Métallurgie
Deux évolutions conjuguent leurs effets pour faire de la métallurgie une industrie phare à Nantes. Le développement sans précédent de la construction navale au 18e siècle découle de l’essor spectaculaire du commerce transatlantique lié au négoce sucrier et à la traite négrière. Les ateliers métallurgiques, telle la fonderie de l’arsenal d’Indret ouverte par la Marine royale en 1777, fournissent ancres et canons pour les navires. La mise au point de la propulsion à vapeur, le développement du chemin de fer, les nouveaux procédés de fonte des métaux, la place prépondérante du fer puis de l’acier dans la construction des bateaux et la mécanisation des ateliers concourent au développement des produits sidérurgiques.
Ainsi, se constitue un ensemble métallurgique dans l’estuaire de la Loire : à la fin du 19e siècle, 300 usines emploient 30 000 ouvriers. À côté des grands chantiers navals comme Dubigeon (1760), les Ateliers et chantiers de la Loire (1881), les Chantiers De La Brosse et Fouché (1895), rebaptisés Ateliers et chantiers de Bretagne (ACB) en 1909, cohabitent des fonderies (forges de Basse-Indre créées en 1822, fonderie Voruz en 1829), des établissements mécaniques (société Mathurin et Joseph Brissonneau créée en 1840 et associée en 1878 aux Lotz, les premiers industriels constructeurs de locomotives à Nantes dès 1849), des constructeurs métalliques ( Joseph Paris, fondé en 1869) ou encore des ferblanteries (Carnaud, associé aux forges de Basse-Indre en 1902). Outre leur diversité, les sociétés nantaises ont pour caractéristique d’être entre les mains d’investisseurs locaux tels les frères Brissonneau, les Lotz père et fils, ou encore Louis Babin-Chevaye (1824-1887), fondateur des Ateliers et chantiers de la Loire et principal inspirateur du premier syndicat patronal de la branche, constitué dès 1884.
Machine à tailler les pignons aux Ateliers et chantiers de Bretagne
Date du document : après 1945
De la sidérurgie à la construction mécanique
Au 20e siècle, la métallurgie, entièrement dédiée à l’effort de guerre durant la Première Guerre mondiale en fabriquant armes, matériel et munitions, continue son essor en s’appuyant sur trois grands secteurs.Le premier, certainement le plus fragile, est la sidérurgie. Concurrencées par les grands ensembles du Nord, du Centre et de l’Est de la France, les fonderies nantaises, malgré la bonne santé de Carnaud-Basse-Indre, disparaissent progressivement : on n’en compte plus qu’une douzaine dans les années 1940 contre quatre-vingts en 1920.
Le deuxième est la construction navale regroupée autour des Ateliers et chantiers de la Loire, des ACB et de Dubigeon dont l’influence ne cesse de décliner face à la montée en puissance des chantiers nazairiens (Penhoët et la Loire, réunis en 1955 sous la bannière des Chantiers de l’Atlantique).
Le troisième, le plus dynamique, est la construction mécanique. Cette dernière s’appuie notamment sur des nouveaux établissements fondés durant l’entre-deux guerres. L’usine de construction de locomotives des Batignolles, ouverte en 1918, compte 3 500 ouvriers en 1922. Deux ans auparavant, les établissements Brissonneau et Lotz installent un important atelier de chaudronnerie à Doulon ainsi qu’une usine de matériel ferroviaire.
En 1937, Hotchkiss-Brandt s’établit à Nantes par le biais de la Société nantaise de construction mécanique, l’une de ses filiales. Mais cette période voit surtout la naissance à Nantes de l’industrie aéronautique avec la fondation de l’usine Louis Bréguet à Bouguenais en 1935. L’année suivante, celle-ci est nationalisée et intégrée à la Société nationale de construction aéronautique de l’Ouest, elle-même associée en 1941 à la société nationale de même nom pour le Sud-Ouest. Le bombardier Bloch 210 et le chasseur Morane-Saulnier (1938) sont les premiers avions assemblés sur ce site.
La part grandissante de l’industrie mécanique s’explique donc par l’émergence de nouvelles filières mais également par son émancipation de la construction navale, frappée par des crises à répétition, notamment au début des années 1930. De plus, cette activité ne nécessite pas des infrastructures aussi importantes qu’un chantier naval et est donc plus adaptée à la géographie urbaine nantaise. Les chantiers eux-mêmes accompagnent cette conversion. Les Ateliers et chantiers de la Loire livrent ainsi des moteurs marins, du matériel pour le raffinage du pétrole, des pompes hydrauliques, des installateurs frigorifiques et réparent des locomotives. Les ACB fabriquent des moteurs et des pièces de machines.
De l’occupation à la reconstruction
Durant l’Occupation, les usines métallurgiques sont sous la convoitise des Allemands. Alors que les chantiers de Penhoët de Saint-Nazaire sont « aryanisés », les Ateliers et chantiers de la Loire, les ACB et Dubigeon construisent, en 1941, plusieurs unités pour la Kriegsmarine (cinq chalutiers et un remorqueur). Les chaînes de l’aéronautique réparent dès 1940 des appareils Junkers et Heinkel pour la Luftwaffe. Dans la sidérurgie, les fonderies, notamment la Société nantaise de fonderie, passent contrat avec les bureaux d’achat allemands pour le lingotage de métaux réquisitionnés en région parisienne. L’occupant s’intéresse également à la main-d’oeuvre qualifiée des firmes nantaises. Même si ces dernières bénéficient du statut d’entreprises protégées en raison des commandes passées par les autorités allemandes, une partie de leur personnel n’échappe pas au Service du travail obligatoire, plusieurs centaines d’ouvriers partant travailler outre-Rhin. Le 25 octobre 1942, l’usine de la Société nationale de construction aéronautique est encerclée par des détachements de la Wehrmacht et plusieurs dizaines de salariés sont raflés.
La situation stratégique de la métallurgie dans l’effort de guerre allemand explique les nombreux bombardements alliés qui frappent Nantes durant les années noires. Les bâtiments des Batignolles, de la société aéronautique et des chantiers navals sont en grande partie rasés lors de raids effectués entre le printemps 1943 et l’été 1944. Les années d’après-guerre sont donc consacrées à la reconstruction et la modernisation des équipements. Les travaux durent ainsi cinq ans à la société aéronautique, et permettent la mise en service de 50 000 mètres carrés de surface de production.
Disparitions et mutations
La seconde moitié du 20e siècle est une période de bouleversements douloureux pour la métallurgie qui connaît un vaste mouvement de concentration. Après la fermeture en 1987 de Dubigeon, dernier chantier en activité à Nantes, la construction navale se regroupe à Saint-Nazaire. Ceci entérine un glissement progressif de l’industrie lourde vers l’embouchure, qui concerne également l’activité chimique. Les Batignolles, dont l’usine est reprise par Schneider puis par Creusot-Loire qui fait faillite en 1985, et Brissonneau et Lotz, intégré à Alstom, sont progressivement démantelés. La Société nationale de construction aéronautique, après plusieurs restructurations et changements de noms (Ouest-Aviation en 1956, Sud-Aviation en 1957, Société nationale industrielle aérospatiale ou Snias en 1970) intègre European Aeronautic Defence and Space company (EADS) en 2000 et se spécialise dans la production de tronçons centraux pour les Airbus. Carnaud-Basse-Indre finit par rejoindre le groupe aujourd’hui constitué autour d’Arcelor Packaging International, filiale d’Arcelor Mittal.
La fermeture d’usines et la perte de milliers d’emplois provoquent des conflits sociaux extrêmement durs durant l’été 1955, puis dans les décennies qui suivent. Cette tension sociale entraîne également une scission au sein du patronat, dispersé au sein d’organisations sectorielles (construction navale, mécanique, ferblanterie et construction métallique) entre 1955 et 1981, date de leur réunion au sein du Syndicat des industries électriques, électroniques et connexes de Loire-Atlantique, ancêtre de l’actuelle Union des industries métallurgiques et minières de Loire-Atlantique.
La concentration met également un terme à l’aventure des dynasties métallurgistes nantaises (Babin-Chevaye, Brissonneau, Dubigeon), remplacées par des investisseurs nationaux ou étrangers. Cependant, cette tradition entrepreneuriale et technicienne est entretenue par des réussites personnelles qui pérennisent l’identité nantaise de la branche. Ainsi en est-il de l’ancien ouvrier de Dubigeon, Jean Leroux, fondateur de son entreprise de chaudronnerie en 1945 qui, sous le nom de Leroux et Lotz, emploie à la fin du 20e siècle plusieurs centaines de salariés. L’ingénieur Joseph Paulange, né à Nantes en 1927, crée la société Polysoude, spécialisée dans la conception et la fabrication de matériel de soudage, qui, devenue leader européen, est rachetée par l’entreprise allemande Messer-Griesheim.
La métallurgie reste très active au 21e siècle dans la ville grâce à de grandes sociétés telle EADS, mais également à sa diversification facilitée par l’émergence de filières comme l’industrie électronique et électrique (Alcatel-Lucent, Sercel). Ceci tend à montrer que l’avenir métallurgique local passe par une spécialisation vers la technologie haut de gamme. À la fin de la première décennie du 21e siècle, la métallurgie emploie en Loire-Atlantique plus de 35 000 personnes, réparties au sein d’un peu plus de mille entreprises dont les trois quarts ont moins de 50 salariés
Christophe Belser
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d’auteurs réservés)
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Bibliographie
Belser Christophe, L’aventure de la métallurgie en Loire-Atlantique, Geste, La Crèche, 2001
Deniot Joëlle, Les métiers ouvriers de la métallurgie : une usine nantaise, les Batignolles, Laboratoire d'études et de recherches sociologiques sur la classe ouvrière, Nantes, 1981
Guillaume Jacques, Halgand Marie-Paule, Basse-Loire, une histoire industrielle, MeMo, Nantes, 2007 (Carnets d’usine)
Hardy Nathalie, Itinéraire d'une bobine d'acier : des Forges de Basse-Indre à ArcelorMittal, Indre histoire d’îles, Indre, 2016
Rochcongar Yves, Capitaines d’industrie à Nantes au 19e siècle, MeMo, Nantes, 2003
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Rédaction d'article :
Christophe Belser
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