Fabriques d’indiennes du faubourg des ponts (1/2)
À partir de la seconde moitié du 18e siècle, l'implantation des manufactures d’indiennes transforme le faubourg des Ponts en un véritable quartier industriel et ouvrier.
L’eau et les prés comme facteurs d’industrialisation
Au début du 19e siècle, le projet de reconstruction d’une digue sur la boire de Biesse, séparant la Prairie au Duc de l’Île de Grande Biesse, soulève une forte opposition des habitants, des industriels et des artisans du quartier des Ponts pour qui l’eau était la raison même de leur installation sur la chaussée : « Cette digue anéantira quatre manufactures d’indiennes, occupant encore plus de 600 ouvriers journellement ; six chamoiseries, cinq chapèleries, une amidonnerie, une filature, une tannerie, deux colleries, deux teintureries, quatre chaudronneries sans y comprendre un nombre indéfini de petits établissements de tout genre, à qui l’eau est nécessaire pour l’exploitation de leurs travaux.(…). »
Cette pétition révèle la forte présence de l’activité textile dans le quartier des Ponts, activité qui s’est déployée à partir du 17e siècle dans un environnement propice : l’alimentation en eau et les rejets faciles, de vastes prairies pour le séchage, à proximité d’un axe de communication majeur, attirent de nombreux entrepreneurs.
Dès le 17e siècle, cette configuration avait permis l’implantation de tanneries, de mégisseries et de chamoiseries. Cette activité s’est maintenue durablement dans le quartier puisqu’en 1843, trois tanneries et six chamoiseries sont déclarées entre les deux bras de la Loire. Mais c’est à partir de 1763 que l’industrialisation du quartier est amorcée avec l’établissement de grandes manufactures d’indiennes qui vont contribuer à son modelage urbain.
Détail de la lithographie   Nantes à vol d'oiseau – vue prise au-dessus du quartier Saint-Clément  
Date du document : années 1840
Les fabriques d’indiennes : une industrie prospère entre 1760 et 1840
Au 18e siècle, Nantes est un port commercial dont le dynamisme attire les artisans. La ville a investi dans le grand commerce maritime avec les îles à sucre des Antilles. Pour fournir les plantations en main-d’œuvre, les Nantais se spécialisent dans le commerce et le transport des esclaves, échangés, entre autres, contre des indiennes. En lien avec ce commerce maritime, l’activité manufacturière connaît un grand essor. Raffineries de sucre et fabriques d’indiennes constituent alors les points forts du développement industriel de la cité des ducs. La ville s’engage en effet dans la première révolution industrielle avec l’activité cotonnière et plus particulièrement à partir de 1759 grâce à la libéralisation de l’indiennage.
Le commerce des indiennes
Ce terme générique désigne des pièces de coton imprimées et pinceautées, réalisées en Inde. Les deux secteurs privilégiés de diffusion des indiennes se mettent en place au 17e siècle : monnaie d’échange entre les négociants européens et les négriers africains qui les apprécient particulièrement, d’une part, et importation en Europe où les indiennes plus travaillées gagnent la faveur des classes privilégiées, d’autre part. Rapidement, la qualité de ces cotons éveille la crainte d’une concurrence inégale chez les producteurs européens de textiles. Leur importation et leur production sont alors interdites en France à partir de 1686. La levée de cette prohibition 73 ans plus tard a un effet quasi immédiat sur l’industrie nantaise.
Les manufactures nantaises
De grandes manufactures d’indiennes voient en effet le jour dès 1760, à l’initiative des familles protestantes, originaires de Suisse ou de Prusse. La production d’indiennes était autorisée en Suisse pendant la période de prohibition. Les familles Langevin, Gorgerat, Petitpierre, Daviès, Pelloutier, De Vries, Dubern créent des entreprises solides, qui placent Nantes parmi les grandes villes de l’indiennage français.
En 1785, neuf fabriques emploient 4 000 ouvriers et produisent près de la moitié de la richesse locale. C’est en effet à Nantes, premier port de France, que sont débarqués les produits utilisés pour leur fabrication : coton, cotonnades blanches, colorants, mordants venant d’Inde ou des colonies antillaises.
À côté de la production alimentant les marchés français, européen et colonial, une part importante des toiles nantaises est destinée à la traite des Noirs. Ces dernières comptent pour la moitié au moins de la valeur de la cargaison de traite. Aussi, à partir des années 1770, certaines manufactures, comme Petitpierre, mettent en place une production spécifique. Si les manufactures nantaises produisent encore de très belles indiennes vers 1810-1815, elles connaissent un irréversible déclin à partir des années 1820-1830. Le changement de mode et surtout l’interdiction en France de la traite (1817), puis de l’esclavage (1848) mettent un terme à cette activité textile que soutenait jusque-làl’économie du système esclavagiste.
Suite Fabriques d’indiennes (2/2)
Nathalie Barré
Archives de Nantes
2021
En savoir plus
Bibliographie
Archives de Nantes, Le quartier des Ponts, coll. Quartiers, à vos mémoires, Nantes, 2021
Gaillard, Alain, Les Petitpierre indienneurs à Nantes, 2010
Guicheteau, Samuel, La révolution des ouvriers nantais : le façonnement d'une identité sociale et culturelle, des années 1760 aux années 1830, mémoire de thèse, Université Rennes 2, 2006
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Rédaction d'article :
Nathalie Barré
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