Jean Rigollet (1931 - 1955)
Un homme est mort le vendredi 19 août 1955 sur le cours des Cinquante Otages. Jean Rigollet, ouvrier maçon de 24 ans, est mortellement blessé par balle alors qu’il participe à une manifestation. Pour les participants, le tir émane des CRS. La version du préfet est très différente, il accuse des « provocateurs qui ont tiré, des trotskistes si l’on veut, des gens descendus des gradins du cirque un instant pour exciter la bataille des gladiateurs et la rendre irréconciliable ». Cette mort cristallise l’histoire d’un mouvement social et sa mémoire et contribue à façonner une image de Nantes.
C’est à Saint-Nazaire que le mouvement débute en mars par une grève des soudeurs de la construction navale ; ils protestent contre une réduction du « boni », la part variable d’un salaire déjà inférieur de 30% à celui des ouvriers de la métallurgie parisienne. Le mouvement s’étend: aux grèves succèdent le lock-out patronal et les affrontements souvent violents avec les CRS. Le 1er août, la grève générale illimitée est décidée. Le patronat accepte la négociation qui aboutit le 20 août à une augmentation de 22% des salaires.
Les syndicats nantais réclament l’égalité avec les Nazairiens. Le 17 août, le patronat octroie l’augmentation demandée, mais dénonce le soir un accord qu’il estime signé sous la contrainte. Le lock-out est décidé, les CRS occupent les entreprises métallurgiques. Le 18, les affrontements sont violents, des manifestants sont arrêtés. Le 19, les ouvriers se rassemblent devant la préfecture pour exiger leur libération, Jean Rigollet est tué. Le 23 août, plusieurs milliers de Nantais assistent à ses obsèques. Cette mort ne modifie pas la situation : le patronat décide de fermer les usines le 8 septembre ; ce second lock-out provoque de nouveaux affrontements entre police et ouvriers qui occupent les rues de Nantes. La médiation d’André Morice, alors ministre du Travail, relance les négociations. Après 49 jours de lutte, les ouvriers obtiennent en partie l’augmentation réclamée et reprennent le travail.
Le mouvement nantais a un retentissement national. Paris-Match titre : « La France des grèves a pour capitale Nantes ». Cette image explique en partie, le 14 octobre 1955, le refus de la majorité municipale de droite de poser une plaque à la mémoire de Jean Rigollet. La combativité, redoutée ou enviée, de la classe ouvrière est attribuée soit à une tradition d’anarcho-syndicalisme, soit à la recherche de l’unité d’action syndicale. Jusqu’en 1968, cette unité s’exprime tous les ans dans l’hommage « au martyr de la classe ouvrière » par le dépôt d’une gerbe sur le lieu de sa mort. En 1982, sa mémoire est réactivée par Jacques Demy dans son film Une chambre en ville. Cette transposition fictionnelle fait du maçon Rigollet un plus emblématique métallo ; son histoire d’amour avec Édith lisse l’image de guerre sociale. Cette sorte d’opéra filmé évoque aussi métaphoriquement la fin d’un monde. Pour Nantes, elle intervient cinq ans après le tournage du film avec la fermeture du dernier chantier naval. C’est en 2006, que le Conseil municipal décide à l’unanimité d’apposer sur le cours des Cinquante Otages une plaque qui rappelle la mort de Jean Rigollet, sans faire référence à ses responsables.
Didier Guyvarc'h
Extrait du Dictionnaire de Nantes
(droits d'auteur réservés)
2018
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Bibliographie
Guiffan Jean, « Une chambre en ville : la grande grève de l’été 1955 à Nantes », dans Croix, Alain (dir.), Nantes dans l’histoire de la France, Ouest-éd., Nantes, 1991
Guyvarc’h Didier, La construction de la mémoire d’une ville : Nantes, 1914-1992, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq, 1997
Rochcongar Yves, « Les grèves de la métallurgie nantaise à Nantes pendant l’été 1955 », Agone [En ligne], n°33, 2005 [Consulté le 11/01/2021]
https://agone.org/revueagone/agone33/enligne/9/index.html#debut-chapitre
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Didier Guyvarc'h
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