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Fronts urbains autour des rives de Loire Observatoire du Petit-Port

1739

Le Lasseur


Boulevard Lelasseur, hôtel Lelasseur… Derrière ce nom se cache l’histoire d’une famille de la bourgeoisie nantaise qui s’est hissée jusqu’à la noblesse, illustrant les mécanismes d’ascension sociale permis par l’activité commerciale et portuaire de Nantes.

Une famille de négociants

La famille Le Lasseur est originaire de la région nantaise. Au 17e siècle, ses membres font carrière dans le commerce, à une époque où le port de Nantes se développe considérablement grâce aux échanges transatlantiques. Marin Le Lasseur, né en 1596, est un marchand de grain installé à Nantes. Ses fils ainsi que leurs enfants poursuivent dans cette voie en devenant négociants ou capitaines de navire. Les filles Le Lasseur, quant à elles, sont mariées à des marchands et des personnalités occupant des postes dans l’administration. Cette famille se hisse progressivement dans la hiérarchie sociale grâce à sa fortune et en tissant des liens avec d’autres familles nantaises influentes.

L’ascension sociale des Le Lasseur se confirme au 18e siècle. René François Le Lasseur, né en 1723, occupe des fonctions clés, notamment dans l’administration judiciaire locale. Il est conseiller du roi et juge magistrat au siège présidial et sénéchaussée de Nantes. L’une de ses filles épouse Jacques Amable Bellabre, le fils du maire de Nantes Mathurin Bellabre. Le frère de René François, Jean René, seigneur de Ranzay, possède également un statut local important. Après des études de droit à Paris, il occupe tout comme son frère des charges dans l’administration : juge au siège présidial et sénéchaussée de Nantes, commissaire intermédiaire des États de Bretagne au bureau de Nantes. Il est également administrateur de l’Hôpital général du Sanitat et sous-maire de Nantes pendant une courte période de 1768 à 1769.

Quai de la Fosse et port de Nantes

Quai de la Fosse et port de Nantes

Date du document : 1963

René François Le Lasseur, un grand bourgeois nantais

Mais surtout, c’est la carrière de René François Le Lasseur fils qui évoquera le mieux l’ascension sociale de cette famille de la moyenne bourgeoisie nantaise. En 1784, il devient avocat général à la Chambre des comptes, l’instance chargée de l’examen des comptes des gestionnaires des terres du roi et de la conservation du domaine royal. L’entrée à la Chambre des comptes était une solution simple pour la bourgeoisie d’accéder à la noblesse. En effet, il suffisait d’acheter une charge pour avoir sa place au sein de cette cour, ce qui était accessible financièrement à la moyenne et la haute bourgeoisie. René François Le Lasseur put d’autant plus facilement accéder à la Chambre des comptes que sa mère est la belle-sœur de René Budan, l’ancien avocat général ayant résilié sa charge, ce qui lui permet d’accéder à cette fonction.

En 1789, la Révolution française éclate et les révolutionnaires suppriment la Chambre des comptes en 1790. N’ayant pas exercé sa charge pendant les 20 ans conditionnant l’annoblissement, cette décision met fin aux espoirs de René François Le Lasseur de monter dans la hiérarchie sociale. Malgré ces épreuves, il ne semble pas hostile aux principes révolutionnaires pendant les premières années de cette période. Ainsi, il s’engage dans la garde nationale de Nantes sous la Constituante. Le basculement aura lieu suite à la prise des Tuileries le 10 août 1792 et la chute de la monarchie. Les anciens membres de la Chambre des comptes sont alors vus comme suspects par les révolutionnaires, et René François Le Lasseur est pris à partie lors de la Terreur.

Gravure de la Chambre des comptes de Bretagne à Nantes

Gravure de la Chambre des comptes de Bretagne à Nantes

Date du document : 15-12-1775

Malgré tout, il parvient à échapper à la répression orchestrée par les révolutionnaires. Comme d’autres propriétaires terriens, il se retire sur ses terres pour en assurer la gestion en attendant la fin des troubles. L’ancien avocat général possède plusieurs immeubles en ville, notamment l’hôtel Lelasseur qu’il a acheté en 1788. Il fournit régulièrement des certificats de résidence pour ne pas être inscrit sur la liste des émigrés et éviter la confiscation de ses propriétés. Une fois la monarchie restaurée, il profite de sa position de rentier pour agrandir son domaine. Ainsi, il acquiert le Bois-Hue (1823), la Loge près de la Chantrerie, la Sauzinière entre la route de Vannes et la route de Rennes, la Renaudière à Couëron (1830), la Bouvardière à Saint-Herblain, les terres de la Bastière à Saint-Philbert-de-Grandlieu, des borderies à Mauves, le Verger à Doulon (1829) et d’autres. Il s’éteint en 1838 sans avoir eu d’enfant.

La création du boulevard Lelasseur

En 1838, le baron Charles Guillaume Le Lasseur hérite du domaine de la Sauzinière suite au décès de son parent René François Le Lasseur. Ce banquier et homme d’affaires est administrateur de plusieurs grandes sociétés financières et industrielles. Il est marié à Octavie Perier, la nièce de Casimir Perier, homme politique influent sous la Seconde Restauration et les premières années de le Monarchie de Juillet. Charles Le Lasseur vit à Paris bien qu’il possède toujours des propriétés à Nantes, sa ville natale.

Parmi ces biens, le domaine de la Sauzinière couvre une superficie de 320 hectares entre l’actuelle route de Rennes à l’est et l’actuelle route de Vannes à l’ouest. Cette terre, traversée par le Gué-Moreau, comprend des moulins, des métairies, un certain nombre de lieux-dits (Grand Moulin, Petit Moulin, La Grenouille, Belanton, etc.) ainsi qu’un château composé de trois bâtiments, construit autour d’une cour intérieure. Le château actuel, fait de briques et doté de quatre tourelles d’angle dans le style Napoléon III, est édifié en 1867.

Dans les années 1830, la municipalité nantaise propose un plan d’alignement qui prévoit la création d’un boulevard rectiligne partant de l’Hermitage jusqu’au futur rond-point de Rennes et une voie partant de ce même rond-point jusqu’au pont de Barbin, sur l’Erdre. En 1842, le baron Charles Le Lasseur met sur la table un nouveau projet de boulevard traversant sa propriété de la Sauzinière. La Ville valide ce plan, à condition que le baron cède le terrain tandis qu’elle financerait la percée de cette nouvelle voie. Ce n’est qu’en 1847 que les travaux sont réalisés.

Rond-point de Rennes et boulevard Lelasseur

Rond-point de Rennes et boulevard Lelasseur

Date du document : 12-08-1964

À partir des années 1860, l’urbanisation du quartier s’accélère et des parcelles du domaine de la Sauzinière, comprenant de nombreuses tenues maraîchères, sont vendues les unes après les autres. En 1884, Charles Le Lasseur décède. Des notaires sont engagés par les héritiers du baron afin de lotir le domaine en vue de son aménagement. Certains de ces notaires ont donné leur nom à de nouvelles voies percées dans le quartier : Georges Bizot, Albert Dory, Henri Jullin. Cette division parcellaire explique l’aménagement de nombreux lotissements pavillonnaires qui constituent de nos jours le quartier Longchamp. En 1885, les premières demeures bourgeoises sont construites le long du boulevard arboré, nommé d’après l’ancien avocat de la Chambre des comptes.

En 1911, l’évêque Monseigneur Rouard achète, à l’aide d’une souscription, une parcelle de la Sauzinière aux abords du château pour y construire un nouveau séminaire, l’actuel séminaire Saint-Jean.

Gilbert Le Lasseur de Ranzay, l’aventurier

Né en 1884, Gilbert Le Lasseur de Ranzay est un aviateur nantais. Il est le fils de l’homme de lettres Louis Le Lasseur de Ranzay et le petit fils du baron Charles Guillaume Le Lasseur. Il passe son brevet de pilote à Pau en avril 1911 et possède un monoplan Blériot XI à deux places en tandem. Après avoir obtenu son brevet, il participe à la course aérienne Paris-Madrid en mai de la même année, qu’il est contraint d’abandonner en raison d’une panne.

Portrait de Gilbert Le Lasseur de Ranzay

Portrait de Gilbert Le Lasseur de Ranzay

Date du document : 25-12-1912

En août, il décolle d’Étampes pour se rendre en aéroplane à Nantes. Ce voyage se fait par étapes, jusqu’à son atterrissage à l’aérodrome de la Prairie aux Mauves. En septembre 1911, il participe à une nouvelle course aérienne franco-italienne sur le parcours Bologne-Venise-Rimini-Bologne, qu’il est une nouvelle fois contraint d’abandonner. Puis, il réalise une traversée des Apennins en compagnie du Baron Della Noce et se pose à Sienne.

Gilbert Le Lasseur de Ranzay recevant des conseils du pilote Léon Lemartin

Gilbert Le Lasseur de Ranzay recevant des conseils du pilote Léon Lemartin

Date du document : 27-05-1911

Alors qu’il comptait s’engager aux côtés de l’armée italienne combattant en Afrique du nord, il décède prématurément en janvier 1912 de la fièvre typhoïde à Florence. Peu après sa mort, une plaque commémorative est posée sur la façade du palais de la place d’Armes de Sienne afin de rendre hommage aux exploits de l’aviateur.

Alain Maffray
Noémie Boulay, Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2021



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En savoir plus

Bibliographie

Fortineau, Gilles, Gautier, Vincent, Pittard, Alain, Saint-Pasquier, histoire d'un quartier, centenaire d'une église, 1908-2008, Coiffard, 2007

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Rédaction d'article :

Alain Maffray ,  Noémie Boulay

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