Métropole
Par métropole, on entend une grande ville, la plus importante d’une région, possédant des outils et organes de commandement sur un vaste espace, abritant des fonctions s’exerçant sur les territoires et les villes qui sont sous sa dépendance et qu’elle organise : n’est pas métropole qui veut mais qui peut.
Il est de grandes villes qui ne sont pas des métropoles, mais qui sont de simples agrégats urbanisés. En revanche nombre de villes s’arrogent cette ambition sans en avoir les moyens et les réalités. Nantes répond-elle à cette définition ?
Attribuer à Nantes et lui reconnaître le titre de métropole oblige à rappeler son rôle et sa place dans la hiérarchie urbaine de l’Ouest de la France, et à revenir sur la validité de cette reconnaissance.
Longtemps la ville n’a pas eu de fonctions métropolitaines affirmées. Elle était un port de commerce tourné vers le grand large et une ville industrielle. En 1960 elle ne possède ni université, ni académie, ni cour d’appel, ni archevêché, c’est-à-dire tout ce qui fait d’une grande ville de province une capitale régionale, ce que Bordeaux ou Rennes abritent.
Nantes ne rayonne alors sur les campagnes voisines que par le biais de la rente foncière de sa bourgeoisie. Elle est une ville insulaire, un kyste urbain, « disjointe de son arrière-pays, en rupture avec les conservatismes de l’intérieur », comme l’écrit le géographe Armand Frémont, ce qu’ont souligné en leur temps André Siegfried et Julien Gracq.
Nantes possède alors un statut ambigu : depuis le début du 18e siècle, elle est une porte maritime ouverte sur le grand large, une ville de négoce, puis au 19e siècle un grand centre industriel de chantiers de construction navale et d’entreprises agroalimentaires, un port colonial, mais aussi une ville sans liens étroits avec les campagnes proches et à qui manquent les fonctions régaliennes de commandement sur son arrière-pays.
Les trois étapes de la Métropolisation
Depuis un demi-siècle Nantes a changé de nature. Un puissant effet de métropolisation l’a transformée. On peut définir, en schématisant, trois étapes dans ce processus.
La première est la reconnaissance du statut de métropole d’équilibre au début des années 1960. C’est l’État qui accorde à la ville toute une série de fonctions : université, académie, capitale de la région des Pays de la Loire, cette dernière délimitée de façon plus ou moins artificielle. Ces fonctions de commandement sont relayées par l’implantation de directions régionales de grands groupes bancaires, immobiliers et industriels. Parallèlement l’État imagine le concept de métropole bipolaire, associant Nantes et Saint-Nazaire par un schéma directeur d’aménagement, en 1970, organisé autour de l’estuaire industriel, et par la création du port autonome en 1966. Ce schéma prend en compte le glissement vers l’aval des fonctions portuaires et le renforcement d’un pôle énergétique (raffinerie de Donges, centrale électrique de Cordemais, terminal méthanier). Une charte commune d’objectifs vient sceller l’accord entre les deux villes en 1994, ce qui n’allait pas de soi compte tenu de leurs relations historiques mouvementées.
Deuxième étape de ce mouvement de métropolisation : le profond changement du tissu social et économique de la ville, qui se désindustrialise. Le dernier chantier naval (Dubigeon) ferme en 1987, l’usine LU quitte la ville et s’installe dans une commune du vignoble. En même temps, les fonctions tertiaires explosent, notamment avec la croissance rapide des effectifs de l’université et la création de Grandes Écoles (Centrale Nantes, École des mines, Audencia, École vétérinaire, École du bois, etc.), mais aussi des services aux entreprises. C’est aussi l’époque du désenclavement avec l’arrivée du TGV en 1989, l’achèvement de l’autoroute A 11 en direction de Paris, l’essor du trafic de l’aéroport au sud de l’agglomération.
La troisième phase du processus de métropolisation est la mise en place d’une agglomération multipolaire, associée à l’étalement urbain et au développement de la banlieue. Un District voit le jour puis une Communauté urbaine (2001), forte de 24 communes et de près de 600 000 habitants, baptisée Nantes Métropole en 2003. À l’axe estuarien est-ouest vient s’ajouter désormais un axe nord-sud le long duquel se répartit une bonne part de la population. La directive territoriale d’aménagement définie par l’État délimite un territoire du Grand Nantes qui inclut l’agglomération et l’estuaire industriel mais aussi le littoral depuis l’embouchure de la Vilaine jusqu’au Marais breton, dont ses deux stations emblématiques, La Baule et Pornic, abritant des milliers de résidences secondaires de Nantais. S’y ajoutent le pays de Retz, le pays d’Ancenis et le vignoble nantais. L’aire urbaine nantaise est passée de 65 communes en 1990 à 82 en 1999 et à près de 120 en 2010. Définie en fonction des mobilités domicile-travail au sein de la métropole, elle confirme la nature des nouvelles relations entretenues entre la ville-centre et les campagnes proches qui s’urbanisent. Parallèlement un réseau d’infrastructures s’est mis en place et irrigue toute la métropole (tramway, tram-train, périphérique routier, nouveaux ponts sur le fleuve, port, aéroport). Ce réseau est un incontestable atout de métropolisation.
Navibus
Date du document : 13-05-2012
Un ensemble hétérogène
La forme de la ville et les configurations socio-spatiales changent. Les fonctions et équipements tertiaires et les services publics se concentrent dans la ville centre. Les grandes surfaces commerciales et les zones d’activité s’installent aux portes de la ville, au débouché des axes routiers et du périphérique, achevé en 1994. À la ville-centre, dense, radio-concentrique, riche en transports publics et en patrimoine, avec un vaste secteur sauvegardé abritant des populations aisées, s’ajoutent à partir des années 1970 de grands ensembles en périphérie où logent les populations défavorisées. Mais les banlieues, faites de pavillons et de petits collectifs, offrent des visages sociaux très contrastés. Plus loin, l’aire suburbaine est formée principalement de vastes lotissements accolés aux petits bourgs anciens. Enfin, sur la frange externe, des zones rurales sont en cours d’urbanisation ; l’automobile y reste nécessaire pour se déplacer.
Mais la métropole ne se limite pas à cette vaste agglomération nantaise. Elle est formée, à une autre échelle, de sous-ensembles territoriaux : certes en premier lieu la Communauté urbaine, mais aussi l’agglomération nazairienne et l’estuaire industriel, le littoral principalement voué à l’accueil des touristes et des retraités. Le tout fonctionne en synergie au service du Grand Ouest. Ce sont ces différents espaces, discontinus et socialement hétérogènes, qui globalement font la métropole nantaise, aux limites floues et dynamiques. En forte croissance démographique, elle regroupe près d’un million d’habitants. Toutefois il manque encore à ce grand Nantes une gouvernance commune, même si la conférence métropolitaine, l’Association communautaire de l’estuaire de la Loire, les conseils de développement de Nantes Métropole, de Saint-Nazaire et des intercommunalités rurales, prônent une politique commune. Le Schéma de cohérence territoriale (Scot) a le mérite d’associer Nantes, Saint-Nazaire et les communautés de communes de la rive nord, mais il ne comprend ni la rive sud de l’estuaire ni la presqu’île guérandaise, ce qui est un non-sens au regard des espaces vécus par les populations.
La dimension européenne
On comprend dès lors que Nantes veuille postuler au titre d’Eurocité, même si, dans le cadre européen, elle souffre d’une reconnaissance insuffisante et d’effectifs d’étudiants et de chercheurs encore trop faibles. En revanche elle s’affirme comme une ville ouverte sur le monde au travers d’initiatives variées où la culture joue un rôle essentiel (La Folle Journée, Musée d’histoire de la ville au Château des ducs, troupe Royal de Luxe, Machines de l’île, Mémorial de l’abolition de l’esclavage, biennale d’art contemporain Estuaire, projet urbain sur l’Île de Nantes…). Elle a même l’ambition de devenir une destination touristique majeure avec le « Voyage à Nantes ». Sa politique d’image et de rayonnement est une manière pour une métropole qui reste une ville moyenne à l’échelle européenne de jouer sa partition dans une économie mondialisée.
Un bon indicateur du degré de métropolisation est la concentration des emplois métropolitains supérieurs. Leur croissance à Nantes, tant en nombre qu’en pourcentage, est significative. La ville comble son retard par rapport aux autres métropoles provinciales, et elle se situe au septième rang, hors Paris, avec un total de 28 000 emplois de ce type. La progression est cependant encore plus forte à Rennes, ce qui pose la question de la prééminence métropolitaine dans le Grand Ouest.
Aussi Nantes apparaît à la croisée des chemins. La stratégie de la mise en valeur de l’estuaire passe toujours par le maintien des grands donneurs d’ordres industriels que sont les chantiers navals à Saint-Nazaire, les entreprises aéronautiques et leurs sous-traitants. S’y ajoute la reconnaissance d’un pôle de compétitivité. Et se dessine désormais la perspective d’un partenariat renforcé avec la rivale rennaise. Aucune des deux villes n’est à même d’assurer seule la totalité des fonctions métropolitaines à l’échelle de l’Europe. Mieux vaudrait associer leurs forces qui se complètent. Les élus en sont aujourd’hui conscients et affirment leur volonté de coopérer. Reste à vaincre les réticences nées des héritages de l’histoire et l’obstacle des délimitations administratives.
Jean Renard
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
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Jean Renard
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