Pierre Louis Athénas (1752 – 1829)
L’histoire est parfois cruelle en oubliant la mémoire de ceux qui ont marqué leur temps. Ces célébrités d’une époque deviennent alors des inconnus de l’histoire… Pourtant, en particulier pour ceux qui se sont investis pour le bien public, il est bon de rappeler leurs hauts faits. Surtout s’ils peuvent servir d’exemple, comme ce nantais d’adoption qu’était Pierre-Louis Athénas que le Dictionnaire de biographie française qualifiait de « savant modeste et laborieux, d’esprit souple et inventif ».
Des études de chimie
Pierre-Louis Athénas naît le 3 février 1752 à Paris, rue Mouffetard, où son père tient une droguerie.
Portrait de Pierre-Louis Athénas par Victor Guerry
Date du document : fin du 18e siècle
Probablement influencé par son père et passant son enfance à mi-chemin entre le jardin du Roy et celui des Pharmaciens de Paris, rue de l’Arbalète, hauts lieux de l’enseignement des sciences naturelles, le jeune Pierre-Louis s’intéresse très tôt à la chimie et devient apprenti à l’apothicairerie de Saint-Germain-des-Prés. Il fréquente les cours de Guillaume-François Rouelle (1703-1770), qui regroupent alors les plus grands noms de cette science, dont le malheureux Lavoisier (1743-1794), ou l’angevin Joseph Proust (1754-1826). C’est peut-être grâce à ce dernier que Pierre-Louis Athénas fait la connaissance du prieur de Saint-Aubin d’Angers, dom Malherbe (1733-1827). Cette rencontre va changer le destin du jeune chimiste parisien. Dom Malherbe, bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur, est l’auteur d’un procédé original pour extraire la soude (carbonate de sodium) du sel marin. Or, sa nomination comme professeur de philosophie à l’abbaye parisienne de Saint- Germain-des-Prés ne permet pas à Malherbe d’aller au Croisic où il devait pourtant effectuer lui-même les essais exigés par l’Académie des sciences afin de reconnaître le bienfondé de son nouveau procédé et lui accorder le privilège permettant l’exploitation. À la recherche d’un chimiste pour le remplacer dans cette tâche primordiale, dom Malherbe s’adresse au jeune Pierre-Louis Athénas et le prend comme associé.
Plan du jardin des apothicaires par Turgot
Date du document : 1734-1739
Un entrepreneur
C’est ainsi qu’en 1777, Pierre-Louis Athénas arrive en Bretagne, conduit par l’avantage que présente alors l’exonération de la Gabelle, impôt sur le sel, privilège de l’ancien duché. Tandis qu’il progresse dans la technique des fours grâce aux conseils de Pierre-Clément Grignon (1723-1784), métallurgiste bourguignon de renom envoyé par l’Académie des sciences pour vérifier les essais, il met à profit les richesses minières de la région nantaise et développe une autre façon d’obtenir de la soude qui, en employant des pyrites dont le sous-sol abonde, permet d’éviter l’achat du soufre (fort cher et d’importation italienne) obligatoire dans le procédé de Malherbe. Athénas présente cette importante innovation à l’Académie des sciences dès 1784.
Malheureusement, Athénas et Malherbe doivent rapidement faire face à une concurrence effrénée d’entrepreneurs qui, tous, en raison de la franchise sur le sel, viennent installer leurs fabriques dans la région croisicaise déjà bien connue. Enfin, à peine les deux associés obtiennent-ils enfin un privilège de quinze ans et l’autorisation officielle de construire des ateliers au Pouliguen et surtout une manufacture d’acide sulfurique et de colorants à Port Lavigne (commune de Bouguenais), qu’ils apprennent la mort de leur principal partenaire financier.
Port du Croisic
Date du document : 1786
Athénas doit alors diversifier son activité. Parallèlement à une distillation ambulante d’eau de vie, il parvient à maintenir tant bien que mal la fabrique de Bouguenais qui, installée au près du port de Nantes, fournit notamment les manufactures d’indiennes.
Un homme politique local
La Révolution donne l’occasion à Athénas d’entrer parmi l’élite de la ville où il habite depuis 1786. Inscrit au Club de la Halle, Athénas est élu à la Municipalité en 1791. C’est là qu’il se lie d’amitié avec le maire de Nantes et premier président du tout nouveau Département de la Loire-Inférieure Christophe Clair Danyel de Kervégan (1735-1817), dont il prononcera même l’éloge funèbre.
Brièvement enfermé en juin 1794 pour avoir partagé les opinions hostiles à Robespierre de Jean-Baptiste Darbefeuille (1756-1831), chirurgien en chef de l’Hôtel Dieu de Nantes, « le citoyen Athénas, physicien utile à la chose publique sera mis en liberté ». Il faut dire que le Comité de Salut Public lui avait confié quelques mois auparavant la responsabilité de la fabrication du salpêtre, composant indispensable à la préparation de la poudre à canon… Sélectionné parmi les hommes de talents, dont la Convention thermidorienne réclame la liste aux départements, il fait partie du jury de l’Ecole centrale créée à Nantes en 1795.
Veuf, il se remarie en 1798 avec Marie Anne Bonamy, fille du médecin François Bonamy. De cette union naîtront deux enfants, Pierre et Louise.
Le 3 juin 1800, le Premier Consul Bonaparte le nomme Conseiller Général du Département de la Loire-Inférieure.
Liste des conseillers généraux de Loire-Inférieure nommés par le Premier Consul
Date du document : 06-1800
Le 5 juin 1801, le préfet de Loire-Inférieure propose son nom au nouveau ministre de l’Intérieur, Jacques Antoine Chaptal (1756-1832), pour intégrer le Conseil d’agriculture, d’art, manufactures et commerce. Athénas prend la vice-présidence de ce conseil fraîchement institué, ce qui l’amène à suppléer le préfet, président de droit. Enfin, le 24 janvier 1803, Athénas est élu, au deuxième tour, à la Chambre de commerce de Nantes rétablie quelques mois auparavant. La présidence échoit aussitôt à son grand ami Kervégan, tandis que lui en est nommé secrétaire le 16 mai 1803. Athénas conserve ensuite ce titre jusqu’à sa mort. Là, au sein de la puissante Chambre de commerce, Athénas fréquente tous les plus grands noms du négoce nantais, comme les Deurbroucq et les Dobrée, et assoit son influence politique et économique. C’est également en sa qualité de Secrétaire de la Chambre de commerce qu’il participe à l’accueil de Sa Majesté l’Empereur en visite à Nantes en août 1808. Aussi, figure-t-il assurément en bonne place parmi les personnalités qui présentent les plans de la Bourse à l’Empereur, scène immortalisée par le peintre François Sablet (1745-1819). Sa carrière politique s’arrête avec l’Empire. En effet, s’étant « compromis » durant les Cent Jours, Athénas n’est pas retenu dans la composition de la nouvelle assemblée. Il s’adonnera désormais exclusivement à ses recherches.
Le Directeur de la Monnaie
C’est certainement sa position privilégiée au cœur du réseau politique et financier nantais qui permet à Athénas de devenir Directeur de la Monnaie, le 16 février 1797. À ce titre, il devient le responsable de la transformation de l’or, mais surtout de l’argent et du bronze, en pièces de monnaie pour Nantes et sa région. Nul doute que cette charge ajoute encore à son influence… Dès lors, il s’installe place du Bouffay, en l’Hôtel des Monnaies, où il jouit d’un logement de fonction.
Il était personnellement responsable de la qualité des monnaies, aussi bien de leur composition métallique, que de leur graphisme, et il devait les signer afin d’en assurer la « traçabilité », comme on dirait aujourd’hui. Dès lors, toutes les pièces de monnaie nantaises portent la marque qu’Athénas s’est choisie : une ancre de marine.
Écu d’argent de 5 francs de Napoléon Ier frappée à Nantes
Date du document : 1806
Malgré les bouleversements politiques nationaux, il exerce cette charge jusqu’au 13 janvier 1818. En vingt ans, Athénas encadre notamment la production de plus de deux millions et demi d’écus d’argent, principalement durant l’Empire. Véritable activité industrielle, la frappe monétaire nécessitait des qualifications multiples en métallurgie, en mécanique et en chimie. Autant de compétences dont disposait Athénas.
Un érudit touche à tout
Parallèlement à ses activités économiques et politiques, Athénas va trouver le moyen de faire valoir l’éclectisme de ses dons dans le nouvel Institut départemental des Sciences et des Arts de la Loire-Inférieure (depuis devenu la Société Académique de Nantes et de Loire-Atlantique), qu’il contribue à fonder le 18 août 1798. Pour lui, « aux études solitaires succédait le désir de s’instruire en commun ». Il assure tout d’abord le secrétariat de la classe des sciences mathématiques et physique avant de brièvement présider l’Institut en 1800. Le docteur Fréteau, président de la Société Académique de Nantes en 1818, rapporte que « Monsieur Athénas que sa vaste érudition rend propre à traiter toutes sortes des sujets » est aussi bien sollicité pour faire des rapports sur des questions de chimie, d’industrie et d’agriculture que pour mener des débats portant sur l’Histoire, les Belles-lettres et les Beaux-arts.
Portrait de Pierre-Louis Athénas âgé
Date du document : 22-03-1829
Ainsi, durant la trentaine d’années que couvre sa participation aux travaux de l’Institut, Athénas se révèle tour à tour latiniste érudit en discutant la dénomination et le lieu des communes de la région à partir de leur citation dans les textes latins, minéralogiste par la découverte d’une mine d’étain à Piriac en 1819 et le recensement des carrières de pierres à chaux du département, agronome en acclimatant en Loire-Inférieure des plantes fourragères exotiques comme « l’herbe de Guinée », ingénieur par la conception d’une charrue à défricher qui porte son nom. Cette invention lui vaut d’ailleurs le prix de mécanique de l’Institut Royal de France le 7 juin 1823. Pour ces raisons, Athénas peut être considérer comme l’« un des premiers rénovateurs de l’agriculture du département » (Rochcongard).
L’éloge funèbre que la Société Académique de Nantes consacre à Athénas résume parfaitement son parcours hors norme : sa « grande facilité de conception lui permit de se livrer à presque toutes les parties des connaissances humaines… Archéologue distingué, il étudie avec succès les antiquités de notre province, qu’il avait explorée avec tant de soin ; érudit profond, il explique plusieurs passages des auteurs anciens mal interprétés ou mal connus. M. Athénas, à un profond savoir en mécanique, en histoire naturelle, et surtout en chimie, joignit de grandes connaissances en économie politique ».
C’est pourquoi, lorsqu’Athénas décède à son domicile du 6 rue Sarrazin le 22 mars 1829, ses amis considèrent qu’avec lui s’éteint le dernier représentant de l’esprit des Lumières à Nantes.
Gildas Salaün
Article extrait de la revue Neptuna n° 317, p. 19-25
2021
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Christophe-Clair Daniel de Kervégan (Nantes, 1735 - Nantes, 1817)
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Gildas Salaün
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