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Observatoire du Petit-Port Anciens bains-douches de la rue Michel-Rocher

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Ponts


Aucune autre ville française n’est située au bord d’un fleuve large de deux kilomètres : cette réalité physique explique la place essentielle des ponts dans l’histoire et la culture nantaises, des incessants tracas du franchissement à la mémoire du pont transbordeur inauguré en 1903. L’histoire de la ville est ainsi marquée par deux faits majeurs : la construction du premier pont de bois sur le bras de Pirmil, à une date inconnue mais probablement postérieure à l’an mil, et le doublement de ce franchissement routier intervenu en 1966 seulement, avec l’achèvement du pont Georges Clemenceau.

L'obsession d'un millénaire

Pendant près d’un millénaire donc, la Loire ne se franchit que par un seul pont, longtemps en bois – le premier pont de pierre ne date que de 1569 –, évidemment fragile et victime régulière des crues, des glaces, et de l’implantation, entre les piles, de pêcheries qui accélèrent le courant. Réparations, effondrements, reconstructions – il faut 24 ans pour remettre en état le pont de Pirmil dont cinq arches s’effondrent en 1711 ! – préoccupent tant la ville que son comptable est désigné comme le miseur des ponts et travaux de la ville. Il nous laisse ses registres à partir de 1436, mais le souci n’est pas limité aux temps anciens, ce que souligne le dynamitage de Pirmil par l’armée allemande en fuite, en août 1944, d’autant que, jusqu’au 20e siècle, Nantes est le seul point de franchissement de la Loire en aval d’Angers. Et la mémoire en est facilitée par la chanson : « Sur l’pont de Nantes un bal y est donné » mais « le pont s’est effondré »…

 <i>Nantes la Grise, ses vingt-huit ponts</i> 

 Nantes la Grise, ses vingt-huit ponts 

Date du document : 1923

La naissance de la ville sur son site actuel est d’ailleurs en partie liée à la question du franchissement de la Loire, facilité ici par les îles au point qu’il a longtemps été possible de passer à gué les bras nord du fleuve, au moins en été : les ponts sont multiples, et les petites agglomérations qui occupent peu à peu les îles deviennent tout naturellement le « quartier des ponts ». Nantes est même, plus largement, ville des ponts, celle des Vingt-huit ponts que dessine Jules Grandjouan dans une publication de 1923, juste avant que le comblement progressif de l’Erdre et de plusieurs bras de la Loire ne réduise un patrimoine que le démontage du pont transbordeur en 1958 achève de mythifier.

Effondrement du pont Maudit

Effondrement du pont Maudit

Date du document : 07-1913

Ce bouleversement, commencé en 1924, donne évidemment à l’histoire des ponts nantais un chapitre inhabituel, celui des ponts disparus par comblement de ce qu’ils franchissaient. Tel est le cas sur l’Erdre (d’amont en aval) des ponts Morand, de l’Hôtel de Ville, de l’Écluse, d’Orléans et d’Erdre ; et, sur les anciens bras de Loire (d’amont en aval), du pont de la Rotonde et de ceux qui desservent l’île Feydeau : de la Poissonnerie, de la Bourse, de la Belle Croix et pont Maudit ; sur l’ancien canal de la gare d’Orléans, les ponts Tracktir et du Gué aux Chèvres, et, sur les anciennes îles constituant aujourd’hui l’Île de Nantes, les ponts des boires de Toussaint et des Récollets.

Pont de bateaux, Pirmil

Pont de bateaux, Pirmil

Date du document : 1924

La présence des ponts s’écrit aussi dans la discrétion lorsqu’il s’agit de franchir le Cens, passant essentiellement en souterrain sous les rues, sauf dans quelques sections où s’érigent de courtes passerelles, ou la Chézine sur l’éphémère pont Jules César. Elle se dissimule, en associant à la force des faisceaux de voies ferrées de la gare et en privant de nom propre le pont qui franchit le canal Saint-Félix. Et il faut aux ponts de l’Erdre toute l’envolée des poutrelles métalliques du pont de La Motte Rouge, l’accent tonique des escaliers de la passerelle sud-est de l’île de Versailles, l’ampleur de l’arc du pont de la Jonelière, ou les puissants dos d’âne des ponts Saint-Mihiel et de Tbilissi pour tenter de rivaliser avec ceux de la Loire.

Pont de Pirmil détruit après les bombardements

Pont de Pirmil détruit après les bombardements

Date du document : 08-1944

La ville aligne ses ponts aux longues files d’attente le matin et en fin de journée, Georges Clemenceau / Aristide Briand, Pirmil / Audibert ou Haudaudine /, Trois Continents / Anne de Bretagne, les deux premiers groupes à double usage permettent au busway et au tramway d’affirmer la présence des transports urbains collectifs. Nantes tient un peu à l’écart les ponts où les trains passent, altiers sur le pont Résal, zébrés par le jeu d’ombres des poutrelles métallique sur le pont de Pirmil. Elle offre le spectacle impressionnant des piles et des extrémités inférieures du tablier baignant dans le fleuve en crue au pont de Pirmil, et celui des mouvements verticaux la passerelle Schoelcher conçue par Barto et Barto. Elle varie le design de ses nouveaux franchissements pour dialoguer avec le paysage des bras, ricochant d’arcs aériens en arcs aériens au pont Léopold Senghor, dressant le mât et les haubans du pont ÉricTabarly.

Le pont Eric Tabarly

Le pont Eric Tabarly

Date du document : 23-03-2011

En associant la lecture de sa technique à son franchissement, le pont Tabarly renvoie aussi à la mémoire encore douloureuse du pont transbordeur, dont les piles restent visibles le long du pont Anne de Bretagne. Image aérienne associée à la ruche bourdonnante des chantiers navals qu’il desservait, ce pont proposait un autre rapport sensible à la Loire lié à la rupture de charge et au temps même de la traversée de son tablier suspendu et mobile. Il exhibait une technique et une structure, fine et légère, conçue par un ingénieur, Ferdinand Arnodin, qui construisait l’ouvrage à ses frais en espérant le rentabiliser par la perception des péages.

C’est un ingénieur encore, Jean Résal, qui, phénomène rare à Nantes, donne son nom à un pont de chemin de fer. D’autres, ailleurs célébrés pour leurs ponts, Charles Lavigne (pont Willy Brandt), Jean Résal encore (LaMotte Rouge) ou Albert Caquot (la Jonelière) restent ici aussi anonymes que ceux qui permettent après la Libération d’établir le pont provisoire de 679 mètres, le plus long alors d’Europe, afin de rétablir la circulation des trains entre les deux rives de la Loire.

Bien que certains soient exclusivement dédiés aux trains ou aux transports collectifs, les ponts nantais restent majoritairement liés à l’usage de l’automobile et, quelles que soient les restrictions apportées à sa présence, le besoin de nouveaux ponts se fait sentir régulièrement. Le doublement de la ligne de ponts historique par les ponts Audibert et Pirmil est suivi par la construction des ponts de Bellevue (1970), Anne de Bretagne (1975) et Haudaudine (1979), puis par celle des ponts de Tbilissi et Willy Brandt et encore, en 2010-2011, avec les ponts Tabarly et Senghor, par une nouvelle ligne de ponts sur la partie amont de l’Île de Nantes.

Ainsi Nantes ranime régulièrement le désir d’un nouveau pont que certains verraient bien désenclaver la pointe aval de l’Île de Nantes, d’autres sauter la Loire en aval pour mettre en relation le sud du département avec le nord de l’agglomération qui concentre les emplois et les projets. Mais c’est aussi à la renaissance du Transbordeur, arachnéen et lumineux, descendu à hauteur du Hangar à bananes, que rêvent d’autres Nantais, confirmant ainsi qu’à Nantes, la question des franchissements est consubstantielle à la ville.

Dominique Amouroux, Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)


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En savoir plus

Bibliographie

Péron André, Sur les ponts de Nantes, Ressac, Quimper, 1995

Prenau René, « Les ponts successifs et la vie chaque pont », Les annales de Nantes et du pays nantais, n°198, 4e trimestre 1980, p. 10-21

Russon Jean-Baptiste, « Les ponts de Nantes sur la Loire » , Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°97, 1958, p. 3-16

Russon Jean-Baptiste, « Les ponts de l'Erdre », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n° 98, 1959, p. 13-30 

Véronneau Frédéric (dir.)  Les ponts de Nantes d’hier et d’aujourd’hui, Coiffard, Nantes,1996

Pages liées

Pont de Cheviré

Pont de la Jonelière

Pont de la Motte-Rouge

Jules Grandjouan

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Erdre Loire Pont Réseau fluvial Réseau routier

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Rédaction d'article :

Dominique Amouroux, Alain Croix , 

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