Loire
Sur la place Royale, la fontaine monumentale, surmontée de la représentation figurée de Nantes tenant un trident, symbole de Neptune, est une allégorie de la Loire et de ses affluents, rappelant que la ville est née du fleuve.
Le port, le fleuve et l'estuaire
Le port, le fleuve et l’ouverture océanique sont la matrice de la ville. Ils forgent les traits majeurs de sa personnalité et la perception sensible qui y est attachée. Ville de fond d’estuaire, ville-port, ville-pont, Nantes est fille de son fleuve, là où les eaux douces venues de l’amont se mêlent aux eaux salées marines venues de l’aval. L’ardoise au nord, la tuile au sud, les difficultés de franchissement, contribuent parfois à ériger le fleuve en frontière. En réalité, la Loire a rapproché les hommes par le commerce.
Le commerce jusqu'à Lyon
Par le grand axe de circulation et d’échange commercial que constitue le fleuve navigable, Nantes est depuis l’Antiquité en communication avec tout le bassin ligérien, qui couvre presque un quart du territoire français. Par Roanne, elle est en contact avec Lyon, le couloir rhodanien et les pays de la Méditerranée. Par Orléans, les relations avec Paris et les régions du Nord sont facilitées. Un important trafic anime le fleuve. C’est par la Loire que Nantes redistribue les produits de son propre espace et reçoit ceux des pays de l’intérieur. Pendant des siècles, pour l’essentiel, le fret de descente est le vin et celui de remonte le sel. De nombreux autres produits et matériaux circulent cependant sur la Loire : calcaires d’Anjou et de Touraine, ardoises d’Angers, toiles de la Sarthe et de la Mayenne, bois et minerais du Berry et du Nivernais, et aussi huile, grains, poissons et viandes salés, cuirs, armes et autres produits manufacturés. Le port Maillard et la cale de Richebourg reçoivent les produits du trafic de Loire, dont une bonne part est redistribuée en aval et vers les ports côtiers par cabotage.
Les plus anciennes représentations de Nantes, notamment les « profils de ville » gravés au 17e siècle, placent le fleuve au premier plan comme élément majeur du site, traversé par sa ligne de ponts qui délimite le trafic fluvial du trafic maritime : gabares et barques de pêche en amont, vaisseaux de commerce en aval. La Loire est l’axe qui structure et organise la ville et ses activités.
Lithographie,  Vue du château et du pont de la Rotonde 
Date du document : 19e siècle
Confluences
Désignée sous le nom de « rivière » que remontaient vers l’amont les navires de mer, la Loire à Nantes est aussi site de confluence : l’Erdre au nord et la Sèvre au sud. Si le site mythique de Corbilo n’a pas été identifié, à l’époque gallo-romaine Nantes est appelée Condevicnum, nom cité vers 150 par Ptolémée, géographe grec, du mot gaulois condate qui signifie confluent. Un peu plus tard, on la qualifie de Portus Namnetum, le port des Namnètes. Nantes doit alors son développement aux possibilités de franchissement du fleuve qu’offrent les îles, ainsi qu’à la convergence du cabotage fluvial et maritime. À sa confluence avec l’Erdre, la ville s’est développée sur la rive droite du fleuve, là où il se divise en plusieurs bras, facilitant le passage entre les deux rives.
Si la Loire place Nantes sous le signe des échanges, elle est aussi source de difficultés et périls : crues, ensablement, franchissement, construction de quais et de cales, défense de la ville, nécessitent d’incessants travaux d’aménagement. Depuis ceux de l’évêque Félix au 6e siècle, mais surtout depuis le 18e siècle, les hommes se sont efforcés de maîtriser les eaux de Nantes pour s’affranchir de ses contraintes.
L’ouverture au trafic maritime s’effectue au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge. Les installations portuaires se développent en aval des ponts, près de l’embouchure de l’Erdre. L’aménagement de la Fosse est alors entrepris, ainsi que la construction des entrepôts pour le vin et des premières salorges. Les ponts de Nantes deviennent alors le point de rupture de charge entre navigation fluviale et navigation maritime.
Compagnie générale des paquebots de la Loire,  Le Courrier de la Loire n°1 
Date du document : Environ 1845
La Loire, porte de l'océan
À partir de la fin du 17e siècle et en quelques décennies, le site de transit nantais se convertit en un grand port d’armement atlantique et colonial. Nantes organise alors à son profit l’espace de la Basse-Loire. La trentaine de petits ports de mer ou de rivière qui la jalonnent deviennent des avant-ports. L’ensablement de l’estuaire interdit en effet l’accès au quai de la Fosse des navires de fort tonnage. C’est de Paimboeuf, Mindin ou Couëron que partent les navires nantais. Au retour, leurs cargaisons sont transportées jusqu’à Nantes à bord de gabares et autres embarcations à fond plat.
Estampe,  Nantes en Bretagne 
Date du document : Fin 17e siècle
La construction navale se développe progressivement vers l’aval, pour bénéficier du lit plus profond de la Loire. Les trafics traditionnels du vin et du sel s’essoufflant, les négociants profitent de l’essor de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Domingue pour se reconvertir. Traversant l’Atlantique chargés de produits manufacturés, les navires reviennent avec leurs cargaisons de sucre, café, indigo, tabac et coton.
Lithographie,  Quai de la Fosse à Nantes , publiée dans  La France de nos jours 
Date du document : 1863
Traite négrière
Pour développer à grande échelle la culture de la canne à sucre aux Antilles, une importante main-d’oeuvre est nécessaire. Ce sont d’abord les engagés blancs qui se louent en échange de la traversée, puis les esclaves noirs, échangés sur les côtes africaines contre des armes, cauris, alcools et surtout des toiles imprimées. Nantes devient le premier port négrier de France. La traite stimule la construction navale et les fabriques de toiles imprimées. Elle fait de Nantes une place commerciale internationale.
À partir de 1830, les armateurs nantais recherchent de nouvelles routes commerciales. La véritable relance économique du port s’appuie alors essentiellement sur l’industrie sucrière. Les raffineries nantaises tournent à plein régime. Nantes, son port et son estuaire entrent alors dans une nouvelle ère, celle de l’industrialisation.
Huile sur toile,  Le port de Nantes 
Date du document : vers 1870
Les difficultés d’accès des navires au port de Nantes ne cessent de croître. La Loire s’ensable inexorablement. Les Nantais sont contraints d’envisager la construction d’un avant-port. Le site de Saint-Nazaire, à l’entrée de l’estuaire, est choisi en 1837. Dès 1856, un premier bassin est ouvert, puis un second en 1881. Le port donne naissance à une ville nouvelle. L’accès au port de Nantes demeure une obsession pour les négociants nantais, qui voient désormais en Saint- Nazaire une rivale. Il faut donc aménager le fleuve. Projets d’endiguements, de scindements d’îles, de canaux se succèdent. Le canal de la Martinière est creusé entre 1882 et 1892. Le succès est éphémère en raison des nouvelles possibilités de dragage du lit de la Loire.
Divorce, mémoire et reconquête
Au cours de l’hiver 1793-1794, Jean-Baptiste Carrier, envoyé à Nantes par la Convention, incarne la Terreur. Le fleuve devient un des outils de répression. Les captifs sont jetés attachés dans des embarcations que les bourreaux sabordent au milieu du fleuve. Une vingtaine de noyades collectives font entre mille et quatre mille victimes. Carrier s’en vante dans une lettre lue à la Convention : «Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! »
Affiche municipale sur la baignade en Loire
Date du document : 1821
En 1851, le chemin de fer arrive à Nantes. Après 1853, il traverse la ville en longeant la Loire, passant devant le château, desservant le port, avant de rejoindre Saint-Nazaire en 1857. Le chemin de fer condamne progressivement la navigation fluviale, tant pour le transport des passagers que des marchandises. Suite logique de la fin du rôle économique de la Loire, la décision de la municipalité de combler certains des bras du fleuve sonne le glas de l’image de la « Venise de l’Ouest ».
Vue panoramique sur la Loire vers le pont Maudit
Date du document : 20e siècle
La Loire comblée
Entre 1926 et 1946, les travaux de comblements transforment définitivement le paysage urbain peint par Turner un siècle plus tôt. Certaines îles de Loire disparaissent ainsi que de nombreux ponts, entraînant la fin des petits métiers du fleuve et de la rue tels que les blanchisseuses et les poissonniers. Le château n’est plus en bord de Loire, l’île Feydeau n’est plus une île, les anciens quais sont rebaptisés « allées ». Reliant le quai de la Fosse à l’île Sainte-Anne, le pont transbordeur, ouvert au public en 1903, devient le symbole de la ville jusqu’à sa démolition en 1958.
 Bords de la Loire au printemps au moment de la pleine mer ; effet d'orage 
Date du document : 1857
L’imbrication intime du fleuve et de la ville singularisait pourtant, récemment encore, les activités de ses habitants. Travail et loisirs se conjuguent au bord du fleuve. Ouvriers de la navale, dockers, matelots, lavandières, cabaretiers, poissonnières, se côtoient sur les quais de Nantes. La Loire et ses affluents permettent de pratiquer la pêche, la baignade et la plaisance. Au 19e siècle, la baignade de la prairie de Mauves est réservée aux hommes, alors que la rive sud de l’île Gloriette est réservée aux femmes.
Grand calme sur la Loire, vers le pont Eric Tabarly
Date du document : 26-10-2012
Source d'inspiration
Le fleuve demeure le sujet principal des artistes qui représentent Nantes, comme en témoignent les lumineuses oeuvres de Turner issues de son séjour à Nantes en 1826. Et encore Pierre Roy, peintre nantais d’inspiration surréaliste, Jules Grandjouan, René-Yves Creston, Étienne et Jean Bouchaud, Jules Ponceau, Émile Dezaunay, Jean-Émile Laboureur, Charles Leduc, Robert Orceau, Edmond Bertreux, ont chacun à leur manière exprimé la présence du fleuve dans la ville. La puissance onirique de Nantes et son fleuve est aussi élevée au rang de mythe par les écrivains qui y ont vécu ou séjourné. Parmi eux, Victor Hugo, Jules Verne, Stendhal, Élisa Mercoeur, Jules Vallès, René Bazin, Marc Elder, André Breton, Paul Fort, Yves Cosson, René Guy Cadou, Julien Gracq, Paul Louis Rossi ont exprimé la singularité des eaux de Nantes. «Ni tout à fait terrienne, ni tout à fait maritime, ni chair, ni poisson », selon l’expression de Julien Gracq, Nantes tient son pouvoir de fascination de ses eaux mêlées et de ses nuances infinies.
Retour au fleuve
La prégnance de l’image d’un fleuve symbole d’activité et d’ouverture s’exprime dans les campagnes de promotion commerciale et touristique de la ville, jouant de l’illusion que Nantes puisse être « grand port industriel et colonial », ou encore station balnéaire. La désindustrialisation, la fin de la navale en 1987 et l’éclipse de la classe ouvrière marquent l’ouverture de la construction d’une nouvelle image, celle d’une métropole dynamique dont l’axe est l’estuaire de la Loire.
La ville, qui s’était longtemps détournée de son fleuve, y revient. Aujourd’hui, la reconquête des rives, des friches et des plans d’eau caractérise le développement urbain, à l’instar du vaste chantier de l’Île de Nantes, île unique qui résulte du comblement de boires, de seils et de faux bras, enserrée entre deux bras de la Loire. L’aménagement progressif des berges en promenades redonne au fleuve toute sa présence. Le lien intime de Nantes avec les eaux n’a cessé de marquer son histoire.
Marie-Hélène Jouzeau
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
La Loire en images
En savoir plus
Bibliographie
Archives et Bibliothèque municipales de Nantes, Mémoires de l’eau à Nantes (exposition), Ville de Nantes, Nantes, 1991
« La Loire », 303 : arts, recherches, créations, n°75, 2003
« Patrimoine maritime et fluvial », 303 : arts, recherches, créations, n°32, 1992
Péron André, Nantes et son fleuve, Ressac, Quimper, 1997
Sallenave Danielle, Dictionnaire amoureux de la Loire, Plon, Paris, 2014
Webographie
Nantes, la métamorphose d'une ville - AURAN/Ina : Manoeuvre d'un cargo
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Rédaction d'article :
Marie-Hélène Jouzeau
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