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Nantes la bien chantée : Voulez-vous entendre chanter


Les amours trahies constituent un motif que la chanson populaire, comme la littérature ou le cinéma, n’a pas manqué d’approcher, se faisant ainsi l’écho d’époques où les jeunes femmes, qu’elles fussent Nantaises ou pas, n’avaient pas toujours les moyens de se prémunir contre les manœuvres perfides  des plus habiles séducteurs. Les Dom Juan de tout poil prospèrent dans le répertoire qui brosse un portrait parfois sans concessions de ceux qu’il nomme pudiquement « les amants trompeurs ».

Nantes, dans le texte

Si l’on étudie un tant soit peu les quelques versions dont nous disposons de cette chanson, force est de constater que la mention de la ville de Nantes n’est pas un dénominateur commun. Pas plus que la mention de Rennes, d’ailleurs, mais l’informatrice habitant dans la région de Redon, entre les deux capitales de la Bretagne, le choix de ces deux villes s’avère des plus pertinents pour servir de cadre à cette histoire de bigamie. Ou, si ce n’est de bigamie, d’une double vie à forte connotation adultérine.

C’est ainsi qu’un nouveau thème s’ajoute à une liste pourtant déjà longue d’une rivalité surfaite, artificielle et, par conséquent, largement surjouée, entre ces deux sémillantes bourgades. Au reste, cette rivalité n’a, somme toute, aucun autre intérêt que celui de stimuler la créativité des amateurs de foot, qui savent se montrer singulièrement imaginatifs dès lors qu’il s’agit de vanner l’équipe adverse. Pour les autres thèmes de discorde - historique, administratif ou autre -, reconnaissons qu’ils sont ennuyeux avant même d’amorcer les conversations qu’ils prétendent inspirer.

« Abandonnées »

Les filles « abandonnés » constituent l’entrée de trois chapitres du catalogue de Patrice Coirault. Au total, ces trois chapitres contiennent 49 chansons-types qui sont autant de récits dans lesquels une fille est délaissée par son amant, tantôt parce qu’il doit partir à la guerre, tantôt parce qu’il la délaisse pour une autre, parce qu’elle est enceinte, parce qu’il la croit infidèle… tous les prétextes sont, si ce n’est bons, du moins imaginables. Dans tous les cas, et c’est l’un des principaux motifs de ces chansons, l’histoire se solde par une séparation ou une rupture – ce qui n’est pas forcément la même chose.

Dans le cas présent, nous avons affaire à un beau spécimen de salopard, séducteur talentueux et patient qui, sous couvert de vivre une belle histoire d’amour, ne fait que se livrer à un vulgaire adultère, en se montrant suffisamment habile pour mener, pendant un temps du moins, une double vie. La création cinématographique a largement puisé à la source de ce thème qui parait aujourd’hui un rien réchauffé, mais qui est rare dans le répertoire populaire.

« Faire l’amour » ou « Faire l’amour » ?

A l’attention des lecteurs non familiarisés avec le langage ordinaire de la chanson traditionnelle et de la poésie orale, il me parait nécessaire de préciser ou rappeler que l’expression « faire l’amour », héritée de la poésie courtoise des temps anciens, signifie « faire la cour », et c’est bien dans ce sens qu’il faut le prendre, dans la majeure partie des cas. Sauf que…

Sauf que, précisément, dans ce contexte, l’expression devient d’abord ambigüe avant de, finalement, devoir être comprise dans une acception plus charnelle, plus érotique. Le premier couplet est très explicite sur les amours secrètes de ce couple qui s’avèrera en effet illégitime. On imagine très bien, au terme du second couplet le galant usant d’une raison solide – qui aurait pu être professionnelle mais ici sa qualité d’étudiant « écolier » laisse libre cours à un autre imaginaire - pour s’absenter chaque week-end et se rendre dans l’autre grande ville de Bretagne. Bref. Quoique exposée avec une certaine élégance, la situation de départ n’en est pas moins relativement vulgaire.

Quand la rumeur s’en mêle

Tôt ou tard, tout finit par se savoir et les imprudences ou négligences sont souvent le terreau faisandé dans lequel se dandine le ver putride de la rumeur, laquelle parvient aux oreilles de l’amoureuse qui nourrit alors des soupçons envers son amant. Soupçons qui trouvent une forme de légitimité dans le fait qu’ils ont été initiés par un proche du présumé fautif. Car, à ce stade, il n’est que présumé fautif.

La rumeur et ses méfaits, utilisée comme motif mériterait un long commentaire tant la place qu’il occupe dans le répertoire revêt des attraits parmi les plus singuliers. Le plus souvent, elle laisse planer une menace plus ou moins sombre sur des amours débutantes, secrètes ou illicites, qui ne trouvent souvent à s’exprimer que dans une forme de clandestinité sentimentale.

A titre d’exemple, citons l’intrigante chanson Ma maîtresse est bien loin d’ici transmise par cette même Jeannette Maquignon, qui rappelle sagement que  « La jalousie, la médisance, ce sont des maux qui règnent ensemble ». Dans bien des cas, le galant et parfois sa maîtresse, ne s’inquiètent de rien, comme dans Rossignolet du vert bocage (Coirault 00407 / Laforte II, N-07) on l’on trouve ces vers fort joliment tournés :

Qui sont ces méchantes langues
Qui sur moi font des chansons
Oh, c’est votre aimant, la belle
Qui dit toujours qu’il vous aime
Et qu’un jour, il vous aura

La chanson-type Les oiseaux parlent-ils (Coirault 00708) étend même la méfiance à l’encontre des oiseaux dont on craint les indiscrétions mais, là encore, le galant tente de rassurer sa belle en lui posant la question qui sert également de titre au type.

Ainsi, dans presque tous les cas, le garçon, ayant obtenu satisfaction ne s’inquiètent de rien mais pas toujours en se réfugiant dans le cynisme, car il sait aussi se rappeler que les autres en font ou en ont fait autant. Il peut arriver que le galant se fende d’un étrange trait d’esprit : « laissez-les faire, laissez-les dire, quand ils auront tout dit, n’aurons plus rien à dire ». Splendide.

Mais à ces galants plus ou moins désinvoltes, on leur préfèrera sans doute celui qui rassure sa belle en s’engageant à la prendre pour épouse. Les mauvaises langues n’auront alors plus qu’à tourner dans le vide.

Des promesses pour défense

L’argument faisant mouche, comme on dit chez les pêcheurs de truite, le séducteur n’a d’autre choix que de risquer le tout pour le tout pour sauver la face, si ce n’est sauver ses amours transgressives. Les promesses détaillées au 5ème couplet revêtent à l’évidence un caractère prénuptial censé ôter la belle de ses doutes les plus sérieux. Cocarde, rubans blancs, anneau… tout l’attirail pour faire une mariée de celle qui, jusqu’à lors, n’était qu’une maîtresse.

Tout cela pour en venir à cette scène d’une rare cruauté dans laquelle l’amant tombe le masque et révèle l’ampleur de sa perfidie car non seulement il expédie sa maîtresse de manière brutale mais accompagne son geste d’une moquerie quasi choquante. Un vrai salopard, on vous dit.

Dans le dernier couplet, la belle se fait l’icône de l’expression populaire qui se complait souvent à accabler ceux qui n’ont plus « que leurs yeux pour pleurer ». L’évocation dans le couplet précédent du tablier blanc, euphémisme symbolique désignant la virginité, souligne qu’au-delà de la trahison du séducteur, c’est aussi la réputation et l’honneur de la jeune fille qui sont atteints, voire détruits, aux yeux de ce que nous nommerions aujourd’hui « l’opinion publique ».

La morale est un peu simplette mais, pour autant, en parfaite résonnance avec la réalité du monde et de ses mœurs parfois légères, voire libertines, dont les jeunes filles étaient et sont peut-être encore, les premières et principales victimes.

Un monument de la chanson populaire

Cette étonnante chanson fut recueillie à Saint-Martin-sur-Oust (56), auprès d’une des plus fortes personnalités des archives sonores de Dastum. Jeannette Maquignon fait partie de ceux que nous surnommons affectueusement « les vedettes des archives ». Attachantes et fascinantes à la fois, ces grands témoins de la tradition populaire disposaient d’un répertoire souvent très abondant, de grande qualité, le tout porté par une qualité d’interprétation sur laquelle bon nombre de chanteurs contemporains seraient bien avisés de prendre exemple. Madame Maquignon fait indiscutablement partie de ce haut du panier patrimonial dans lequel nous puisons le matériau nécessaire à la rédaction de ces chroniques.

Hugo Aribart
Dastum 44
2020

1. Voulez-vous entendre chanter chansonnette nouvelle
C’est un jeune écolier et une demoiselle
Ont fait l’amour ensemble l’espace d’un an ou deux
Sans que personne ne sache que les deux amoureux

2. L’galant va voir sa belle trois fois de la semaine
S’en va le samedi pour l’amour du dimanche
La belle a entendu des contes qui ont vécu
Lorsque l’galant retourne, n’était point bien reçu

3. Qu’as-tu donc entendu contre nos avantages
Qu’as-tu donc entendu contre nos avantages
Oh, j’ai entendu dire par un de tes parents
Dans la ville de Nantes tu as femme et enfants

4. Qu’est-ce qui t’a dit cela, Marguerite, ma mie
Qu’est-ce qui t’a dit cela, Marguerite, ma mie
C’est un de tes confrères qui s’appelle Nicolas
M’a dit par assurance et je crois qu’il n’y ment pas

5. La belle, veux-tu venir à Rennes, la jolie ville
Là, je t’achèterai des fines marchandises
J’t’achèterai cocarde, cocarde et ruban blanc
Tes anneaux seront d’or et tes bracelets d’argent

6. Mais quand ils furent à Rennes, à Rennes, la jolie ville
Le galant se retourne et se met à en rire
Va-t’en, va-t’en, la belle, tu as de bons parents
Quant à moi j’m’y retourne voir ma femme et mes enfants

7. Où est-il donc mon temps de ma jolie jeunesse
Où j’sortais sur ma porte mon tablier blanc
En m’y raillant des autres, des autres, de mes parents
Et raillée par les autres m’y voilà à présent

8. Voilà comme sont les garçons quand ils vont voir les filles
Ils savent mieux leur parler encore bien mieux leur dire
Oh, comme les filles sont bêtes d’écouter les garçons
Auparavant d’savoir s
’ils les épouseront.

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En savoir plus

Bibliographie

Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly (Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes)
Le séducteur qui a femme et enfants (Abandonnées – N° 03411) : 22 versions référencées

Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes
Le galant marié (II, C-33) : 31 versions référencées

Discographie

Maquignon, Jeannette, Chanteuse du pays de Redon, Dastum, G.C.B.P.V., 2006

Enregistrement

Annick Mousset (chant) et Hervé Dréan (bouzouki), à Saint-Dolay (56), le 2 avril 2019, d’après la version recueillie auprès de Jeannette Maquignon

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Musique Nantes dans la chanson

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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