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Le dessous des sols : fouille archéologique de la place Félix-Fournier Rue Urvoy-de-Saint-Bedan

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Monument à Adolphe Billault


En septembre 1867, un monument à Adolphe Billault, ministre d’État du Second Empire décédé quatre ans plus tôt, est inauguré place du Palais de Justice (actuelle place Aristide-Briand). Cet ouvrage imposant a la particularité d’avoir une très courte vie dans l’espace public. La statue de Billault est en effet déposée le 5 septembre 1870, dès le lendemain de la chute du Second Empire.

Qui est Adolphe Billault ?

Né à Vannes en 1805, Adolphe Billault se forme au droit à Rennes. Il s’y lie avec son contemporain, Ange Guépin, qui deviendra une figure majeure de la vie politique nantaise au 19e siècle, aux idées républicaines et socialistes. Il s'installe comme avocat à Nantes à la fin des années 1820 où il acquiert rapidement une solide réputation grâce à ses qualités d'orateur.

À partir de 1830, il double sa carrière de juriste d'un itinéraire politique qui traverse la monarchie de Juillet, la Deuxième République et le Second Empire. Il est d’abord conseiller municipal à Nantes où il s’est établi après son mariage avec la fille d’un riche armateur, Guillaume Bourgault-Ducoudray. Il devient ensuite conseiller général puis député d’Ancenis à partir de 1837. Il s'illustre alors par des positions libérales et sociales visant à améliorer la condition ouvrière, à développer un système de protection sociale, à assurer une meilleure répartition des bourses d'étude en faveur des élèves issus des milieux les moins aisés. Représentant de la Loire-Inférieure à l'Assemblée Constituante réunie après la Révolution de 1848, il se rapproche finalement de Louis-Napoléon Bonaparte au début des années 1850 et se rallie au Second Empire. Il occupe alors les postes de ministre de l'Intérieur, de sénateur et de ministre sans portefeuille. À son décès, survenu le 13 octobre 1863 au château des Grézillières à Basse-Goulaine, il est, en tant que ministre d’État, un des premiers dignitaires du Second Empire.

Le projet de monument

Dès le lendemain du décès de Billault, le maire de Nantes, Ferdinand Favre, propose au conseil municipal d’ériger un monument en son honneur, et de le financer par le biais d’une souscription nationale. Le conseil adopte sa proposition et, dès le 31 octobre 1863,  fixe la participation de la Ville à 10 000 francs.

On décide que ce monument prendra place devant le palais de Justice, c’est-à-dire au cœur du centre judiciaire de la ville que la gendarmerie et la prison, alors encore en construction, doivent bientôt parachever. La commission nommée pour organiser un concours artistique peine à en écrire le programme. La question de la tenue dans laquelle Billault doit être représenté focalise le débat : à quel moment de sa longue carrière le monument doit-il faire allusion ?  On choisit en définitive de le figurer en costume de ministre, revêtu de son habit brodé et de ses décorations.

Une trentaine de candidats présentent leur maquette, lors d’un premier concours qui n’aboutit pas. À l’issue d’un second, la commission choisit le sculpteur nantais Amédée Ménard, associé à l’architecte Joseph-Fleury Chenantais. Les deux hommes ont déjà collaboré à l’occasion de la construction du palais de Justice, dont Chenantais et Saint-Félix Séheult ont signé les plans, et pour la façade duquel Ménard a exécuté deux figures allégoriques : La Loi et La Force. Chenantais est aussi l’architecte du château des Grézillières construit entre 1846 et 1848 pour Adolphe Billault.

Leur œuvre est très proche de l’avant-projet de juin 1864 qui avait servi à établir le règlement. La statue fait 3,10 mètres de haut ! Elle est entourée de quatre allégories, assises sur son socle polygonal en granit et calcaire. L’ensemble monumental culmine à presque 9 mètres. Il est entouré d’une grille conformément aux canons de l’époque, et éclairé par des candélabres alimentés au gaz. La principale modification réside dans le choix d’allégories en lieu et place des quatre anges éplorés de l’avant-projet de 1864.

La carrière professionnelle et politique de Billault est symboliquement évoquée par ces figures féminines qui incarnent respectivement la Justice, l’Éloquence, la Jurisprudence et l’Histoire. La Justice est représentée avec ses attributs traditionnels, la balance illustre la recherche d’équité et l’épée suggère son caractère répressif. L’Éloquence tient un parchemin sur lequel sont inscrits les noms de deux grands orateurs de l’Antiquité, l’Athénien Démosthène et le Romain Cicéron. La Jurisprudence présente une tablette sur laquelle sont gravés les noms de l’empereur Romain d’Orient Justinien et du juriste français Jacques Cujas, tous deux reconnus pour leurs œuvres fondatrices de compilation législative. L'Histoire, enfin, observe, écoute et écrit. Sur le piédestal, des inscriptions rappellent plus factuellement son parcours.

Au printemps 1867, l’ensemble des figures est fondu par le fondeur nantais Voruz. Si le grand homme est en bronze, les quatre allégories, elles, sont en fonte de fer. Ce matériau, plus économique est aussi plus fragile : il doit être peint afin de ne pas s’oxyder. En l’occurrence, une stratigraphie de la couche colorée a récemment révélé une coloration cherchant à imiter la patine du bronze du grand homme. À en croire les récits que la presse a laissés de l’inauguration, cela a fait illusion.

Une inauguration fastueuse

Le 15 septembre 1867, le monument est inauguré en grande pompe sous la présidence du ministre des Finances du Second Empire, Rouher. De grands mâts sont dressés autour du monument et décorés de guirlandes de buis, de drapeaux, d’écussons et de grands aigles dorés.

En plus des places réservées aux autorités et aux 120 invités sur les estrades construites autour du monument, 1900 places assises sont prévues sur la place. L’inauguration est suivie d’un feu d’artifices et d’un dîner donné à Graslin. L’évènement est relayé dans la presse nationale, le faste est à la mesure de l’importance du personnage sous le Second Empire… tout comme la rapidité de l’éviction de la statue trois ans après !

La chute de du Second Empire et le déboulonnage de la statue

La défaite de Sedan et sa conséquence, la reddition de l’armée française dans la guerre franco-allemande, provoquent la chute du Second Empire le 4 septembre 1870. Le jour même, le maire de Nantes René Waldeck-Rousseau, opposant au régime, proclame la République à l’Hôtel de Ville. L’agitation politique qui règne alors fait craindre à la Ville de possibles actes de vandalisme sur ce monument honorant une des grandes figures du régime déchu. Le maire décide dès le lendemain de faire déboulonner la statue de Billault et de la mettre à l’abri dans les caves du palais de Justice.

Compte-tenu de ses engagements républicains, la décision du maire comporte probablement une forte dimension politique. Néanmoins, cette précaution ne fut sans doute pas inutile. En effet, l’autre monument qui lui avait été dédié, situé à Saint-Girons dans l’Ariège, est mutilé dans la nuit du 6 au 7 septembre 1870 : sa statue est « arrachée de son piédestal et renversée ».

Le piédestal, les allégories et la grille ne sont démontées qu’en 1872 au moment où le conseil municipal envisage de les réutiliser pour un monument aux morts de la guerre de 1870, alors prévu pour la place Launay (actuelle place Mellinet). C’est finalement un tout autre ensemble qui est inauguré en 1897 à l’extrémité du cours Saint-Pierre.

Le monument, démonté, demeure dans les caves du palais de Justice.

Un monument amputé et oublié… jusqu’en 2023

Ce n’est qu’en 1925 que la statue de Billault réapparaît : elle est installée, seule, dans le jardin du musée Dobrée. Déposée de nouveau à l’automne 1941, elle fait partie des premières statues nantaises envoyées à la fonte dans le cadre de l’opération de mobilisation des métaux non ferreux menée par l’État français sous l’Occupation.

Il ne reste désormais du monument que les éléments accompagnant sa figure principale. Dans les années 1970, les figures allégoriques sont transférées à la Garenne-Lemot, sans pour autant y être véritablement exposées. Elles sont finalement déposées dans un dépôt de la Ville de Nantes avec les éléments du piédestal en pierre dans les années 1990.

Les quatre allégories sont sorties des réserves et présentées devant le nouveau palais de Justice à l’occasion de l’évènement estival du Voyage à Nantes 2023.

Aurélie De Decker
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2023

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