Fabriques d’indiennes du faubourg des ponts (2/2)
Une fabrique de toiles peintes exige la proximité d’une rivière, de vastes prairies et des greniers élevés et aérés pour le séchage, ainsi que des bâtiments permettant d’y installer des magasins et des ateliers pour l’impression et la teinture. C’est pourquoi, l’environnement naturel des îles ligériennes attire les premières manufactures d’indiennes à partir de 1763 : elles y disposent de la place nécessaire à leur activité, puis à leur extension.
« On blanchit aux environs de Nantes une grande quantité de toiles, les prés en sont couverts »
Détail de la lithographie   Nantes à vol d'oiseau – vue prise au-dessus du quartier Saint-Clément  
Date du document : années 1840
La première entreprise qui se développe durablement et qui rencontre le succès est celle qui associe le Neuchâtelois Pierre Gorgerat et le négociant Louis Langevin. En 1763, ils s’installent sur l’Île de Petite Biesse en achetant une maison au lieu-dit Beauséjour dans laquelle ils entreprennent d’importantes transformations. « Ma fabrique est à présent située sur les ponts, près des Récollets, où j’ai fait bâtir et disposer une maison propre pour toutes mes opérations, environnée de la rivière Loire et de prairies cy-après », rapporte Louis Langevin en 1766. Entre 1763 et 1779, la manufacture reçoit deux bâtiments spécifiques, l’un pour l’impression, l’autre pour l’étendage. Quatre mille pièces fabriquées chaque année par une centaine d’ouvriers sortent des ateliers au début des années 1770. En 1779, la veuve Daviès prend la tête de l’entreprise, avant de s’associer à son gendre pour former la maison Daviès et Forestier à partir de 1788.
Vue du pont et de la rive sud du bras de la Madeleine
Date du document : vers 1820
À la suite de ces deux pionniers, le lieu-dit Beauséjour devient un site privilégié pour l’implantation de nouveaux établissements comme celui fondé par la famille Pelloutier. En 1770, Kuster et Jean Ulrich Pelloutier, deux négociants prussiens et protestants, engagés dans le grand commerce maritime, fondent une manufacture. En 1780, à la mort de Jean Ulrich, son fils Ulrich Auguste reprend les rênes de la fabrique, avec un nouvel associé, l’Alsacien Benoît Bourcard. La fabrique, domiciliée rue Beauséjour (actuelle rue Alexandre-Fourny), est connue sous la raison sociale Pelloutier, Bourcard et Cie. En 1786, les deux associés étendent leurs activités au nord de la boire de Toussaint sur un terrain de 6 300 m². Trois années plus tard, ils parviennent à se faire concéder par la Ville un atterrissement, en face de leur usine, dans la boire des Récollets. La requête présentée à cet effet au maire et échevins le 27 février 1789 indique : « Qu’étant possesseur d’une manufacture d’indiennes et d’une filature de coton mécanique anglaise et tissage de toutes sortes de coton possible qui, réunis, donnent du travail à plus de 600 personnes, il a besoin d’augmenter son local pour le blanchissage de différentes marchandises qu’il fait imprimer en matières qu’il emploie et voulant en outre faire bâtir une garancerie et teinturerie dans un local qui lui soit propre et qui soit proche d’une eau courante il vous plaise de lui vendre l’atterrissement appartenant à la communauté (…). »
Étendage des toiles sur les prairies situées à l’arrière des fabriques installées à Beauséjour
Date du document : vers 1820
Au cours de la décennie 1770, deux autres fabricants d’indiennes s’installent à Beauséjour : Samuel Rother à partir de 1775 et le négociant nantais Pierre Dubern en 1776 avec l’appui financier de Graslin et le concours technique d’un indienneur hollandais, Christophe de Vries. C’est également au cours des années 1770 que de nouvelles fabriques s’implantent sur l’Île de Vertais. Ainsi, en 1772, l’ancien associé de Louis Langevin, Pierre Gorgerat, ouvre une manufacture avec ses frères dans la maison dite de Beaupréau sur l’Île de Vertais. L’entreprise se développe sur la Prairie d’Amont. C’est sur cette même île, dans la partie aval, que Simon-Louis et Ferdinand Petitpierre fondent en 1770 la manufacture d’indiennes Petitpierre Frères. Originaires de Couvet dans le canton suisse de Neuchâtel, les deux frères arrivent à Nantes en 1763. À partir de 1765, la famille Petitpierre noue des liens matrimoniaux avec la famille Favre lorsque Marguerite, soeur de Simon-Louis et de Ferdinand, épouse, en Suisse, Antoine Favre. Parents du futur maire de Nantes, Ferdinand Favre, ils quittent leur pays natal en 1793 pour rejoindre leurs frères, beaux-frères et... gendre puisque Ferdinand Petitpierre a épousé une de leur fille, Rose-Marguerite. Les deux familles vont ainsi s’établir durablement dans cette partie du faubourg des Ponts.
En 1771, Simon-Louis et Ferdinand créent puis développent leur manufacture d’indiennes sur la Prairie d’Abas, appelée plus tard Prairie d’Aval. Locataires dans un premier temps, ils se portent acquéreurs à partir de 1778 de divers bâtiments et prés entre la boire des Récollets et le bras de Pirmil.
En 1780, Simon-Louis décède. Sa veuve, Suzanne, sœur des indienneurs Samuel et Abraham Rother, s’associe à son beau-frère pour enrichir le patrimoine familial. En 1783, l’ancienne faïencerie Fauchier passe ainsi entre leurs mains et l’année suivante, ils deviennent propriétaires des deux maisons qu’ils occupent. Devenue Petitpierre et Compagnie en 1791, l’entreprise s’accroît jusqu’au début du 19e siècle.
Détail de la toile imprimée   Les îles de Loire  
Date du document : vers 1820
En 1799, Ferdinand Petitpierre se retire des affaires et prend sa retraite dans sa propriété Le Clos sur l’Eau à Saint-Sébastien-sur-Loire, acquise la même année. Il loue sa fabrique d’indiennes à son neveu (et beau-frère), Abraham Favre qui la dirige sous la raison sociale Petitpierre et Compagnie. Ferdinand décède quatre ans plus tard. Son épouse, Rose-Marguerite, congédie son frère Abraham en 1806 et nomme ses deux fils, Ferdinand et Aristide, à la tête de la manufacture. Elle désigne comme tuteur son frère Ferdinand Favre, « négociant demeurant en Vertais prairie d’Abas ».
La production d’indiennes dans la manufacture de la Prairie d’Aval perdure jusqu’en 1818. C’est la manufacture qu’Abraham Favre a ouverte au 5, rue Beauséjour, après son congédiement, qui fait perdurer l’activité familiale sous la raison sociale Favre-Petitpierre jusqu’en 1848.
L’entreprise passe aujourd’hui pour avoir été la plus florissante fabrique d’indiennes nantaise. Cette réputation se justifie notamment par le nombre de toiles qu’elle pouvait produire : environ 26 000 pièces par an au milieu des années 1780. La majeure partie de sa production était destinée au commerce avec les côtes africaines.
L’essor du filage
À la fin du 18e siècle, le succès de l’indiennage donne naissance à une nouvelle industrie dans le quartier : les filatures mécaniques de coton, activité emblématique de la première révolution industrielle. Ces manufactures sont voisines des indienneries, avec une prédilection pour l’Île de Grande-Biesse. C’est pourquoi en 1786, la première filature de coton mécanisée est créée rue Grande-Biesse, en bordure de la boire de Biesse, par Louis Saget. Pionnier de la mécanisation de la filature à Nantes, ce dernier explique comment l’activité cotonnière est saisie par une dynamique générale à partir de la production d’indiennes : « La filature de coton sous la raison de Saget et compagnie commencée en 1786 est le premier établissement de ce genre formé à Nantes ; il manquoit dans une grande ville où plusieurs fabriques d’indiennes fleurissoient ; l’objet de cette entreprise étoit de faire filer le coton des isles qui arrivent directement dans ce port et de l’emploier à la fabrication des étoffes ; l’activité ou commerce avec l’Amérique et la côte d’Affrique favorisoit le projet. »
D’autres manufactures suivent sa voie. Plusieurs d’entre elles adjoignent souvent le tissage, voire l’indiennage, à leur activité, comme par exemple la fabrique Pelloutier. Dans les années 1840, l’activité textile s’épanouit essentiellement entre la boire de Toussaint et la rue de l’Échappée. Trois grandes manufactures sont en effet déclarées dans le secteur Beauséjour en 1843 : la fabrique d’indiennes Favre, la filature de coton et de laine Guillemet installée dans l’ancienne maison Pelloutier depuis les années 1810 et la filature de lin mécanique d’Armand Bridon créée en 1837. Dans la même décennie, le lotissement de la Prairie au Duc permet l’implantation de la filature de chanvre Chérot Frères, à proximité de l’église de la Madeleine.
Nathalie Barré
Archives de Nantes
2021
En savoir plus
Bibliographie
Archives de Nantes, Le quartier des Ponts, coll. Quartiers, à vos mémoires, Nantes, 2021
Gaillard, Alain, Les Petitpierre indienneurs à Nantes, 2010
Guicheteau, Samuel, La révolution des ouvriers nantais : le façonnement d'une identité sociale et culturelle, des années 1760 aux années 1830, mémoire de thèse, Université Rennes 2, 2006
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Rédaction d'article :
Nathalie Barré
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