Mai 1941-octobre 1942 : la municipalité de Nantes sous l'occupation allemande
La municipalité Pageot éliminée, sans doute la préfecture et la Feldkommandantur croient-elles trouver leur homme en Gaëtan Rondeau. Élite conservatrice, catholique pratiquant et anticommuniste, il est un homme acquis aux idées de la Révolution nationale.
Ne ménageant pas ses efforts pour ses administrés, en particulier dans le domaine de l’alimentation, l’équipe Rondeau se borne à ses obligations strictement communales dans le cadre d’un modèle autoritaire d’administration locale. Se gardant de toute fâcheuse initiative, cette municipalité – elle non plus – ne satisfait jamais aux exigences allemandes et collaborationnistes. En effet, en dépit du virage à droite emprunté par l’hôtel de ville, les réticences du maire à entrer de plain-pied dans le militantisme ultra-collaborationniste ajouté à ses multiples écarts de conduite à la politique de collaboration lui font perdre la confiance du préfet et des autorités locales d’occupation.
L’expression du « corporatisme municipal »
Officiellement installée le 5 mai 1941, la municipalité Rondeau est formée selon les prescriptions décrites dans la loi du 16 novembre 1940 portant réorganisation des corps municipaux. La nomination des maires des communes supérieures à 50.000 habitants est dorénavant soumise à l’approbation du ministre de l’Intérieur par l’intermédiaire du préfet. C’est ainsi que le 1er mars 1941, Gaëtan Rondeau est nommé maire de Nantes par arrêté ministériel pour combler « la vacance, si révoltante […], de la municipalité socialiste […] ».
Aux dires des Renseignements généraux, Gaëtan Rondeau « n’a jamais pris part à des luttes politiques. Il jouit d’une certaine aisance qui lui assure l’indépendance nécessaire à l’exercice de ses fonctions de maire. Il est favorable à la politique de redressement national. Très courtois ; du fait de ses fonctions de maire de Nantes, il est en rapports constants avec la préfecture ». Préalablement sélectionnés sur une liste établie par le maire, les membres de la nouvelle administration sont nommés par un arrêté préfectoral daté du 22 avril 1941. Dans son rapport mensuel (juin 1941) adressé à l’amiral Darlan, vice-président du Conseil des ministres, Philibert Dupard souligne l’accueil favorable de la population quant à la nomination de Rondeau comme maire de Nantes : « C’est avec sympathie et confiance que la majorité de la population nantaise voit M. Rondeau prendre les fonctions de premier magistrat municipal ».
Au surplus, toute activité politique divergente à celle du régime est interdite. Les considérations étrangères à l’expédition des affaires courantes ou à la bienfaisance publique le sont tout autant. En vertu de la loi du 16 novembre 1940, trois grandes nouveautés sont introduites dans les assemblées communales : une assistante sociale, un représentant des familles nombreuses et un représentant des groupes professionnels de travailleurs. Chose inédite, c’est la première fois qu’une femme prend part aux délibérations municipales.
Des relations conflictuelles
Au-delà des sempiternelles démêlées de l’administration municipale avec le collaborationniste André Goukenleuque, l’exécution des otages en représailles au meurtre de Karl Hotz (20 octobre 1941) instaure une pesanteur de plomb. C’est alors qu’au grand soulagement de Gaëtan Rondeau, ses nombreuses suppliques sont entendues par le nouveau Feldkommandant de Nantes : le baron Von und zu Bodman (auparavant Kreiskommandant de Saint-Nazaire). La levée de l’otagiat (garde d’otages par les Allemands pour maintenir l’ordre public sous peine d’exécutions) est officiellement annoncée par le Feldkommandant le 1er février 1942.
Croyant initialement enregistrer un succès, le maire perd rapidement ses illusions. La « nouvelle situation » dont fait allusion Von Und zu Bodman est décrite dans une ordonnance allemande du 13 juillet 1942 : elle prévoit que « les communes sont tenues responsables de tout acte de sabotage. L’autorité militaire allemande a décidé que si la responsabilité d’une commune était engagée elle choisirait elle-même, parmi les propres habitants de cette commune, des otages qui seraient exposés aux plus graves représailles ». Désormais, des requis civils sont garants de l’ordre public. Restauration fardée de l’otagiat s’il en est. Cependant, une telle mesure coercitive est difficilement applicable pour un grand centre urbain dont l’autorité municipale ne dispose plus d’aucune police depuis la loi d’étatisation d’avril 1941 (loi du 23 avril 1941 portant organisation générale des services de police en France). Le maire ne cesse d’essayer de soustraire son administration de cette besogne, en vain..
Du reste, la municipalité se tient à l’écart de toute potentielle compromission :
• Rondeau refuse au Leutnant Menny (Propagandastaffel) la diffusion dans les cinémas nantais du film Le Juif Süss ;
• Il refuse de placarder des affiches de propagande en faveur de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme ou une autre hostile à l’URSS, Bolschevismus ohne Maske ;
• Il refuse de promouvoir le recrutement de volontaires pour la Légion tricolore ;
• Il refuse d’accorder au Comité ouvrier de secours immédiat un local municipal et une subvention, le maire apprenant que le principal des fonds distribués provenait de la dépouille des Juifs exterminés dans les camps ;
• Il défend des membres de l’administration et de chefs de services municipaux dénoncés pour leur attitude antiallemande ;
• La Feldkommandantur s’oppose à une visite à la prison Lafayette (prison militaire allemande, située rue Descartes) du maire, d’Abel Durand et du président de la Société́ de Saint-Vincent-de-Paul venant réconforter les prisonniers politiques nourris par les restaurants municipaux ;
• Il se recueille à plusieurs reprises sur les tombes des martyrs d’octobre 1941 ;
• Il ne proteste pas publiquement contre l’attribution de la Croix de la Libération par le général de Gaulle après l’exécution des otages ;
• Il décline la présidence d’honneur d’une kermesse antibolchevique organisée par le groupe Collaboration, ainsi que le concours de la musique municipale devant jouer aux côtés de l’orchestre de la Luftwaffe ;
• Enfin, est reproché à Rondeau le « sabotage » d’une interview encourageant La Relève.
Fatalement « les autorités d’occupation ne tardèrent pas à prendre ombrage de ces égards publiquement rendus ». Cela dit, les Allemands ne sont pas les seuls à vouloir destituer l’équipe Rondeau : les administrations supérieures françaises – notamment le préfet – ne sont pas étrangères à ces intrigues…
L’exil à Tiffauges
Il est communément admis que Gaëtan Rondeau, 69 ans en septembre 1942, démissionne pour « raison de santé ». Or, il n’en est rien. Sans prévenir la population, Rondeau est assigné à résidence dans sa maison de campagne à Tiffauges (Vendée). Dès le 25 septembre, la fonction de premier édile est assumée par Abel Durand, premier adjoint. Le jour même, le préfet se rend à Tiffauges pour prononcer à Rondeau sa révocation effective de maire de Nantes.
Voulant à tout prix éviter une nouvelle « affaire Pageot », Philibert Dupard reçoit le 3 octobre 1942 une délégation de la SS menée par le chef de la Gestapo régionale : le Sturmbannführer Hans-Dietrich Ernest. Cette réunion a pour objet de discuter des modalités du renvoi de Rondeau. Bien qu’à partir du 7 octobre 1942 Abel Durand tente de défendre son maire, notamment en se rapprochant de Pierre Laval, chef du Gouvernement, Henry Orrion est pressenti pour supplanter Gaëtan Rondeau.
Le 10 octobre 1942, usé psychologiquement, le maire remet à Abel Durand sa lettre de démission adressée au préfet. Il quitte officiellement son poste le jour-même. Le 26, il obtient un Ausweis (laissez-passer imposé par l’occupant permettant de circuler de la zone occupée à la zone libre) pour la zone libre, puis rejoint son neveu officier de marine en Algérie. Le temps d’achever le conseil municipal, Philibert Dupard maintient Abel Durand à son poste pour assurer l’expédition des affaires courantes…
Nikolaï Liman
2023
En savoir plus
Bibliographie
Belser Christophe, La Collaboration en Loire-Inférieure 1940-1944, La Crèche : Geste Éd., Coll. « Histoire », 2005, 368 pages (tome 1) et 368 pages (tome 2)
Liman Nikolaï, La mairie de Nantes face à l’occupation allemande (1940-1944), mémoire de Master 2 d’histoire sous la direction de Stanislas Jeannesson, Université de Nantes, 2021
Pages liées
Octobre 1942-août 1944 : la municipalité de Nantes sous l’occupation allemande
Août-septembre 1944 : la municipalité de Nantes à la Libération
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Rédaction d'article :
Nikolaï Liman
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