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6 juin 1932 : la grande braderie


La grande braderie est un événement bien connu des Nantais. Chaque année, durant deux jours, les commerçants ouvrent grand les portes de leurs boutiques et descendent dans les rues jusqu’à nous en exposant leurs étalages et leurs marchandises.

Mais saviez-vous que la grande braderie n’existe pas depuis toujours ? Le concept est éprouvé pour la première fois à Nantes le 6 juin 1932. L’occasion d’entreprendre de bonnes affaires, de faire de belles rencontres, ou de profiter tout simplement... de « crébillonner » à ciel ouvert…

6 juin 1932 : une fête à ciel ouvert

Le 6 juin 1932, la ville de Nantes est en fête. Les journalistes sont dans la rue et rapportent avec plus ou moins d’exactitude le déroulé de la braderie. L’événement se veut festif, le centre-ville se pare d’oriflammes rouge et jaune, tandis que les propriétaires des magasins les plus luxueux offrent à l’ensemble de la population un peu de détente en mettant à disposition phonographes et hauts-parleurs, qui toute la journée diffusent musiques et chants.

La braderie n’est pas seulement grande par son appellation : elle concerne lors de cette première édition pas moins de 35 places et rues ! La municipalité autorise la vente des objets et marchandises à partir de 8 heures au petit matin et ce jusqu’à 19 heures.  Les commerçants revêtent leurs plus beaux costumes et les journalistes ne tarissent pas d’éloges sur la réussite de cette manifestation commerciale : « Il s’agissait d’un essai. Ce fut un coup de maître. Aussi faut-il présumer que si Nantes a attendu pour innover ce système de braderie, elle a rattrapé le retard. Le succès de la prochaine en sera accru considérablement ». (L’Echo de la Loire)

À 10 heures, un journaliste du Populaire assure que la braderie bat son plein et en fin de matinée, défilent depuis la rue Crébillon les chevaux, dromadaires et éléphants du Cirque Amar. Une courte pause est décrétée jusqu’à 14 heure, heure à laquelle se produit alors le gros de la braderie. Les chiffres rapportés par les journalistes varient et sont imprécis mais le journal Le Populaire rapporte près de 4000 voyageurs venus depuis la gare d’Orléans, et c’est sans compter sur la présence des nombreux Nantais et toutes les arrivées en voitures ou autocars depuis les campagnes environnantes.

La nuit tombée, la fête continue et c’est l’heure pour les commerçants et vendeurs de quitter leur poste pour fêter dignement cette réussite. Un journaliste de L'Echo de la Loire conclue de la sorte : « En période de crise, voilà un joli moyen d’en atténuer les effets. Il suffisait de causer autant avec les bradeurs qu’avec les « bradés » pour constater dès hier une satisfaction générale, qui vaut bien qu’en terminant, nous répétons nos compliments à tous ceux auxquels Nantes doit ce magnifique succès ». (L'Echo de la Loire)

Première braderie à Nantes le 6 juin 1932 : place Royale

Première braderie à Nantes le 6 juin 1932 : place Royale

Date du document : 06-06-1932

La grande braderie de 1932 : faire face au krach boursier

L’organisation de cette immense braderie survient pendant un contexte social et économique particulier et l'événement est loin d’être aussi bon-enfant et innocent que l’entendent les journaux locaux. Depuis le krach boursier de 1929, l’économie française est mise à mal. Ce qui n’était qu’une crise bancaire devient en 1931 une crise économique et marque le début de la Grande Dépression. Face aux difficultés financières que rencontrent alors les Français, la prudence est à l’ordre du jour et les économies aussi. Les grandes villes s’attellent à trouver des solutions pour pousser de nouveau le public à la consommation. La braderie organisée par la municipalité de Léopold Cassegrain, maire radical, est l’une d’elles. Par ailleurs, personne à l’époque n’est dupe et les journalistes dépeignent un portrait emphatique du krach boursier : « Ce n’est plus une braderie, c’est davantage : c’est une vraie résurrection. Car, de même que la mauvaise circulation du sang nuit à la santé du corps humain, de même, la mauvaise circulation de l’argent peut amener une gêne préjudiciable à la prospérité d’un pays ». (Le Populaire)

Chacun connaît l’objectif qui se cache derrière cette manifestation commerciale. Les journaux locaux jouent un rôle important. Durant les semaines qui précèdent l'événement, ils ciblent une clientèle très précise et particulièrement féminine, avec un discours qu’on qualifierait d’aujourd’hui misogyne. Pourtant, à l’époque, il fait sens, car les femmes sont souvent chargées de la gestion de la bourse familiale, et donc des achats liés aux besoins de la maison et de la famille. Néanmoins, on attend l’ensemble de la population à cet événement, hommes comme femmes, si bien que certains industriels ont libéré leurs employés et ouvriers afin qu’ils puissent y aller librement.

Serait-ce sur les journaux que reposent le bon déroulement de la manifestation commerciale ? Il faut croire car à leur tour, ils engagent sur les Nantais une forme de pression, assurant que la réussite de ce qu’ils appellent « la fête des commerçants » dépend entièrement de la bonne humeur et de l’entrain de tous. Plusieurs jours auparavant, les journaux assurent que la foule qui viendra sera « la plus heureuse et la plus joyeuse des clientèles ». Il s’agit presque d’une manière implicite pour faire comprendre au public que la grande braderie n’est pas anodine, et qu’il s’agit d’un effort collectif passé sous le prétexte d’un événement festif pour faire face à la situation économique désastreuse du pays. Certains journaux sont encore moins implicites et assurent sans détour à leurs lecteurs : « en joignant votre entrain et votre gaieté à la fantaisie des bradeurs, vous assurerez à la braderie, le succès qu’elle mérite ».

Une manifestation commerciale tronquée ?

La grande braderie est-elle pour autant un événement tronqué ? Un faux prétexte pour dépenser ? Le cirque, ainsi que les oriflammes, la musique, la fête prévue après la grande braderie, font partie de cette communication marketing orchestrée par la Ville, qui veut s’assurer que l'événement soit une réussite. Par ailleurs, la plupart des journalistes vont en ce sens et glorifient à l’extrême l’événement. Seul un reporter, appartenant au journal L’Écho de la Loire, est plus modéré que ses confrères sur la réussite de cette immense braderie à ciel ouvert : « Les marchandes de fleurs bradaient des roses qu’elles avaient dû faire venir de Nice tellement elles avaient souffert; des marchands de jouets exhibaient des canards en caoutchouc qui hurlaient comme s’ils craignaient qu’on les mit à la poêle. Un groupe d’écoliers se gaussait des “croûtes” des Élèves des Beaux-Arts, se disant qu’après tout, s’ils avaient apporté leurs cahiers de dessins, ils auraient payé leur voyage. […] Et la foule, toujours, plus que jamais la foule. »

Le journaliste, anonyme, met en avant quelques points noirs, notamment la précarité des marchandes de fleurs qui souffrent de la situation et la foule oppressante, gigantesque, qui circule dans les rues étroites.

Extrait du journal L’Écho de la Loire du 7 juin 1932

Extrait du journal L’Écho de la Loire du 7 juin 1932

Date du document : 07-06-1932

La grande braderie est l’occasion de tester une « innovation commerciale », avec des prix bradés comme jamais. En réalité, le discours journalistique est à nuancer car ce genre de réclames existe depuis la seconde moitié du 19e siècle, où les grands magasins nantais notamment font régulièrement des offres commerciales alléchantes sur leurs produits et usent de divers moyens commerciaux pour attirer la clientèle chez eux. Ce qu’il y a d’innovant toutefois, c’est le déroulé à l’extérieur. Pour cela, toute une organisation doit être mise en place avec arrêt de la circulation, préparation des trottoirs, gestion des emplacements, etc. Les commerçants ont la possibilité de liquider leurs marchandises à prix bradés. Cette manifestation commerciale, qui apparaît aussi comme un événement festif, leur est particulièrement avantageuse, et permet à l’époque de vendre les collections hivernales passées, de vider les stocks et de renflouer les caisses : « Chacun se réjouissait de la contribution qu’une telle fête avait apportée au commerce nantais ».

Gillian Tilly
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2022

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