Juin 1940-mai 1941 : la municipalité de Nantes sous l’occupation allemande
De l’été 1940 au printemps 1941, les rapports entre la municipalité socialiste et les Allemands demeurent tendus, sinon conflictuels. L’hôtel de ville ne donne jamais entièrement satisfaction à l’ « esprit de collaboration » (Zusammenarbeit) et s’inscrit, du point de vue allemand, dans une logique de résistance passive qu’il faut étouffer.
L’otagiat
Entré à Nantes le 19 juin 1940 à midi, le premier souci de l’occupant est de sauvegarder l’ordre public. Franchissant le seuil de l’hôtel de ville à midi et demi, les Allemands ordonnent, l’arme au poing, la désignation d’otages pris dans le conseil municipal. À 20 heures, s’assurant de la personne du maire, Auguste Pageot (élu en mai 1935), la soldatesque lui accorde une heure pour désigner 20 otages devant se présenter à l’hôtel de la Vendée. À 20h15, se constituent comme otages MM. Pageot, Richard, Sablé, Le Roux, Prieur, Ménoret, Durand, Guibal, Barrault, Bolo, Guiotton, Millet, Bichon, Fourny, Thiéfaine, Duvrard, Ribrac et Le Galle. Pire, est exigé au maire que 20 otages soient mis quotidiennement à la disposition des autorités allemandes (à partir de 18h30), à l’hôtel de la Vendée et ce, pendant 24 heures.
Ne pouvant systématiquement priver la ville de ses administrateurs, est à l’ordre du jour de la séance du conseil municipal du 20 juin 1940 le mode de sélection des « garants de l’ordre public ». Y sont essentiellement présents la municipalité, les principaux représentants patronaux et syndicaux de Nantes. Au fait de l’arrêt brutal de toute activité économique, le second chef de l’occupation à Nantes, l’Oberstleutnant Werner Ehrenfencht s’enquiert auprès de Pageot de la situation des ouvriers en proie au chômage de masse. Ainsi, comme le remarque l’adjoint Bolo : « Il n’est pas possible de laisser 50 000 ouvriers à ne rien faire, ce serait la révolution. Par conséquent, il faut résoudre le problème ». Se refusant à désigner des otages, l’assemblée décide finalement que la répartition des otages serait proportionnelle à l’importance de chacun des organismes et fondée sur la base du volontariat. Écartant l’éventualité d’inscrire des fonctionnaires – puisque amovibles –, des notables seraient préférables pour représenter la ville. Pour la nuit du 20 juin, sont otages MM. Amieux, Bossis, Boudy, Chauvet, Legall, Jost, Loutrel, Lapillon, Dubost, Cholet, Guinaudeau, Decré, Roger, Guiehmer, Évain, Glotain, Thiéfaine, Bolo et Mgr Villepelet ; puis, pour la nuit du 21 juin sont désignés MM. Rineau, Sudry, Guillet, Lebel, Henry, Binet, Mallet, Prieur, Ribrac, Garnier, Henri, Durand, Brossais, Rolland, Massivet, Caillard, Desmars et Bertin.
Hôtel de la Vendée
Date du document : vers 1910
L’otagiat rencontre les plus grandes difficultés dans son « recrutement » en raison du mécontentement populaire. Jusqu’à son allègement début novembre 1940 (le nombre d’otages passant de 20 à 10 par jour), les Nantais ne cessent de se soustraire à cette besogne. Bien que la mairie élargisse l’éligibilité à l’otagiat à tous les habitants de nationalité française résidant à Nantes et au moins âgée de 21 ans, elle exempte les anciens combattants, les grands mutilés ou invalides de guerre, les grands infirmes ou malades, les combattants démobilisés, les prisonniers de guerre libérés, les consuls, les pères d’au moins cinq enfants mineurs, les personnes âgées, soit l’écrasante majorité des personnes admissibles. Ajouté au fait que les Allemands exonèrent tous ceux utiles à la collaboration, l’otagiat, dans son principe, est extrêmement contraignant comme mesure coercitive. Il perdure jusqu’à sa suppression le 1er février 1942, remplacé par celui des « requis civils », accroissant la responsabilité des communes en cas de troubles.
L’attentat du cours Saint-André
Arrivé à Nantes le 23 juin 1940, le Feldkommandant Hotz entend soumettre les réfractaires à son autorité. Il trouve en la personne d’Auguste Pageot un administrateur avec lequel toute collaboration devient impossible, puisque le maire persévère dans la voie de l’affrontement systématique en réaction aux injonctions émises depuis l’hôtel d’Aux (siège de la Feldkommandantur), mais pas seulement. Dans la nuit du 30 au 31 août 1940, un tracteur appartenant à la Wehrmacht renverse le monument rendant hommage aux Enfants de la Loire-Inférieure morts pour la Patrie (inauguré en avril 1897), situé au bas du cours Saint-André. Pour les nazis, tolérer son existence reviendrait à accepter un pied de nez fait par les Français. Le 31 août à 18h30, Pageot et son adjoint, Duchemin, s’en vont protester devant Hotz contre une insulte à la sensibilité patriotique nantaise. Qualifié de provocation par le maire, ce dernier exige qu’une enquête soit ouverte. Acceptant son principe, Karl Hotz exige en contrepartie que les débris de la statue soient retirés par les sapeurs-pompiers municipaux avant le dimanche 1er septembre afin d’éviter tout tapage. Agissant forcément sous sa propre responsabilité, Pageot fait traîner, puis stoppe l’opération. Acte de rébellion caractérisé s’il en est. Il ne consent finalement à achever la tâche qu’en fin de journée du 1er septembre (à 21 heures), laissant ainsi une occasion aux Nantais de constater le méfait. Ceci irritant Hotz au plus haut point.
Monument des enfants de la Loire-Inférieure morts en 1870 sur le cours Saint-André
Date du document : sans date
Des relations exécrables
Tout au long de cette première période, une série d’entorses à la collaboration envenime les relations entre l’hôtel de ville et la Feldkommandantur. Il s’agit surtout de sabotages de lignes téléphoniques – placées sous la surveillance des services municipaux –, appartenant à la Wehrmacht (27 juin ; 3 et 5 août ; 7 et 27 août ; 9 septembre 1940). Préalablement, la Feldkommandantur durcit drastiquement le couvre-feu de 19 heures à 8 heures du matin (à partir du 3 août), mais l’incapacité de la police française à capturer les coupables pousse Hotz à obérer la ville de Nantes de trois amendes successives (8 août 1940, 2 millions ; 8 septembre 1940, 5 millions ; 27 janvier 1941, 3 millions) placées sous séquestre à la Reichskreditkasse (sise 4, rue Voltaire). Les dix millions de francs sont remboursables en partie au moyen du produit de l’impôt direct (ne manquant pas de froisser le contribuable) et en ouvrant un crédit de cinq millions de francs rattachés au budget supplémentaire de 1940.
Dernier acte de l’ « odyssée Pageot » : l’ « affaire Schlutter ». L’ultime confrontation entre le maire et Hotz se déroule du 10 octobre au 23 décembre 1940. Le 10 octobre donc, Hotz annonce au préfet qu’ « une collaboration quelconque avec le maire Pageot est impossible, car toute son attitude est intolérable ». Mis aux arrêts, Pageot est incarcéré à la prison des Rochettes pour une durée minimum de quatre semaines. Ceci, en réaction de la plainte formulée par le Kapitän Schlutter, capitaine de corvette devant se rendre à Paris exécuter une mission pour le compte de la Kriegsmarine, au moyen d’une voiture municipale mise à la disposition du marin. Affaire âpre aux sombres contours mettant en cause le service des réquisitions de l’hôtel de ville, mêlant pantalonnades, pérégrinations et retournements divers, elle trouve son dénouement par la démission de Pageot et son expulsion en zone non occupée. Assurant l’intérim depuis le 10 octobre, Édmond Prieur (premier adjoint au maire) devient le maire officiel le 24 décembre 1940. La municipalité socialiste, subissant les coups de boutoir conjugués du préfet, Philibert Dupard, et des collaborationnistes, notamment d’André Goukenleuque, chef de la Fédération nationale des groupements corporatifs français (sise au 86, quai de la Fosse), est dissoute début mai 1941. La municipalité est supplantée par l’équipe Rondeau, installée officiellement le 5 mai 1941, à 18 heures. Le fait est que la mairie de Nantes entre dans une seconde période incontestablement favorable au régime de Vichy.
Nikolaï Liman
2022
En savoir plus
Bibliographie
Belser Christophe, La Collaboration en Loire-Inférieure 1940-1944, La Crèche : Geste Éd., Coll. « Histoire », 2005, 368 pages (tome 1) et 368 pages (tome 2)
Liman Nikolaï, La mairie de Nantes face à l’occupation allemande (1940-1944), mémoire de Master 2 d’histoire sous la direction de Stanislas Jeannesson, Université de Nantes, 2021.
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Nikolaï Liman
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