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Saint-Philibert Antilles

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Août-septembre 1944 : la municipalité de Nantes à la Libération


L’effondrement allemand cède la place à une administration républicaine circonstancielle : le commissariat régional de la République ; calqué dans son cadre géographique et juridictionnel sur l’ex-préfecture régionale située à Angers. Possédant des pouvoirs spéciaux, si la première tâche du commissaire de la République, Michel Debré, est d’éliminer de sa région les hauts fonctionnaires nommés par Vichy et de les remplacer par des individus étant au-dessus de tout soupçon, les assemblées locales sont tout aussi « époussetées ».

Est confiée aux comités départementaux et locaux de Libération la tâche d’épurer toutes les couches de la société. Dans les administrations publiques, l’épuration est surtout tournée contre les hommes placés par l’État français.

La politique de la table rase

Libérée le 12 août 1944, Nantes relève la tête. C’est ainsi que le 31 août 1944, se tient à l’hôtel de ville une séance du conseil municipal placée sous la présidence d’Alexandre Vincent, préfet nommé à titre provisoire le 15 août 1944 pour supplanter Georges Gaudard. En présence de l’équipe Orrion et de la nouvelle délégation spéciale provisoire nommée par le commissaire de la République, le préfet lit une lettre de Michel Debré adressée à la municipalité sortante : « Conformément aux instructions du gouvernement provisoire de la République, j’ai désigné après avis du comité départemental de la Libération, une nouvelle municipalité pour la ville de Nantes. Vos pouvoirs prennent donc fin à ce jour. Je sais quelles ont été les épreuves de la ville pendant que vous aviez la charge des affaires municipales ; je sais avec quel dévouement à la chose publique, vous et la plupart de vos collaborateurs avez fait face à une situation difficile ; je vous demande donc de recevoir publiquement mes remerciements ». Quitus de Michel Debré...

Pour succéder à Henry Orrion est désigné par Michel Debré le nouveau maire de Nantes : Clovis Constant, actif résistant du réseau Libération-Nord et vice-président du comité départemental de Libération. Le 31 août 1944, la nouvelle équipe municipale est constituée autour des grandes formations politiques composant le comité départemental de Libération. Ce dernier ne retient pas la liste des élus aux législatives de 1936 et peuple l’assemblée municipale d’hommes nouveaux. Le comité donne ainsi pleine satisfaction à la population en évitant au maximum les contestations pour la politique d’union : « Notre assemblée, dit Clovis Constant, est l’émanation directe du comité départemental de Libération. Les forces de la Résistance ont voulu, en effet, que provisoirement tous les intérêts, toutes les tendances, toutes les classes, toutes opinions et tous les dévouements s’allient pour la gestion des affaires municipales. Nous exerçons notre activité sous la double invocation de la France et de la République ; cette préoccupation assurera l’unité indispensable à toute action féconde ».

L’épuration des élites municipales

En plus des sept agents municipaux (sur plus de 2000) compromis, le comité départemental de Libération s’emploie à examiner le cas des édiles désirant être réhabilités dans leurs fonctions. Au premier chef, les maires...

Auguste Pageot étant revenu à Nantes vers la fin août 1944, il demande audience au comité pour expliquer son attitude durant les cinq mois qu’il passe comme maire sous l’Occupation. Lui est particulièrement reproché son vote favorable au maréchal Pétain. Dans l’après-midi du 19 octobre 1944, Pageot s’exprime devant le comité : « Au point de vue municipal rien ne m’amène devant vous, mais par contre, je ne voudrais pas demeurer reclus de la communauté française et en serait ainsi si je n’étais pas lavé par vous, si je n’avais même pas une carte d’électeur en poche, si je mérite d’être mis au banc de la société française ».

Développant sur les raisons de son « oui » à Pétain, il déclare : « Je vous dirai que pour nous [les parlementaires socialistes] ce n’est pas avec enthousiasme que nous avons voté pour Pétain, nous avons pensé que c’était le moindre mal. Nous risquions d’avoir une dictature militaire, mais nous avons été abominablement trompés ». En dépit des quelques actes de résistance à son actif, Pageot est exclu du Parti socialiste. C’est ainsi qu’Alexandre Gosselin, secrétaire à la propagande de la Fédération socialiste pour la Loire-Inférieure, qualifie ceux n’ayant pas su dire « non » au maréchal : « Ils se sont classés nettement à la place qui était la leur, celles des arrivistes et des félons, véritables champignons vénéneux de la politique, quels que soient en définitive, les mobiles qui ont dicté le vote de Vichy. Le moins que l’on puisse faire, c’est d’éliminer de la direction des affaires publiques de tels éléments. Arrière donc, messieurs les fossoyeurs ! »

Dans sa lettre datée du 5 décembre 1955 à Serge Barret, préfet de la Loire-Atlantique, Henry Orrion commente l’action de Gaëtan Rondeau lorsqu’il était son adjoint. Il y est mentionné que Rondeau, en succédant à Pageot, se fait « un devoir d’accepter cette mission, que l’occupation allemande rendait particulièrement délicate et dangereuse. Pendant les 18 mois de son mandat, il lutte sans cesse contre l’emprise croissante des autorités allemandes sur les rouages administratifs de la cité et s’efforça d’alléger pour ses concitoyens, le poids de l’occupation ». Hormis ses accointances vichystes et sa sensibilité bretonnante, Gaëtan Rondeau s’est-il compromis en faveur d’une politique ultra ?

Disons-le tout net : si l’anticommunisme et le maréchalisme de l’ancien maire sont véridiques, il est « hostile à toute collaboration. [...] Sous la politesse diplomatique à laquelle il fallait se contraindre, afin de rendre plus efficace les interventions protectrices, l’attitude du maire, toujours ferme se fit plus sourdement intransigeante ». En novembre 1941, Rondeau repousse même une « adhésion de principe » au Mouvement social révolutionnaire d’André Goukenleuque. Bien que Rondeau assure à Catulle Cambier, délégué régional à la Propagande sociale du maréchal, que l’ « administration municipale est toute disposée à faciliter dans la mesure de ses attributions la propagande officielle du gouvernement », jamais les Allemands ou les groupements collaborationnistes ne parviennent véritablement à obtenir des facilités autres que celles de nature matérielle.

Au surplus, Gaëtan Rondeau se tient autant que faire se peut à l’écart des manifestations publiques favorables à l’occupant en se contentant d’envoyer une lettre d’excuse aux personnalités locales soumises à l’autorité allemande ou aux collaborationnistes en vogue. En mandatant des conseillers municipaux pour le représenter à l’occasion de rassemblements sportifs ou culturels, Rondeau annule toute compromission de l’administration municipale. Le maire déchu est anticommuniste et maréchaliste, certes, mais en cela il ne varie guère des élites conservatrices locales. Se retirant de la vie publique, il n’est, du reste, pas inquiété à la Libération : seul est pointé du doigt l’envoi d’articles au Phare de la Loire favorables à Vichy.

Succédant à Gaëtan Rondeau dans les circonstances que nous savons, les prises de position de Henry Orrion pour le gouvernement du maréchal sont, là aussi, clairement attestées. Pour autant, certaines déclarations suggèrent des sentiments plus ouverts à la collaboration. À l’occasion d’une interview tenue le 23 mars 1944 à l’hôtel de ville, il dit : « [...] Il faut actuellement que chaque Français se dévoue et prenne ses responsabilités ; quant à moi, je suis les directives du maréchal pour lequel j’ai beaucoup d’estime. J’admire son esprit de sacrifice et de dévouement à la France, car sans lui il est probable que nous n’aurions plus de gouvernement français, mais comme dans les autres pays occupés un Gauleiter [fonctionnaire du parti nazi en charge d’un territoire]. [...] Je déplore les attentats, et je constate avec amertume que ceux-ci sont inspirés par la propagande étrangère, dont les radios sèment la haine et la discorde entre Français ». S’il rejette les attentats commis par la Résistance sur des militaires allemands, Orrion ne va toutefois pas jusqu’à souhaiter ardemment une victoire du Reich à l’instar de Pierre Laval dans un célèbre discours radiodiffusé (22 juin 1942).

Par ailleurs, si les mérites de la municipalité sont unanimement reconnus par le comité départemental de Libération pour l’assistance portée aux sinistrés des bombardements, le grief majeur fait à Henry Orrion est d’avoir « stimulé » le départ de contingents de travailleurs pour le Service du travail obligatoire (STO). Effectivement, en raison de la présence d’éléments syndicalistes dans la délégation spéciale, les relevés d’ouvriers éligibles au STO échoient à l’administration municipale. Là-dessus, la responsabilité du maire est nettement mise en cause dans l’incident de Nort-sur-Erdre.

Le 4 juin 1944, avec l’appui de la Propagandastaffel (service allemand chargé de la propagande et du contrôle de la presse française), la délégation spéciale organise une kermesse afin de collecter des dons pour les sans-logis des bombardements de Nantes. Elle obtient de la Feldkommandantur deux autocars pour véhiculer le personnel et une délégation de la mairie (Orrion et deux adjoints, Gaston Sablé et Émile Mahé) vers Nort-sur-Erdre.

Au moment où la kermesse bat son plein, le parc est cerné par la Feldgendarmerie et des miliciens. Après avoir vérifié l’identité de tous les hommes présents, 23 sont ramenés à Nantes à bord des autocars pour interrogatoire à l’hôtel de Charrette (siège de la Gestapo). Causant une vive émotion parmi la population nantaise, Fernand Soil, secrétaire général de la ville, s’en inquiète : « Un tel incident met la municipalité dans une situation très délicate à l’égard de nos concitoyens, dont certains seront peut-être tentés de croire qu’elle était par avance au courant des intentions des services allemands ». Orrion est accusé ouvertement d’être de connivence avec la Feldkommandantur pour avoir monté un guet-apens contre des réfractaires au STO. Sentant que la situation tourne à son désavantage, la municipalité envisage de démissionner, mais seule la situation militaire de l’été 1944 la dissuade de mettre sa menace à exécution.

Bien qu’à la Libération Henry Orrion se mette momentanément en retrait, finissons par dire qu’avoir été nommé par Vichy ne l’exclue nullement de la scène politique locale d’après-guerre. Aux élections municipales d’octobre 1947, il est élu en tête de la liste du Rassemblement du peuple français, mouvement fondé par le général de Gaulle en avril de la même année...

Nikolaï Liman
2023

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En savoir plus

Bibliographie

Belser Christophe, La Collaboration en Loire-Inférieure 1940-1944, La Crèche : Geste Éd., Coll. « Histoire », 2005, 368 pages (tome 1) et 368 pages (tome 2)

Liman Nikolaï, La mairie de Nantes face à l’occupation allemande (1940-1944), mémoire de Master 2 d’histoire sous la direction de Stanislas Jeannesson, Université de Nantes, 2021

Pages liées

Mai 1941-octobre 1942 : la municipalité de Nantes sous l'occupation allemande

Octobre 1942-août 1944 : la municipalité de Nantes sous l’occupation allemande

Libération de Nantes, le 12 août 1944

Henry Orrion

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2e GM Maire

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Rédaction d'article :

Nikolaï Liman

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