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Trentemoult Barbara (1930 – 1997)

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Île puis quartier Gloriette


Séparée du centre-ville de Nantes par deux bras de Loire, l’île Gloriette s’étend sur une surface allant du quartier de la Fosse à l’île de la Saulzaie. Durant le Moyen Age, cette étendue submersible se compose de plusieurs atterrissements de sables amoncelés, mal stabilisés et séparés par une grande boire. Bordée à l’ouest par la chaussée de la Madeleine, l’un des principaux tronçons de la ligne des ponts, elle en est séparée par un étier relativement large. Ces caractéristiques expliquent sans doute pourquoi l’île Gloriette n’est pas nommée comme une entité clairement identifiée avant le 17e siècle.

Carte Ile Gloriette au 18e siècle

Carte Ile Gloriette au 18e siècle

Date du document : 02/2021

Une prairie aux portes de la ville et du port

Les terrains immergés de l’île Gloriette appartiennent au domaine royal et sont louées ou vendues à différents particuliers. La Ville, quant à elle, met en fermage les pêcheries installées sur les boires intérieures et le pourtour de l’île. L’installation d’un gibet visible depuis le centre-ville et la ligne des ponts semble être la seule utilisation publique de cet espace.

Le destin urbain de l’île Gloriette prend un nouveau cours en 1644, lorsque ses vastes terrains vierges et peu chers sont choisis pour rebâtir l’Hôtel-Dieu. Cette décision est l’acte fondateur de l’urbanisation des îles de Loire.

Durant la seconde moitié du 17e siècle et la première moitié du 18e siècle, dans le prolongement de l’Hôtel-Dieu jusqu’à la pointe occidentale, la rive nord se couvre de propriétés privées. L’habitat de l’île ressemble alors à celui des autres rives de Loire, quoiqu’un peu moins haut. Les familles aisées qui achètent ces terrains bâtissent des édifices composés de plusieurs corps de logis dont les rez-de-chaussée sont le plus souvent occupés par des magasins ouverts sur le quai tandis que les habitations sont à l’étage ou dans le comble mansardé.

Quai de l'hôpital

Quai de l'hôpital

Date du document : sans date

En 1755, un premier plan d’urbanisation de l’île est composé par Pierre Vigné de Vigny mais cette proposition rencontre l’opposition du bureau de Ville : « c’est une erreur d’aménager l’île Gloriette qui, comme la prairie de la Madeleine, fait partie du lit naturel de la Loire ; il faut craindre des inondations. »

Plan de l'île Gloriette

Plan de l'île Gloriette

Date du document : 18e siècle

A la fin du 18e siècle, à l’exception de la rive nord, l’île est encore majoritairement vierge de constructions et appartient à deux grands propriétaires : les hospices de Nantes et la famille van Den Driessche. Le domaine de ces particuliers se compose d’une maison de campagne ouvrant sur des jardins ordonnés le long d’une boire et de bâtiments agricoles dispersés.

Plan de l'île Gloriette, au colonel Van den Driessche

Plan de l'île Gloriette, au colonel Van den Driessche

Date du document : 03-07-1801

Ces terrains privés font alors l’objet d’un projet de lotissement, le nouveau quartier des Victoires de la République. Mathurin Crucy, architecte-voyer, imagine, en arrière du front bâti au nord, un secteur au plan orthogonal traversé par une longue diagonale reliant le quai nord à une place en surplomb du bras de la Madeleine et du quai de la rive sud.

Plan du quartier des Victoires de la République

Plan du quartier des Victoires de la République

Date du document : 1796-1798

En 1778, les habitants de l’île proposent à la municipalité de construire à leurs frais une passerelle de bois pour créer une seconde ligne de ponts entre leur quartier et la place de la bourse. Cette passerelle peu solide menace ruine dès 1794 et est totalement fermée à la circulation en 1829.

Une urbanisation dépendante des quais

L’intégration complète de l’île Gloriette à la ville ne peut se mettre en place avant la création de quais pour mettre hors d’eau les terrains. En effet, au début du 19e siècle, seule la rive nord de l’île possède des quais (quais de l’hôpital et quai de l’île Gloriette) dont les cales ont été bâties au fur et à mesure du lotissement des parcelles selon l’alignement décidé par l’architecte-voyer. En revanche, en arrière du front bâti, seules des lignes de pieux soutiennent la terre le long de la boire intérieure, et la rive sud est entièrement naturelle.

Projet de raccordement du quai de l'île Gloriette au pont Maudit

Projet de raccordement du quai de l'île Gloriette au pont Maudit

Date du document : 1845

En 1806, M. Cossin achète la pointe aval de l’île Gloriette et l’enferme d’un mur de quai. Il exhausse le terrain bas, vaseux et submersible pour le mettre au-dessus des crues ordinaires de la Loire. Puis, il y installe un chantier de construction navale dont la présence participe à l’expansion de l’île. Cossin est bientôt rejoint par les chantiers Guibert qui s’installent au n°19. Gloriette offre un environnement plus propice à la construction navale que le quai des constructions  (actuel quai de l’aiguillon) où la pression foncière le réduit comme peau de chagrin.

En 1816, la nécessité de créer un quai entre le pont maudit et le pont de Belle-Croix commence à être évoqué mais la Ville ne pouvant engager de finances, sa construction est repoussée.

En 1825, le préfet relance le projet mais la Ville refuse une nouvelle fois de participer à la dépense, entraînant encore l’ajournement du projet. En 1835, les discussions se crispent à nouveau : l’administration des Ponts et Chaussées qui est en charge de l’entretien des quais soulève l’argument d’embellissement et commodité pour la ville pour la construction du nouveau quai de l’hôpital et refuse d’engager le projet si la Ville ne prend pas la moitié du coût à sa charge. A force de négociation, la Ville accepte de s’engager dans le projet et les travaux commencent en 1840 et s’étalent sur plusieurs années. Cales après cales, le nouveau quai de l’Hôpital contribue à l’embellissement de cette partie de la ville, facilitant la circulation des voitures depuis la ligne des ponts jusqu’au pont maudit. Il fait disparaître complètement les égouts qui étaient découverts à l’époque des basse-eaux et exhalaient des « miasmes fétides ». Le nouveau quai de la rive nord est rapidement intégré au port maritime : en 1853, la partie orientale de la cale Deurbrouck est mise à disposition des bateaux sardiniers malgré des dispositions peu propices à l’accueil de la foule de marchandes qui viennent récupérer les sardines.

En parallèle, au sud, la construction du quai Moncousu entreprise dès 1841 consolide la rive, facilite l’urbanisation du secteur et la gestion du port.

Plan d'élévation du mur de quai et des cales projetées sur le bord méridional de l'île Gloriette

Plan d'élévation du mur de quai et des cales projetées sur le bord méridional de l'île Gloriette

Date du document : 1838

Dès lors, la rive sud proche de la ligne des ponts devient un secteur vital de la vie commerciale nantaise : le quai Monsousu dévolu au débarquement du foin produit en amont et en aval de Nantes ainsi qu’au débarquement du bois est toujours encombré. Entre le quai Moncousu et l’extrémité orientale de l’île, un mur en perré permet la création d’une chaussée.

Quai Moncousu

Quai Moncousu

Date du document : 1917-1977

A la même époque, le pont maudit fermé à la circulation depuis 1829 est reconstruit en pierre. Au terme de ces travaux, l’île devient, en 1841, une zone habitable bordée de quais favorables au commerce portuaire.

Un nouveau quartier fluvial

En 1850, le projet de reconstruction de l’Hôtel-Dieu est lancé. Le nouvel édifice composé de neuf bâtiments de soins, de deux gros pavillons d’administration, d’une chapelle et de jardins occupe presque la moitié de l’île.

Avec l’expansion du port, Gloriette devient un lieu recherché par certains industriels sur lequel l’urbanisation s’effectue de manière anarchique. En 1876, le chantier Godard demande l’établissement d’une voie de chemin de fer sur le quai nord pour le passage de wagonnets en direction de son usine située à la pointe de l’île Gloriette. En 1886, la Compagnie des charbons et usines à briquettes de l’ouest fait la même demande.

Pointe de l'île Gloriette prise du quai Fernand Crouan

Pointe de l'île Gloriette prise du quai Fernand Crouan

Date du document :

Le quai nord s’encombre de plus en plus. Sans trottoir ni fontaine, il devient mal pratique pour les passants. Pourtant, le quai de la rive nord est considéré comme une promenade qui mène au square « du bout du monde », établi à la pointe orientale de l’île par les Ponts-et Chaussées. Mais peu à peu ce square se dégrade car l’Etat ne l’entretient pas et que la pollution causée par la poussière des dépôts de charbon environnants tue les magnolias et les platanes. En déshérence, il est remis à la Ville par les Ponts et Chaussées en 1892.

Plan de l'entretien d'un terrain domanial situé à l'extrémité ouest de l'île Gloriette

Plan de l'entretien d'un terrain domanial situé à l'extrémité ouest de l'île Gloriette

Date du document : 1892

En 1927, l’Etat décide de combler le bras de la Bourse et le bras de l’Hôpital. Les travaux obligent à remodeler le profil de l’île. Les travaux sont adjugés à l’entreprise des travaux publics de l’Ouest qui n’interviendra qu’en 1940. En 1936, une demande est faite pour détruire des immeubles vétustes de la pointe de l’île Gloriette qui servent de refuge aux sans-abris. Puis, en 1940, des baraquements pour les travailleurs nord-africains sont installés sur les terrains déblayés.

Île Gloriette

Île Gloriette

Date du document : 11-1927

En parallèle des comblements, les destructions engendrées par la Seconde Guerre mondiale  entraîne la métamorphose de l’île. L’Hôtel-Dieu très impacté par les bombardements de 1944 est reconstruit. Le nouveau CHU occupe l’intégralité des terrains de l’Hôtel-Dieu. Il entraîne également un nouvel alignement de la chaussée de la Madeleine et un réaménagement de la trame urbaine environnante. Sur la pointe de l’île, la municipalité met en œuvre la piscine Gloriette en 1951 et lance la construction de l’immeuble d’habitation qui offrent à ses habitants une vue imprenable sur Loire.

Île Gloriette, l'hôpital vu du haut du pont Transbordeur

Île Gloriette, l'hôpital vu du haut du pont Transbordeur

Date du document :

Les comblements des bras de la Loire mettent un terme à l’histoire de l’île. Rattachée à la rive nord et au centre-ville, Gloriette perd son caractère insulaire pour devenir un quartier urbain comme les autres. Progressivement, ses usines disparaissent laissant comme point de mire, le nouveau CHU, reconstruit après la guerre. Le caractère hospitalier de l’île s’est affirmé jusqu’au 21e siècle comme la vocation première de l’île Gloriette.

Entre 1985 et 1987, une voie rapide sur berge est construite pour doubler les anciens quais au sud de Gloriette.

En 2020, le choix de déplacer définitivement l’hôpital va obliger à réinventer la fonction de ce secteur urbain.

Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021

 

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