuses, ces formations sommaires leur garantissent un revenu suffisant afin qu’elles puissent vivre une fois adulte sans l’aide des fondations charitables. Néanmoins, malgré un apprentissage parfois limité, les femmes qui s’exercent à la couture en devenant tailleuses, lingères ou bonnetières ne sont pas nécessairement dénuées de toute qualification. Certaines d’entre elles développent de véritables savoir-faire, fondés sur la pratique et l’exercice de leur métier. Et ce savoir-faire se construit d’abord au cœur de leurs espaces de travail. Leurs activités professionnelles révèlent une étonnante variété de savoirs, de compétences et de qualifications. Cheffe d’atelier, ouvrière, chambrelante1 ou maîtresse, les artisanes nantaises ont su développer d’importants savoir-faire, propres à leur profession. Toutes ces travailleuses connaissent dans le cadre de leur travail, les mutations sociales et économiques propres au 18e siècle ; toutes doivent également composer auprès d’hommes qui, pour la plupart dirige et organise leur métier.

Huile sur toile, Couturières bretonnes ou Atelier de couture, Jules Trayer

Huile sur toile, Couturières bretonnes ou Atelier de couture, Jules Trayer

Date du document : 1854

Le travail des femmes : des activités économiques à encadrer et à contrôler

Les activités professionnelles des femmes présentes dans les secteurs du vêtement ou de la parure sont l’objet d’une solide et constante surveillance, exercée principalement par les jurandes de la ville. Les jurandes ou corporations2 constituent un phénomène urbain répandu dans lesquelles des artisans et des marchands s’assemblent afin de défendre leurs intérêts communs. Ces communautés de métiers, aux formes et règlements variés, régissent toute une partie des activités de fabrication. Il est possible de distinguer trois types d’associations professionnelles d’artisans : les corporations masculines, où seuls les hommes possèdent des prérogatives décisionnelles ; les corporations mixtes, où les femmes comme les hommes participent à la vie de la communauté ; et les corporations féminines, où les femmes s’attachent à conserver le monopole des décisions et de la production. Au nombre de 32 en 1723, les corporations nantaises sont exclusivement masculines et les femmes, comme les tailleuses ou les coiffeuses, doivent s’adapter à l’encadrement imposé par les maîtres tailleurs et maîtres perruquiers de la ville. Ce contrôle est introduit de différentes façons : d’abord, par la création d’une réglementation visant à organiser les tâches exercées par les femmes. En 1733, les tailleuses nantaises se voient imposer des statuts et des règlements visant à réduire et à ordonner leurs activités. Ensuite, par l’organisation d’une hiérarchie basée sur un modèle corporatif. Enfin, par l’établissement d’une surveillance qui s’accroît jusqu’à la fin du siècle.

Les maîtres artisans appartenant à une profession jurée ne sont pas les seuls à tenter d’organiser le travail des femmes. L’État et le Parlement de Bretagne interviennent parfois en promulguant de nouveaux arrêts : les coiffeuses par exemple, sont officiellement reconnues par le roi de France en 1772, mais sont contraintes dans le même temps, de déclarer leur habitation auprès des maîtres perruquiers. Un an plus tard, en mai 1773, le Parlement de Bretagne cette fois, autorise les coiffeuses nantaises à prendre des apprenties, tout en leur interdisant de concevoir des boucles ou des chignons artificiels.

Ainsi, les femmes suscitent autant l’intérêt que la méfiance des autres artisans et des institutions d’Ancien Régime. Leurs activités restent extrêmement contrôlées. Les corporations et les autorités d’Ancien Régime veillent à agencer et à hiérarchiser l’implication de chacune d’entre elles. Malgré ces tentatives d’encadrement, les artisanes ne restent pas passives. Elles apprennent à déjouer, à détourner ou encore à échapper à leur position afin de mettre en place différentes stratégies, non seulement pour subvenir à leurs besoins mais également pour développer des techniques et des pratiques de productions propres à leur profession. Entrepreneuses, elles participent à la vie économique du foyer, parfois de façon autonome et indépendante, parfois aux côtés de leur mari. Les femmes s’organisent, s’associent et gèrent leurs propres affaires. C’est au cœur de leurs espaces de travail et d’habitation qu’elles parviennent à contourner les règlements qui leur sont imposés. La capacité d’agir et celle de s’adapter qu’ont ces femmes, leur permettent de contourner les contraintes culturelles et sociales qui leur sont imposées dans le cadre de leur travail et dans leur vie de manière plus générale.

Gillian Tilly
2022

1Chambrelant.es : Les chambrelans sont des artisans qui travaillent littéralement « en chambre », sans en avoir l’autorisation. Cette dernière est accordée notamment par le titre de « maître » ou de « maîtresse ».
2Corporations : Appelées aussi associations d’artisans, guildes, confréries ou jurandes, les corporations constituent un phénomène urbain répandu dans lesquelles des artisans et des marchands s’assemblent afin de défendre leurs intérêts communs.

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En savoir plus

Bibliographie

Tilly Gillian, Les femmes dans le travail artisanal à Nantes au XVIIIe siècle. Identités et affirmations professionnelles, la construction des savoir-faire par les artisanes, Mémoire de master 2 d’histoire, David Plouviez et Samuel Guicheteau (dir.), Université de Nantes, 2021

Godineau Dominique, Les femmes dans la France moderne, XVIe-XVIIIe siècle, Armand Collin, Paris, 2015

Hamon-Muller Thierry, Les corporations en Bretagne au XVIIIe siècle, Thèse pour le doctorat en droit, dir. Marcel Morabito, Université de Rennes I, Faculté de Droit et de Science Politique, Janvier 1992

Kaplan Laurence Steven, La fin des corporations, Fayard, Paris, 2001

Perrot Michelle, Duby George [dir.], Zemon Davis Natalie, Farge Arlette, Histoire des femmes en Occident, XVIe-XVIIIe siècle, t.3, Perrin, Paris, 2012

Thébaud Françoise, Écrire l’histoire des femmes et du genre, ENS Éditions, Lyon, 2017

Tilly Louise, Scott Joan, Les femmes, le travail et la famille, éditions Payot et Rivages, Paris, 2002

Webographie

Le travail à Nantes au 18e siècle avec Gillian Tilly (Passion Modernistes)

Pages liées

Dossier Femmes nantaises

Tailleuses nantaises au 18e siècle

Veuves de maîtres dans les corporations nantaises au 18e siècle

Tags

Activité tertiaire Association Négociant et marchand

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Rédaction d'article :

Gillian Tilly

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