Esclaves
Entre histoire, mythes et mémoire, la question des esclaves tient à Nantes une place sans rapport avec leur présence effective dans la ville, même si celle-ci a bien été une réalité.
La très grande importance de la traite négrière dans le trafic maritime nantais du 18e siècle, et même de la première moitié du 19e siècle au temps de la traite illégale, nourrit évidemment les mythes aussi bien que la mémoire, et occulte le précoce contact des Nantais avec l’esclavage, subi par quelques marins chez les Barbaresques aux 16e et 17e siècles. La ville, en théorie, n’a jamais compté d’esclaves, une notion proscrite dans le royaume de France depuis 1315. Dans la réalité, il existe bien des esclaves de fait au 18e siècle : des domestiques dont la condition juridique précise est floue mais dont, dans quelques cas au moins, la vente laisse trace jusque dans des petites annonces, dans le droit fil du Code noir de 1685 destiné aux colonies. Au cours du 18e siècle en outre se développe, dans les milieux privilégiés, un racisme de plus en plus avoué, qui a pour conséquence d’assimiler les noirs alors relativement nombreux – peut-être 1% de la population – à une catégorie inférieure. Des milliers de Nantais en outre, les équipages des navires négriers surtout, ont bel et bien côtoyé les esclaves qu’ils achètent en Afrique et transportent aux Antilles ou, dans une moindre mesure, dans les îles de l’océan Indien, et de même les «Américains », comme on désigne les planteurs de Saint-Domingue et des autres îles qui séjournent régulièrement dans la ville et s’y réfugient entre 1791 et 1804. Autant les caves du quai de la Fosse remplies d’esclaves sont un mythe, autant le débarquement des cargaisons d’esclaves à Nantes une pure invention, autant on peut considérer que toute la population nantaise du 18e siècle a, économiquement et culturellement, eu affaire aux esclaves.
 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers pour la ville de Nantes 
Date du document : 01-1761
La question de l’esclavage ne crée cependant pas réellement débat. Le monde des négociants et des armateurs et la municipalité sont, sans ambiguïté, favorables à l’esclavage colonial qui fait en partie vivre la ville, et le disent et écrivent avec vigueur dès qu’au niveau national la question est posée par les antiesclavagistes, au tout début de la Révolution. Dans les autres catégories sociales, la question est bien plus abstraite et ne laisse quasiment aucune trace : même l’abolition définitive de l’esclavage, en 1848, ne trouble guère la ville, une manifestation favorable – à laquelle participe Jules Vallès – ne semblant susciter qu’indifférence ou hostilité.
Partition de  La Négresse 
Date du document : 1788
La question ne réapparaît réellement que dans les années 1980, lorsque celle de la traite négrière revient au premier plan dans l’historiographie de la ville. La première étape de cette redécouverte est à la fois historique et politique : le refus du maire Michel Chauty de permettre la réalisation d’une exposition autour du tricentenaire du Code noir, en 1985, suscite une vive polémique et une attention que concrétise en 1992, au Château des ducs, l’exposition des Anneaux de la mémoire, prolongée aujourd’hui par le Musée d’histoire de Nantes. Suivent peu à peu deux démarches.
Toile imprimée Favre-Petitpierre
Date du document : 18e siècle
Des associations d’une part, souvent – mais pas toujours – animées par des Nantais d’origine antillaise, lancent de nombreuses initiatives, dont les plus spectaculaires, et les plus controversées, visent des « reconstitutions », celle d’un « navire négrier » ou celle, symbolique, d’une « marche des esclaves » qui rassemble chaque année, depuis 2006, une ou deux centaines de personnes. La Ville, d’autre part, s’efforce d’orienter la mémoire sur la question de l’abolition de l’esclavage et d’élargir géographiquement cette mémoire, ce qui conduit à l’inauguration en 2012 d’un Mémorial de l’abolition de l’esclavage qui s’ouvre expressément aussi sur l’esclavage contemporain à l’échelle du monde.
Affiche,  Esclavage et mémoire nantaise , tricentenaire du code noir
Date du document : 1985
Cette démarche rejoint, involontairement, des réalités bien nantaises : celle de la présence, saisie ponctuellement par des faits divers, de personnes d’origine étrangère dans une situation de domesticité proche de l’esclavage, et celle surtout de la condition de certains salariés qu’en 1907 déjà l’artiste nantais Jules Grandjouan appelait Les esclaves modernes.
Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
En savoir plus
Bibliographie
Les Anneaux de la mémoire : Nantes-Europe, Afrique, Amériques : exposition, [Nantes], Château des ducs de Bretagne, du 5 décembre 1992 au 4 février 1994, Centre international de la mer-Corderie royale, Rochefort, 1992
Daget Serge (dir.), De la traite à l’esclavage : actes du colloque international de Nantes sur la traite des Noirs, 2 vol., Paris, Nantes, 1985
« La traite esclavagiste, son histoire, sa mémoire, ses effets », Cahiers des Anneaux de la Mémoire, n°1, 1999
« Les ports et la traite négrière : Nantes », Cahiers des Anneaux de la Mémoire, n°10, 2007
Pétré-Grenouilleau Olivier, Nantes au temps de la traite des Noirs, Hachette littératures, Paris, 1998, rééd. Pluriel, Paris, 2014
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Rédaction d'article :
Alain Croix
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