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Octobre 1942-août 1944 : la municipalité de Nantes sous l’occupation allemande


Partiellement chassée de l’hôtel de ville, l’équipe Rondeau est supplantée par une nouvelle assemblée réduite à dix membres menés par Henry Orrion à partir d’octobre 1942.

La crise municipale dans laquelle se débat Orrion à l’automne 1942 est l’occasion pour Philibert Dupard d’atteindre l’objectif ultime de la politique vichyste pour les collectivités locales, rappelons-le : les soumettre à l’autorité de l’État. Éminemment devenu gestionnaire sous la précédente municipalité, le conseil municipal est peuplé de représentants politiques, syndicaux, économiques, industriels et sociaux. Il prend ainsi la forme d’une « corporation administrative » accrue par le format que prend cette assemblée : la délégation spéciale.

Optimisant autant que possible l’intervention des services municipaux, Orrion est surtout connu pour sa gestion des secours apportés aux sinistrés des bombardements. De la sorte, les événements mettent à l’épreuve les capacités de son administration confrontée au cataclysme de septembre 1943…

Portrait de Henry Orrion, maire de Nantes

Portrait de Henry Orrion, maire de Nantes

Date du document : 2eme quart du 20eme siècle

La crise municipale de l’automne 1942

À la mi-octobre 1942, la position de la mairie de Nantes est précaire : la plus grande désunion y règne. Le 14 octobre se tient dans le cabinet d’Abel Durand, le premier adjoint, une réunion regroupant les adjoints Fleury, Lejeune, Mahé, Friésé et Sablé. À l’exception de Durand et Fleury, l’administration municipale et la police ignorent tout du sort de Gaëtan Rondeau depuis septembre ! Abel Durand les ayant mis dans la confidence, Friésé est surpris « que M. Rondeau, qui est venu les chercher, les abandonne ainsi ». Le premier adjoint leur ordonne de ne pas évoquer la démission du maire en dehors des murs de l’hôtel de ville par crainte d’une potentielle agitation populaire.

Alors comment se fera la transition ? À pas feutrés... Cela dit, l’adjoint Pierre Collet met en garde Henry Orrion du danger de sa situation : nommé officieusement sur le conseil du préfet sans l’avis des représentants des groupements professionnels et syndicaux présents dans le conseil municipal, il y a de fortes chances qu’il se mette une énorme majorité́ de la population à dos au moment de la formation de la nouvelle municipalité et des commissions administratives. Collet estime que « M. Orrion, pour qui il a la plus grande amitié et qu’il considère comme le meilleur garçon du monde, s’est laissé manœuvrer par le préfet qui avait besoin d’une solution rapide ». Effectivement, Marcel Rouchet, directeur des Ateliers & Chantiers de Bretagne et conseiller municipal, assure que la participation des ouvriers cégétistes à la nouvelle municipalité rencontre les plus grandes difficultés en raison des mesures coercitives sur les travailleurs en vue de leur départ en Allemagne. Il estime donc inopportun d’attirer au conseil les ouvriers ayant la confiance de leurs syndicats, car ils perdraient tout crédit et n’exerceraient plus aucune influence sur la masse des travailleurs – très remontés contre Vichy – les accusant de favoriser La Relève (dispositif mis en place à l’été 1942 stimulant l’envoi de travailleurs volontaires au bénéfice de l’Allemagne), à Nantes.

Dans une lettre datée du 15 octobre 1942 adressée au préfet, Henry Orrion y manifeste son incapacité à nouer une municipalité. Mais il y a pire : l’éviction de Rondeau est un secret de polichinelle. Le vide causé par son départ crée un appel d’air attirant les groupes collaborationnistes voulant faire main basse sur l’hôtel de ville. Le jour même, Charles Martin, chef du Groupe Collaboration et son ami, M. Chevalier, ancien membre du Parti social français obtiennent la bénédiction du Leutnant Menny pour inviter les adjoints Collet et Fleury à déguster le thé au domicile de Martin. Au fait de ces intrigues, l’entretien est aussitôt interrompu par Orrion déclarant avec véhémence « qu’il préférait voir les conseillers offrir leur démission avant – plutôt qu’après – sa nomination » afin d’écarter les collaborationnistes du perron de l’hôtel de ville. Devant la gravité de la situation, le préfet en informe immédiatement le gouvernement : pour couper l’herbe sous le pied des collaborationnistes, un arrêté de Georges Hilaire, secrétaire général pour l’administration au ministère de l’Intérieur, daté du 16 octobre 1942, nomme officiellement Henry Orrion, président de la délégation spéciale de Nantes.

La délégation spéciale

En application des articles 6 et 7 de la loi du 16 novembre 1940 relative au pouvoir de substitution du préfet aux délégations spéciales, à l’administration cantonale et aux secrétaires de mairie, une délégation spéciale est habilitée à prendre les mêmes décisions que le conseil municipal. Étant donné ses difficultés à rassembler une nouvelle équipe municipale, Henry Orrion n’a d’autre choix que de garder sept conseillers de la précédente administration : MM. Lejeune, Friésé, Mahé, Millet, Laval, Kerr et Sablé. Deux nouvelles personnalités font toutefois leur entrée au conseil : Bernard Ballet et Joseph Pastol.

La répartition des attributions municipales entre les délégués est achevée le 4 décembre 1942. Elle est similaire à celle de la municipalité Rondeau, bien que les conseillers aient plus de fonctions en raison de la diminution radicale du nombre de membres (passant de 24 à 10), mais surtout à cause du caractère éminemment gestionnaire des affaires de la ville. À l’occasion de sa première séance officielle du 10 décembre 1942, la délégation spéciale vote à l’unanimité une adresse au chef de l’État et « affirme sa foi dans la pérennité de la patrie et son dévouement à la personne du maréchal, symbole et garantie de l’unité française ».

Orrion, le « maire des bombardements »

Les 16 et 23 septembre 1943, s’abattent sur le territoire de la ville de Nantes des bombes alliées : « Aucun arrondissement n’a été épargné. Un grand nombre de rues et de places, partout à travers la ville, offrent le douloureux aspect d’un chaos de pierres et de pans de murs noircis par les flammes ». Sont prioritairement visés par les Alliés les objectifs militaires présentant un intérêt majeur, à savoir le port de Nantes et l’aérodrome de la Luftwaffe situé à Château-Bougon. En second plan, sont dans le collimateur les industries ligériennes. Si les dégâts matériels sont considérables (ex : 1.000 immeubles détruits et 3.500 gravement endommagés), du côté des pertes civiles, la Défense passive et la mairie recensent approximativement 1.007 victimes et 2.096 blessés. Fin septembre, la population nantaise se vide, passant de 250.000 à 100.000 habitants.

Immeubles détruits lors des bombardements rue Lafayette

Immeubles détruits lors des bombardements rue Lafayette

Date du document : 1943

Concernant la gestion de la crise, dès le 16 septembre 1943, une conférence de coordination des pouvoirs publics se tient à la préfecture : sont confiées à la mairie la question sociale et les évacuations. Le gouvernement met à la disposition du préfet 1 million de francs pour les besoins de la population, ajouté à un autre million voté par la délégation spéciale durant sa séance du 16 septembre 1943 (prélevé sur la caisse du budget départemental). Conjointement à la Défense passive, au Secours National, au Comité ouvrier de secours immédiat, au Service interministériel de protection contre les événement de guerre, à l’Action de la jeunesse, à la Milice nationale et à la Croix Rouge, la municipalité se démène pour soutenir les sinistrés et évacuer la population vers des secteurs plus « sûrs » (essentiellement dans l’arrondissement de Châteaubriant). Dans son rapport à Pierre Laval daté du 10 octobre 1943, Édouard Bonnefoy (nommé préfet d’Ille-et-Vilaine le 6 juillet 1943, Philibert Dupard est remplacé par Édouard Bonnefoy) salue les efforts déployés par la délégation spéciale pour ses malheureux administrés : « Sur le plan municipal, le maire de Nantes a pris [...] les mesures nécessaires pour assurer une tâche extraordinaire dans les conditions les meilleures. Des bureaux spéciaux ont été installés à la maire et en divers points de la ville pour l’établissement de cartes de sinistrés, le logement, les secours en argent. [...] Seules, la municipalité et la direction diocésaine de l’enseignement privé avaient très louablement organisé des camps de vacances susceptibles d’être prolongés et où séjournaient hors de la ville, 3 à 4.000 enfants. [...] Ce m’est un agréable devoir de reconnaître qu’elle [l’évacuation des enfants] a été facilitée à Nantes par la bonne volonté et la haute compréhension de la délégation municipale spéciale. La municipalité nantaise, dirigée par un homme énergique et actif, M. Orrion, a été tout-à-fait à la hauteur de sa tâche. Mon entente avec elle a été parfaite sur tous les points. Ainsi, a pu s’exercer une unité de doctrine et d’action particulièrement nécessaire ».

Supervisés par le Service départemental des réfugiés, les centres municipaux d’évacuation des boulevards de la Fraternité, des Poilus et Eugène Orieux, distribuent 16.000 « cartes de sinistrés » sur un total approximatif de 20.000 inscris.

Une opération de communication

Entre les 16 et 18 octobre 1943, se présente devant le chef de l’État une délégation de 40 maires de la région administrative d’Angers. MM. Henry Orrion (Nantes), Pierre Toscer (Saint-Nazaire), François Noël (Châteaubriant), Alexandre Le Lamer (Rezé), le marquis Olivier de Sesmaisons (La Chapelle-sur-Erdre), Maurice Ricordeau (Saffré), Bernard Dupuy (Legé) et Jean Allais (Saint-Étienne-de-Montluc) représentent la Loire-Inférieure. Avec eux, Édouard Bonnefoy « tint à souligner combien tous les services publics ont fait leur devoir, plus que leur devoir : “Nantes, si cruellement frappée, a été un exemple” ».

Photographie de Henry Orrion décoré de la Francisque à l’occasion de la réception des maires de la Loire-Inférieure à Vichy (18 octobre 1943)

Photographie de Henry Orrion décoré de la Francisque à l’occasion de la réception des maires de la Loire-Inférieure à Vichy (18 octobre 1943)

Date du document : 18/10/1943

Bonnefoy jugeant que « l’opinion publique, dès l’abord, réagit de façon extrêmement sévère à l’égard des agresseurs » américains, le gouvernement estime que les services de la propagande ont une carte à jouer pour monter l’opinion publique contre les Alliés. Le 8 mai 1944, répondant à la demande de Henry Orrion, les Services techniques de la propagande (situées dans l’Hôtel de la Cloche à Vichy) font parvenir 31.000 exemplaires de la brochure Nos villes dans la tourmente : Nantes sous les bombardements des 16 et 23 septembre 1943, au colonel Mauris, délégué régional à la propagande (sis 2, quai Ceineray à Nantes). Cette publication rencontre un indéniable succès : « Nous recevons quotidiennement de nombreuses demandes des familles de sinistrés de Nantes et des environs nous demandant de leur expédier un exemplaire de cette brochure. Nous avons satisfait ces demandes jusqu’à épuisement de notre stock ».

Nantes sous les bombardements

Nantes sous les bombardements

Date du document : 20eme siècle

La brochure étant diffusée sur l’initiative des municipalités, à charge pour elles d’écouler les stocks à l’occasion de kermesses et foires organisées au profit des sinistrés nantais. Les communes accueillant des réfugiés nantais, sinistrés ou non, sont manifestement les plus demandeuses (ex : le 28 avril 1944, le maire de Pontivy (Morbihan), Eugène Frotté, en demande trois spécimens).

« Français!! Adhérez à

« Français!! Adhérez à "Collaboration" »

Date du document : 1943

 Pour répondre à la demande croissante, est créé à la mairie de Nantes un « comité d’organisation des kermesses au profit des sinistrés ». Le comité est composé de deux membres de la délégation spéciale (Henry Orrion et Gaston Sablé) et de représentants des plus importantes associations nantaises. Pas moins de 10.000 exemplaires de la brochure sont vendus lors des kermesses tenues à Nort-sur-Erdre (4 juin 1944) ; Clisson (2 juillet 1944) ; Ancenis (6 août 1944) et La Chapelle-sur-Erdre (3 septembre 1944).

Nikolaï Liman
2023

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Bibliographie

Belser Christophe, La Collaboration en Loire-Inférieure 1940-1944, La Crèche : Geste Éd., Coll. « Histoire », 2005, 368 pages (tome 1) et 368 pages (tome 2)

Liman Nikolaï, La mairie de Nantes face à l’occupation allemande (1940-1944), mémoire de Master 2 d’histoire sous la direction de Stanislas Jeannesson, Université de Nantes, 2021

Pages liées

Seconde Guerre mondiale

Henry Orrion

Bombardements

Mai 1941-octobre 1942 : la municipalité de Nantes sous l'occupation allemande

Août-septembre 1944 : la municipalité de Nantes à la Libération

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2e GM Maire

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Rédaction d'article :

Nikolaï Liman

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