Campagnes
Les liens entre Nantes et ses campagnes ont souvent été réduits à quelques formules abruptes : Arthur Young opposant en 1788 « la richesse et la splendeur » de Nantes aux « landes, déserts, bruyères, genêts, fondrières [qu’il a] traversés pendant 300 milles », André Siegfried considérant la ville comme « un îlot moderne dans un océan d’Ancien Régime » au début du 20e siècle.
En 1985, Julien Gracq précise que, sauf dans le cas du vignoble et de la ceinture maraîchère, « la relation de Nantes avec son arrière-pays et avec sa campagne proche est différente en tout point de celle qu’ont ses villes sœurs (par la situation) qui sont sur les deux autres estuaires atlantiques, Rouen et Bordeaux.
Dans aucune de ces régions qui l’entourent, qui l’ignorent presque, qu’elle n’influence guère ou qu’une incompatibilité d’humeur lui aliène, la ville n’est chez elle ». La réalité des « campagnes nantaises » est sans doute plus complexe et les rapports entre la ville et ses campagnes évoluent : parfois dialectiques parfois complémentaires, ils témoignent souvent d’une influence réciproque et de plus en plus inégale.
Plaque de garde particulier
Date du document :
Une ville à la campagne
Dès l’origine, la ville se développe dans une campagne organisée : les archéologues ont trouvé trace d’établissements agricoles gaulois, le Bois-Hue à Saint-Joseph-de-Porterie au 3e siècle avant notre ère, et de villas romaines qui nourrissent les habitants du premier noyau urbain quelques siècles plus tard. Encore au 17e siècle, à l’intérieur des murailles, sont entretenus des vignes, des jardins qu’on continue ensuite à rencontrer dans l’ensemble bocager qui ceinture la ville, au sein d’une polyculture-élevage, avec des fermes et métairies dépendant de manoirs ou de châteaux, et des villages où se groupent les petites borderies de paysans propriétaires. Au 20e siècle même, Nantes conserve un territoire rural de plusieurs milliers d’hectares au-delà des boulevards extérieurs. Agrandi après l’annexion de Chantenay et de Doulon en 1908, il est à peine grignoté par l’urbanisation jusqu’aux années 1950, avec les paysages et structures des campagnes voisines sauf quand des maraîchers s’installent.
Les villages disparaissent les premiers, laissant peu de traces. Les nombreuses et petites parcelles cultivées par les familles paysannes sont vendues facilement quand la pression urbaine augmente. À l’inverse, les domaines nobles et bourgeois résistent longtemps, donnant à l’urbanisation nantaise des caractères particuliers. Leur morcellement commence au 19e siècle avec la construction des lignes de chemin de fer, des boulevards, des ponts. Parfois les châteaux, anciennes résidences principales ou maisons de campagne, abritent des services, les parcs deviennent publics. Ces propriétés servent, après 1960, à l’extension de la ville pour des opérations d’urbanisme d’envergure : grands ensembles, immeubles et lotissements. En 1988, il y a encore 61 sièges d’exploitations, surtout horticoles, et 221 hectares de surface agricole dans la commune ; en 2012, il n’y a plus d’agriculture ni même de maraîchage.
Chalands fluviaux nantais
Date du document : années 1950
Ce passé campagnard conduit Ville et associations à créer des jardins familiaux près d’anciens villages, à restaurer la ferme de la Chantrerie à des fins pédagogiques, à installer des vaches au bord de la Sèvre ou à la Petite Amazonie, à protéger quelques arbres remarquables ou un vieux pigeonnier, à retrouver les racines d’un quartier pour mieux vivre ensemble.
La campagne dans la ville
Depuis l’Ancien Régime, les campagnes alimentent la ville, mais Nantes est la seule en Bretagne à connaître des disettes chroniques et même des famines liées à la médiocrité des sols, en particulier au nord de la Loire. Un texte de 1758 précise que le comté ne peut fournir qu’un quart de la consommation nantaise de grains, se suffit pour les légumes, fourrages, fruits, que la moitié des vins et les trois-quarts des eaux-de-vie s’exportent. Si le port permet d’importer des vivres, quoique souvent trop tard, le lien alimentaire avec la campagne est donc moins serré ici.
L’exode rural compte donc plus, qui nourrit la croissance démographique de la ville et conduit à Nantes beaucoup d’habitants des campagnes voisines – attraction migratoire qui s’élargit du 16e au 19e siècle à l’ensemble de la Bretagne, à la Vendée et à l’Anjou –, chassés par la misère, le manque de travail, les crises agricoles : journaliers, ruraux non agricoles, puis déjà à la fin du 19e siècle de trop « petits » paysans. À partir du milieu du 20e siècle, les agriculteurs quittent massivement les campagnes pour devenir ouvriers et employés.
Ce mouvement continu explique largement l’influence culturelle des campagnards : au 19e siècle, noms de famille, parler, coiffes, jeux de boules et de palets dits nantais sont apportés par les ruraux. À la même époque, des propriétaires de grands domaines influencent le goût des Nantais : ainsi Jacques Urvoy de Saint-Bedan fait entrer au Musée des beaux-arts, à côté des Cribleuses de blé de Gustave Courbet, la série de taureaux impressionnants du peintre Jacques-Raymond Brascassat. Ces propriétaires, qui vivent dans leur château à la campagne, ont aussi une maison de ville, voire un hôtel particulier, situés de préférence dans le quartier de la cathédrale. Maires ruraux, ils contrôlent pendant près de deux siècles le Conseil général, alimentant la partie très conservatrice de la vie politique nantaise, influence renforcée sous le régime de Vichy.
Concours de bovins lors de la Foire commerciale nantaise
Date du document : années 1950
L’entrée de la campagne à Nantes se fait souvent de manière pittoresque et animée : traversée de la ville par les animaux conduits aux abattoirs, à la foire au bétail de la place des Agriculteurs (actuelle place Viarme). Les produits arrivent sur les marchés à dos d’homme, en charrettes à bras, à cheval, puis en camions qui embouteillent le Champde-Mars. Mais l’arrivée des ruraux peut aussi être perçue comme une menace : afflux des pauvres aux 16e et 17e siècles, émeutes de paysans en 1790, bataille de Nantes gagnée par les Républicains, opposant en 1793 Nantais et «Vendéens », à l’origine d’une fracture politique profonde entre la ville et ses campagnes, longtemps maintenue dans les mémoires et les urnes. En mai 1968, des agriculteurs défilent aux côtés des ouvriers et des étudiants, surprenant les citadins qui ignorent que des revendications sociales et politiques existent aussi dans les campagnes nantaises, avec le mouvement des Travailleurs-Paysans et Bernard Lambert, ancien député MRP, petit-fils de métayer et agriculteur militant àTeillé qui fréquente le cercle Jean XXIII à Nantes. Depuis, les agriculteurs manifestent surtout pour défendre leur activité, et le défilé des tracteurs jusqu’à la préfecture est toujours attendu avec une certaine crainte.
La ville dans les campagnes
Comme le géographe Jean Renard le montre en 1975, c’est la possession de la terre qui forge des liens solides entre Nantes et les campagnes : dans les années 1960 encore, les biens ruraux détenus par les Nantais, 73 300 hectares, forment une couronne sur un rayon d’une centaine de kilomètres. Près de la ville, ils sont petits, morcelés, appartiennent à de très nombreux et modestes propriétaires, héritiers des paysans qui ont quitté la campagne. Plus loin, en particulier dans le sud du Castelbriantais, le long de l’Erdre, le pays de Retz, le nord ouest des bocages vendéens, l’appropriation foncière nantaise se fait sous forme de domaines de 50 hectares et plus, plusieurs centaines d’hectares parfois, exploités en fermage et métayage. La rente foncière permet de mesurer la fortune de vieilles familles aristocratiques, nantaises une partie de l’année ; elle participe surtout à la richesse d’une bourgeoisie d’industriels, de commerçants, de professions libérales installés dans le quartier Monselet-Guist’hau, soucieux aussi d’acquérir résidence de plaisance et prestige social.
 Appel aux habitants de nos campagnes  sous le régime de Vichy
Date du document : 1940-1944
Cette structure est héritée de l’Ancien Régime : dès le 15e siècle au plus tard, une noblesse nantaise ancienne (Becdelièvre, La Tullaye, Cornulier), puis de riches négociants, achètent des seigneuries près de la ville (Stapleton aux Dervallières, Grou dans le vignoble), dans le pays de Retz, les bocages vendéens et angevins (Montaudouin, Walsh). Des châteaux, des folies sont construits, des parcs embellis et les terres exploitées par des métayers.
Cette emprise foncière des Nantais augmente fortement au 19e siècle car des familles nobles récupèrent leurs biens saisis et vendus pendant la Révolution tandis que la bourgeoisie aisée acquiert de nombreux domaines, ce qui permet à ces notables nantais de jouer un rôle fondamental dans les évolutions des campagnes jusqu’aux années 1970.Le progrès agricole se diffuse à l’initiative d’industriels et de commerçants nantais à partir de 1830 : plusieurs dizaines de milliers d’hectares de landes et de bois sont ainsi défrichés par leurs fermiers, chargés ensuite d’exploiter les terres à l’aide de machines, de les améliorer avec les engrais et amendements fabriqués à Nantes ou débarqués dans le port. Ainsi l’armateur Haentjens, qui possède 500 hectares de landes à Nozay, propose à l’ingénieur agronome Jules Rieffel de diriger l’aménagement de son domaine de Grandjouan où sont installées des « métairies » modèles au sein d’un bocage géométrique et, en 1849, une école d’agriculture. D’autres propriétaires introduisent ou sélectionnent des races bovines plus productives en viande, participent à la reconstruction d’un vignoble moderne après la crise du phylloxéra, obtiennent le classement précoce du muscadet en appellations d’origine contrôlée.
 Taureau et autres animaux dans une prairie 
Date du document : 1841
Si les Nantais détenteurs de domaines participent à une amélioration technique et économique de l’agriculture, ils contribuent aussi avec les « grands » propriétaires résidents, à ralentir voire à figer les évolutions en maintenant des rapports humains et sociaux inégalitaires et contraignants pour les fermiers et métayers qui cultivent leurs terres. De 1880 à 1950, la pérennisation de l’encadrement social assuré par l’Église catholique et par ceux qui possèdent l’essentiel des terres conduit à construire des campagnes très peuplées, aux comportements conservateurs, aux pratiques religieuses quasi unanimes, repliées sur elles-mêmes, méfiantes à l’égard de la ville. À l’exception du vignoble et de la ceinture maraîchère, la « porte nantaise », ville industrielle et place de commerce ouverte sur l’Océan, a beaucoup plus de relations avec des espaces éloignés qu’avec le vaste territoire rural qui l’entoure et qui fonctionne comme un « isolat ».
Les campagnes urbanisées
Ces relations sont bouleversées à partir des années 1970 avec le renversement des dynamiques de population et le début de la périurbanisation. Les communes voisines de la ville, puis plus éloignées, se repeuplent grâce à l’arrivée massive de couples nantais avec enfants qui veulent une maison avec jardin à la campagne, et continuent à se déplacer à Nantes quotidiennement pour le travail ou la formation, pour les courses en grande surface, les services, les loisirs. Or, depuis les années 1960, les campagnes ont connu une « révolution silencieuse » qui a mis fin au pouvoir des propriétaires et donné toute leur place aux exploitants lancés dans la modernisation : les liens anciens avec le socialisme nantais – création de syndicats de viticulteurs à partir de 1891 avec l’aide de Charles Brunellière –, plus récents entre certains responsables syndicaux agricoles et ouvriers, les valeurs partagées des jeunes de la Jac et de la Joc, mouvements d’action catholique, les luttes contre les propriétaires, expliquent que la Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique soit dirigée de 1978 à 2007 par la Confédération paysanne, cas unique en France. Cette orientation a facilité les relations entre Nantes et la profession agricole, entre citadins, populations périurbaines et agriculteurs – devenus minoritaires dans toutes les communes rurales – pour soutenir à côté de l’agriculture conventionnelle des formes diversifiées, recréer des circuits courts grâce aux associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, et même établir des plans d’aménagement et de développement durable.
 Le maire Kervégan arrêtant une émeute de paysans à l’octroi de Nantes 
Date du document : 1790
Les problèmes de circulation engendrés par la mobilité croissante des habitants, d’accès au foncier et de consommation des terres agricoles, les équipements nécessaires aux populations rurales, la généralisation des modes de vie citadins et aussi les nouvelles attitudes face à l’environnement, aux loisirs, à l’alimentation, conduisent à changer l’échelle de la politique d’aménagement. Celle-ci doit désormais prendre en compte les habitants de la ville et de son agglomération (Nantes Métropole), avec ceux de l’aire urbanisée, résidentielle, récréative et agricole : le Schéma de cohérence territoriale, Scot -Nantes -Saint-Nazaire, ne le fait encore que partiellement.
Nicole Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
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Nicole Croix
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