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Nantes la bien chantée : La Parricide trompée


L’héroïne est empêchée de se marier par son père. Elle engage donc trois individus pour le tuer mais le père rachète sa vie en fournissant de fausses preuves pour tromper sa parricide de fille. Peu après, le père retrouve sa fille et la répudie, la tue ou la fait condamner (selon les versions).

Les complaintes criminelles constituent un thésaurus aussi ancien que fascinant, toute considération morbide mise à part. Les faits qu’elles relatent touchent notre conscience et provoquent des sentiments partagés. La force de détails que peut parfois contenir certaines de ces chansons ! Notamment dans les longues complaintes parues au 19e et 20e siècles qui foisonnent de détails sanglants et poussent le sordide à l’extrême, au point que cette exagération peut rendre le récit amusant...

Nombre d’entre elles sont l’expression de faits réels mais les complaintes anciennes ont pour beaucoup perdu les informations significatives permettant d’établir les faits avec exactitude pour évoluer vers des formes plus génériques, plus « universelles » si l’on peut dire. Plus neutres, aussi. La parricide trompée, entre dans ce vaste ensemble et plus précisément dans la catégorie présentée par Patrice Coirault sous le titre « Parricides, fratricides, infanticides ». On y trouve de grands classiques de la complainte francophone, telles que La blanche biche, L’infanticide qu’on s’apprête à pendre, Riches marchands, etc.

Nantes, dans le texte

Une nouvelle fois, la ville de Nantes est ici mentionnée par ses ponts, sur lesquels il se passe bien des choses, plus ou moins reluisantes. Le pont, lieu de passage s’il en est, revêt souvent une portée symbolique, celle du passage d’un monde à un autre, d’un statut à un autre, etc. Ici, dans la première scène, le personnage féminin franchit le rubicond, si j’ose dire, et devient une criminelle. C’est également sur un pont (peut-être le même) que le forfait doit être accompli et que le père doit passer du monde des vivants à celui des trépassés.
Plus prosaïquement, il convient de préciser que les ponts furent longtemps de lieux de vie et de promenade, ce qui n’est hélas pratiquement plus le cas. Il est donc somme toute assez logique que ces éléments architecturaux occupent une place de choix dans les chansons populaires.

Un meurtre… non commis

Cette complainte, rarement collectée, revêt plusieurs particularités qu’il convient de préciser. En premier lieu, on remarquera que le meurtre n’a finalement pas été commis puisque la victime désignée parvient à racheter sa vie. En l’occurrence, dans l’intitulé « tueurs à gages », le plus important est ici le fait d’être « à gages », précisément. L’appât du gain offrant une planche de salut au père. Comme dans beaucoup de corporations, la conscience professionnelle ne résiste pas longtemps au charme d’une bourse bien garnie.

Si la chanson semble bien préciser le mobile du crime (la belle est empêchée de se marier par son père), elle reste muette quant aux motivations du père. La version publiée par Jérôme Bujeaud (voir bibliographie) vient à notre secours et précise que le père estime sa fille trop jeune pour la voir mariée. On déduit également que le père est probablement un riche bourgeois qui se promène avec cent écus en poche et des bagouses plein les doigts. Ce statut social offrant peut-être une piste sur les motivations réelles du père qui empêche sa fille de se marier, sans doute en attendant de trouver ce qu’il convenait d’appeler « un bon parti ».

A bien des égards, cette chanson peut être comparée à une autre célèbre complainte dite de La belle qui fait la morte pour son honneur garder. Un jeu de comparaison permet de lister un certain nombre de similitudes, partant du fait que le rôle de fausse victime est endossé par la fille dans l’une et le père dans l’autre. Tout d’abord, il s’agit justement d’une fausse mort dans les deux cas. Le crime est commis par trois personnages masculins, sans scrupules. La séquence « habituelle » de trois jours sépare le crime des retrouvailles, lesquelles, dans les deux cas, ont lieu au hasard d’une promenade.

Hugo Aribart
Dastum 44
2019

Dessus les ponts de Nantes la belle s'y promène (bis)
Dans son chemin rencontre trois jeunes brigadiers
Lui ont demandé : belle, êtes-vous mariée ?

S'il faut que j'm'y marie, il faudra tuer mon père (bis)
Dessus les ponts de Nantes ce soir il va passer
Allez-y donc l'attendre et au bois l'assassiner

Les trois jeunes brigadiers s'en vont sur la grand-route (bis)
Arrête, vieux bonhomme, riche marchand
Pour l'amour de ta fille, t'en mourras sur le champ

J'ai encore cent écus pour acheter ma vie (bis)
Tirez donc ma ceinture, mes anneaux de mes doigts,
Ce lui fera bien croire que je suis mort au bois

Les trois jeunes brigadiers s'en vont trouver la belle (bis)
Bonsoir, bonsoir la belle, bonsoir vous soit donné
Votre coquin de père est mort et enterré

Deux ou trois jours après le père il s'y promène (bis)
Et sa cruelle fille, elle vient pour l'embrasser
Disant : oh très cher père, comme vous avez tardé

Retire-toi, ma fille, car tu n'es qu'une traître (bis)
Dessus les ponts de Nantes, t'as voulu m'y faire tuer
Si je t'y faisais pendre, tu l'as bien mérité.

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En savoir plus

Bibliographie

Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et

Marlène Belly, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes

La parricide trompée (Parricides, fratricides… - N° 09710) : 9 versions référencées

Laforte, Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes

L’assassin à gage (II, A-44) : 8 versions référencées

Poulain Albert, Carnets de route – Chansons traditionnelles de Haute-Bretagne (Presses Universitaires de Rennes, Dastum, 2011, page 159

Discographie

Mme Guyot, noté « Guitto » sur la cassette, La Bogue d’Or 1978-1979, G.C.B.P.V., 1980

Version sonore

Nolwenn Le Dissez (chant), le  7 septembre 2018, à Besné, d’après la version interprétée par Jeanne Guyot, de Carentoir (56), lors de la finale chant de la Bogue d’Or en 1978

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Musique Nantes dans la chanson

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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