Bateaux-lavoirs sur la Loire
Parallèlement à la nécessité de se laver, la ville est confrontée à celle – non moins pressante – de laver le linge. En constante augmentation dans une ville en pleine expansion démographique, les bateaux-lavoirs qui sont amarrés dans tous les bras de Loire sont sans aucun doute le service le plus recherché par la population.
La nécessité de contrôler le nombre de bateaux-lavoirs
Jusqu’à la fin du 18e siècle, le lavage du linge semble avoir été effectué sur les rives naturelles ou les cales avant que les bateaux-lavoirs ne prolifèrent dans le premier tiers du 19e siècle. En 1838, le nombre de bateaux s’est accru en quelques années et soixante-neuf bateaux sont amarrés dans le « port proprement dit [qui] comprend le bras de la Loire depuis les Cent pas jusqu’à la ligne des ponts de la Bourse et Maudit ; le canal entre les ponts de la bourse et de la poissonnerie, le canal entre les ponts Maudit et de Belle-Croix, le canal saint-Félix ».
Plan du port de Nantes positionnant les bateaux-lavoirs
Date du document : 1887
Les inconvénients qu’ils suscitent dans un port où des travaux titanesques vont s’engager pour créer des quais adaptés à la navigation sont suffisamment importants pour qu’une diminution des effectifs soit envisagée.
Néanmoins, la diminution est très difficile et, en 1887, les Ponts et Chaussées constatent que « [...] l’arrêté de 1841 fixant le nombre de bateaux lavoirs dans le port de Nantes à trente n’a jamais réellement été respecté et, il en existe encore cinquante [...] ». Un nouvel arrêté est donc pris en 1887 pour réduire au maximum le nombre et la longueur des bateaux, mais également soumettre toute nouvelle mise en place à une autorisation préfectorale.
Quai de l’Hôpital
Date du document : Début du 20e siècle
Des restrictions qui touchent les plus modestes
La réduction est d’autant plus complexe qu’elle touche une population pauvre. En effet, ces bateaux appartiennent à des propriétaires rentiers qui les louent à des laveurs, ou sont l’unique ressource d’anciens travailleurs pauvres qui ont économisé une grande partie de leur vie pour pouvoir devenir propriétaires de ce bien. Cette population est souvent durement impactée par les mesures prises.
Ainsi, en 1838, Michel Malle âgé de 78 ans expose au maire de Nantes « qu’il est propriétaire depuis nombre d’années d’un bateau à laver sur le port Maillard ; que ce bateau, sa seule et unique ressource a besoin de quelques réparations urgentes qu’il ne peut, d’après le capitaine du port, effectuer sans votre autorisation. Il vient vous soumettre la demande, Monsieur le Préfet, comme aussi vous prier de vouloir bien considérer qu’il a des droits bien acquis à conserver son bateau sur ce quai, non seulement parce qu’il y est le plus anciennement établi mais encore par considération pour son grand âge qui ne lui permettrait pas de se livrer à aucun autre travail et le plongerait ainsi dans la plus affreuse misère. C’est un acte de justice en même temps que d’humanité qu’il attend de votre bienveillance. »
Bords de la Loire et le Château
Date du document :
En 1841, « la dame Proust, née Flo, laveuse, demeurant à Nantes, rue Saint Denis, n°47. A l’honneur d’exposer qu’elle est locataire d’un bateau à laver placé quai du port Maillard et inscrit à la mairie de Nantes sous le n° 87 ; que la débâcle des glaces vient d’endommager ce bateau de telle sorte qu’il devient nécessaire de le mettre sur le quai, tant pour le réparer que pour éviter qu’il n’entrave la navigation du fleuve ; que monsieur le curé de Puceul, propriétaire de ce bateau, étant éloigné de Nantes, l’exposante se voit dans la nécessité d’employer tous les moyens convenables pour la conservation du bateau de son propriétaire ; que Monsieur le capitaine lui a accordé huit jours pour faire le nécessaire ; qu’il y a donc urgence à ce qu’elle soit autorisée à remettre son bateau en état […] ».
Si les Nantais qui tiennent ses établissements appartiennent plutôt à une classe sociale pauvre, les bateaux-lavoirs offrent un service à une population laborieuse à majorité féminine regroupée en corporation. C’est également, à la fin du 19e siècle, un service qui est proposé à toutes les classes sociales puisque chaque bateau-lavoir doit réserver un banc pour les indigents qui y lavent leur linge gratuitement.
L’architecture des bateaux-lavoirs
L’architecture de ces bateaux évolue petit à petit. Au début du 19e siècle, il s’agit souvent de bateaux pourvus d’un plancher plat bordé de parapets au-dessus desquels les lavandières se penchent pour rincer leur linge dans l’eau du fleuve. Les travailleuses amènent avec elles leur matériel de lavage. A la fin du 19e siècle, les bateaux-lavoirs sont couverts et le plancher originel est surmonté d’un étage utilisé pour étendre le linge. Des bancs sont installés pour que les femmes puissent travailler assises. Des baquets d’eau sont mis à leur disposition.
Une fois le linge lavé, les quais à proximité des bateaux-lavoirs se couvrent de perchers sur lesquels les lavandières font sécher le linge. Elles doivent composer avec la présence des autres activités et se trouvent fréquemment cantonnées dans des espaces trop exigus où seules une partie d’entre-elles peuvent travailler.
Vraisemblablement à cause des faibles revenus générés par de nombreux établissements, les enquêtes menées par les administrations de gestion du port, dès 1841, démontrent que les bateaux-lavoirs sont fréquemment en mauvais état. Le service des Ponts et Chaussées qui leur délivre les autorisations de stationnement temporaire essaie durant toute la seconde moitié du 19e siècle d’en limiter nombre car ces bateaux fixes compliquent la circulation, l’amarrage et le déchargement des navires.
Laver le linge aux alentours de Nantes
En dehors de Nantes, plusieurs bateaux à laver sont également amarrés le long des rives. Ainsi, en octobre 1885, le sieur Eugène Bernard, marinier demeurant à Couëron, demande l’autorisation au préfet de Loire-Inférieure de placer un bateau à laver le long de la rive droite du bras secondaire de Port-Launay au sud-ouest du bourg. Disposant de quatorze places, cet établissement flottant a une surface de 78 m².
L’administration des Ponts et Chaussées accorde l’autorisation moyennant une redevance pour occupation temporaire et en précisant que la navigation est presque nulle dans ce bras de Loire. L’emplacement est fixé à 10 mètres en amont d’un bateau à laver déjà installé dans le bras de Port-Launay par le père du demandeur. En 1890, le sieur Bernard dispose également d’un bateau à laver installé le long des quais du bourg de la Basse-Indre et d’un autre en aval du môle du port du Pellerin.
Quai du port de Basse-Indre
Date du document : Début du 20e siècle
De nombreuses cartes postales du début du 20e siècle témoignent de l’encombrement des rives du bourg de Basse-Indre où des étendoirs à linge, aussi appelés « andouillers », servent autant à sécher le linge qu’à étendre les filets de pêche.
La présence des bateaux-lavoirs demeurent jusqu’à la seconde moitié du 20e siècle où l’arrivée de la machine à laver dans les foyers français va faciliter le lavage à domicile.
Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Dossier : La vie quotidienne en bord de Loire
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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