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15 juin 1944 : mission du navigateur américain William D. Allen à Nantes


Le 15 juin 1944, le navigateur américain William D. Allen, rattaché au 306e groupe de bombardement, est envoyé en mission dans la région nantaise. Objectif : détruire le pont  ferroviaire de la Jonelière et le viaduc de la Possonnière.

L’engagement de William D. Allen dans l’Armée de l’Air américaine

William D. Allen est né à Brooklyn, New York, en 1917, et a grandi dans les environs de Long Island. Troisième d'une famille de six enfants, il est né d'un pasteur épiscopalien et d'une mère au foyer. Il était très proche de ses parents, de son frère et de ses quatre sœurs. Au lycée, il a étudié et parlait couramment le français. Il a quitté son entreprise prospère d'aménagement paysager et s'est engagé dans l'Armée de l'Air américaine en 1943. Il y étudia l'aviation et la navigation et obtint le grade d'officier en tant que sous-lieutenant.

Portrait du 2nd lieutenant William D. Allen

Portrait du 2nd lieutenant William D. Allen

Date du document : 1943-1944

Les missions de William D. Allen pendant la Seconde Guerre mondiale

En avril 1944, Allen, âgé de 27 ans, arriva à son lieu d'affectation, la base aérienne de Thurleigh en Angleterre, rattachée au 306e groupe de bombardement, 423e escadron de bombardement, 8e armée de l'air. Il a commencé à participer à des missions de bombardement pour soutenir l'effort de guerre et freiner l'avancée militaire de l'Allemagne en France. Il participa à douze missions de combat au-dessus de l'Allemagne et de la France. Le 6 juin, lors de l'invasion de la Normandie, sa septième mission fut un bombardement nocturne réussi d'une voie ferrée à Argenton, en France.

La semaine suivante, le 15 juin 1944, sa 12e mission commença avant 5 heures du matin. 54 B-17 partirent, accompagnés d'escortes de chasseurs P-51 Mustang. Leur mission consistait à détruire le pont ferroviaire de la Jonelière, qui traverse l'Erdre, à Nantes, ainsi que le viaduc ferroviaire de La viaduc de la Possonnière (Maine-et-Loire). Les Allemands utilisaient les voies ferrées pour acheminer leur matériel de guerre vers leurs positions dans le nord.

Le pont de la Jonelière

Le pont de la Jonelière

Date du document : Fin 19e – Début 20e siècle

Le bombardement de Nantes du 15 juin 1944

Ce matin-là, le Français Victor Collet, tourneur à Basse-Indre, se rendait à bicyclette vers la ville de Brains après avoir travaillé de nuit. Vers 8h du matin, il voit les B-17 s'approcher au-dessus de lui et se souvient : « … le bruit des moteurs était absolument assourdissant et remplissait l'air, même à cette haute altitude. » À moins de 7 kilomètres au sud de la cible, alors que les sirènes de raid aérien retentissaient, environ 500 villageois s'étaient réfugiés à l'intérieur de la cathédrale de Nantes, Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Le monument est touché par erreur par les bombes, provoquant la mort d’un prêtre et 20 Français.

Les « photographies de frappe » prises après l'action ont également prouvé que le pont ferroviaire de la Jonelière (comme le montre la photographie civile historique) avait été touché directement par un nombre important de bombes. Les journaux de combat de la mission, autrefois secrets, précisent que les « groupes de tête et de queue » du 40e «  A » Combat Wing « ont chevauché le pont », tandis que le « groupe de tête a touché le point de visée. »

Le B-17 touché par le dispositif antiaérien allemand

Immédiatement après, la formation de B-17 fut soumise à un feu ennemi intense depuis le sol. Les canons de l'artillerie antiaérienne tirèrent des tirs de 88 millimètres de précision. À 8h07 du matin, le bombardier du lieutenant Allen fut touché : des morceaux de l'appareil s'envolèrent, trois de ses moteurs furent touchés et se mirent à fumer. Le pilote ordonna à son équipage de sauter !

Collet s'aperçut soudain que le B-17 d'Allen avait été touché et qu'il commençait à s'éloigner de la formation, les moteurs en feu. Il aperçut trois aviateurs américains qui sautèrent en parachute à proximité. L'intérêt de Collet fut éveillé car il était lui-même ancien membre d'un groupe secret de la Résistance française. Les résistants étaient alors chargés de rechercher des abris et routes sûres pour les aviateurs dont l’avion avait été abattu, mais aussi d'échanger des renseignements par le biais de communiqués codés avec Londres, d'informer les services de renseignements alliés de l'emplacement et des mouvements de l'ennemi, et de faire passer des microfilms en contrebande. Collet n'avait qu'une idée en tête : « ... suivre les hommes dans leur descente, les découvrir et les aider. »

Alors que le B-17 s'est écrasé à Treillières, les neuf aviateurs ont été parachutés en toute sécurité à Brains et dans les environs, en plein territoire occupé par les nazis. À environ 30 kilomètres au sud du B-17 abattu, le pilote, le premier-lieutenant O'Brien, atterrit au Pellerin ; le sergent Sutton, mitrailleur de ceinture, et le sergent Gibson, mitrailleur de tourelle, atterrirent à Brains, à la Ville à Beau, et le lieutenant Allen se posa non loin de là, dans le village du Bignon.

Carcasse du B17G à Treillières

Carcasse du B17G à Treillières

Date du document : 1944

L’aide apportée par les villageois français

Le premier témoin oculaire à rencontrer le lieutenant Allen fut un écolier, dans son jardin, au Bignon. Il vit des parachutes descendre, l'un d'eux atterrissant à 2 mètres, son parachute « pris dans les mufliers ». Il se souvient : « J'ai toujours le parachutiste en tête. Il était grand, mince, avec un visage long, presque blond. Je vis ses galons briller et il parlait assez bien le français. Il se faisait appeler « Allen » et dit : « Je veux rejoindre mes collègues qui ont atterri plus haut, près du village » et il indiqua la direction de Barré/Ville à Beau. » Un avion de reconnaissance allemand se mit à voler au-dessus de lui. Après avoir réussi à se cacher, un voisin de Barré arriva et se porta volontaire pour guider le lieutenant Allen le long du chemin du Barré jusqu'à Ville à Beau. Le père du jeune homme plaça l'équipement d'Allen dans une caisse en bois et, à l'aide d'un cheval emprunté, l'enterra dans les vignes du Croix-du-Bignon, son parachute fut placé dans un four à pain dans la remise.

Les astucieux travailleurs du bac de Basse-Indre avaient également vu les parachutistes américains arriver près des villages situés directement au sud-ouest de la Loire. Ils improvisèrent un plan pour retarder l'arrivée des Allemands de l'autre côté de la Loire. Voyant un officier allemand leur faire frénétiquement signe de retourner au quai pour les embarquer, eux et leur camion, les ouvriers arrivèrent intentionnellement sans le chariot. Finalement, le camion de soldats allemands arriva au sud-ouest du village de Tordreau. N'ayant pas retrouvé les aviateurs, les Allemands se dirigèrent vers le village de Fouelle où ils rencontrèrent un villageois français – connu pour être un collaborateur corrompu des nazis – qui leur dit « Il se passe des choses à Ville à Beau. »

En effet, deux gentils villageois de Ville à Beau avaient accueilli le sergent Gibson à l'intérieur. Quelques instants plus tard, le sergent Sutton, qui s’était blessé au pied à l'atterrissage, fut également ramené à l'intérieur. Le lieutenant Allen arriva à Ville à Beau quelques minutes plus tard et rencontra Victor Collet, qui avait suivi la descente des parachutes. Collet escorta le lieutenant Allen à l'intérieur de la maison alors que des voisins curieux se rassemblèrent à l'extérieur, jetant des coups d'œil par les fenêtres. S'adressant en français au lieutenant Allen, Collet élabora un plan pour cacher les trois aviateurs américains derrière la maison jusqu'à minuit, heure à laquelle ils seraient transférés dans un lieu sûr. Après que la femme du villageois soigna le pied blessé du sergent Sutton, son mari escorta les trois aviateurs dans les bois derrière leur maison.

Victor Collet à l’automne 1944

Victor Collet à l’automne 1944

Date du document : Automne 1944

La découverte de l’équipage du B-17 par les Allemands

Suivant les instructions du collaborateur corrompu, les soldats allemands arrivèrent à Ville à Beau et pénétrèrent dans la maison où se trouvaient les aviateurs. Après avoir interrogé la femme, les Allemands quittèrent les lieux et commencèrent à fouiller en vain les bois de Jasson, situés à proximité. Des tirs de mitrailleuses se firent entendre au loin, mais les aviateurs n'avaient pas été découverts. Les Allemands retournèrent chez le villageois et traînèrent la femme au quartier général de la Gestapo à Nantes où elle fut brutalement torturée (et emprisonnée pendant deux mois). 

Après avoir admis qu'elle avait soigné le pied blessé d'un aviateur, et après lui avoir arraché les renseignements souhaités, vers 19h, les Allemands revinrent au domicile du villageois et se dirigèrent directement vers le bois derrière lequel ils repérèrent les trois aviateurs américains qui se cachaient, allongés sur le sol. Le sergent nazi ouvrit le feu avec sa mitrailleuse, tuant instantanément le lieutenant Allen et blessant gravement le sergent Sutton, touché aux deux jambes. Peu après, Victor Collet vint à la rencontre des aviateurs pour leur proposer un refuge lorsqu'il vit, de loin, les trois aviateurs se faire traîner hors des bois. Il vit le lieutenant Allen, enroulé dans une couverture et placé dans un camion allemand ; les deux autres aviateurs firent faits prisonniers.

Parmi les membres de l'équipage, le lieutenant Allen fut le seul à mourir. Le mitrailleur de queue, qui avait initialement atterri à presque 10 kilomètres à l'ouest d'eux à Grande Noé, fut le seul à s'échapper, réussissant à se cacher pendant deux mois avec l'aide de résistants français. Il traversa finalement les lignes allemandes à vélo pour retrouver la liberté en août 1944, deux semaines avant que les Allemands ne quittent définitivement la région et que les troupes américaines n'arrivent pour la libération. Les sept autres membres de l'équipage furent faits prisonniers de guerre.

Les assassins condamnés pour crime de guerre

Après la guerre, à Rastatt, en Allemagne, le sergent nazi fut reconnu coupable d'avoir assassiné le lieutenant Allen, ainsi que d'autres personnes – commettant ainsi des crimes de guerre – et fut pendu. La famille d'Allen n'a plus jamais été la même. Ses parents, incapables de surmonter la mort inimaginable de leur fils, décédèrent peu de temps après. Après la guerre, quatre ans après la mort du lieutenant Allen, ses frères et sœurs firent rapatrier son corps aux États-Unis pour qu'il y soit enterré.

La famille du lieutenant Allen est reconnaissante de la bravoure des villageois français de Nantes et des environs, qui ont risqué leur vie en essayant d'apporter leur aide. Des employés du bac qui ont improvisé un plan pour retarder l'arrivée des soldats allemands, donnant ainsi aux aviateurs le temps de s'échapper, aux villageois qui ont tenté de cacher les aviateurs, soigné le pied blessé du sergent Sutton, enterré les parachutes et le matériel dans les vignes, et à ceux qui ont aidé le mitrailleur de queue à s'échapper, et qui ont fourni le transport, la nourriture et les vêtements. Tous méritent reconnaissance, remerciements et souvenir.

Article extrait du livre de sa nièce, Jean R. Allen : William David Allen. Fils bien-aimé, frère, oncle, 2e lieutenant, navigateur américain. Les détails concernant les missions ont été puisés dans les riches archives du 306e groupe de bombardement. Les détails de Victor Collet, résistant français, sont fournis avec l'autorisation du bulletin «  Mémoires de Brains », n°3, juin 2018, 12 et 15 juin 1944 Allied Airmen Land at Brains ; et l'enregistrement audio de Victor Collet des événements du 15 juin 1944, enregistré au milieu des années 1970. Les témoignages des villageois ont été compilés par Bernard Michaud, dans le même bulletin « Mémoires de Brains ».

Jean R. Allen
2024

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