Jean-Pierre Garreau (1801-1896)
Architecte, entrepreneur, urbaniste, voyageur, collectionneur, ou encore maire de la ville de Remouillé : Jean-Pierre Garreau est un homme aux multiples facettes qui incarne le bourgeois du 19e siècle.
Jean-Pierre Garreau (1801-1896) n’est pourtant pas bourgeois de naissance. Il est né à Nantes, où il y passe toute la première partie de sa vie. Il commence à travailler très jeune, dès l’âge de 11 ans, suivant son père, contremaître de chantier, sur tous les travaux qu’il dirige. Le premier était celui du pont Saint-Georges, séparant la ville de Remouillé de la ville de Montaigu. Peut-être que son passage à Remouillé le marque, puisque c’est dans cette commune qu’il passe toute la deuxième moitié de sa vie aux côtés de sa femme Marie-Michelle Maillet (1809-1898).
Portraits de Jean-Pierre Garreau et Marie-Michelle Garreau (née Maillet)
Date du document : 1846
Une ascension sociale peu commune
Jean-Pierre Garreau commence sa vie professionnelle comme maçon journalier et devient vite contre-maître puis maître d’œuvre. Il explique les raisons de son ascension rapide par une force de travail extraordinaire et une conduite stricte. Le travail reste d’ailleurs tout au long de sa vie une valeur importante pour lui. Sa femme, Marie-Michelle Maillet, l’aide sur ses chantiers en surveillant le bon déroulement des travaux à ses côtés.
Le premier chantier de grande ampleur est sans aucun doute celui qu’il mène pour construire un immeuble de rapport au cours Cambronne en 1824 alors qu’il a seulement 23 ans. C’est grâce à l’aide du général Cambronne, demeurant à Nantes pour sa retraite, que Jean-Pierre Garreau n’aura plus seulement une ascension professionnelle peu commune, mais également une ascension sociale. Lors de son chantier, le général lui prête 20 000 francs pour qu'il puisse payer ses ouvriers, Jean-Pierre Garreau n’ayant pas les moyens suffisants. Une fois les travaux finis, il réussit son pari et rembourse le général dès la première vente d’une de ses constructions.
Il devient assez vite l’un des entrepreneurs et architectes prisés de cette bourgeoisie nantaise en plein essor qui cherche particulièrement à demeurer dans le centre-ville, alors que la physionomie de Nantes connaît d’importantes transformations. Dans la continuité des projets entamés au 18e siècle, de grands changements en termes d’urbanisme et d’architecture s’opèrent à Nantes tout au long du 19e siècle afin que l’espace urbain soit plus ordonné et en accord avec les principes hygiénistes de l’époque.
Il édifie ainsi par la suite de nombreuses constructions importantes pour le patrimoine nantais : le passage d’Orléans en est un exemple. Il est le premier passage couvert nantais, avant le passage Pommeraye. Mais il conduit également des travaux d’urbanisme, avec la réalisation de quartiers comme celui de Launay ou celui de la Monnaie.
Le Passage d’Orléans
Date du document : 23/07/2025
Enfin, il imagine de nombreux hôtels particuliers qu’il fait construire dans le respect des goûts de l’époque, en ajoutant tout de même sa signature. Son élément phare ? Les colonnes et les colonnettes. C’est un élément d’architecture typique du néo-classicisme qu’il aime introduire dans ses projets. Au-delà des influences antiques, il s’inspire aussi de la Renaissance avec le style architectural néo-Renaissance qu’il mélange au néo-classicisme. L’Hôtel Garreau en est un parfait exemple avec ses bas-reliefs représentant le Colisée de Rome ou la place Saint-Pierre du Vatican, des souvenirs de voyage de l’entrepreneur. Cet hôtel particulier de 1845 est l’une de ses œuvres les plus connues sur Nantes. Il a été classé Monument Historique par arrêté du 29 octobre 1975.
L’hôtel Garreau, l’année de sa construction
Date du document : 1845
L’apogée de sa carrière : la rénovation de la cathédrale de Nantes
Jean-Pierre Garreau devient l’entrepreneur de la cathédrale de Nantes, de 1839 à 1855, en premier lieu aux côtés de l’architecte Saint-Félix Seheult. Il s’agit de travaux de rénovation très prestigieux puisque les travaux sont difficiles, et peu d’entrepreneurs ont répondu à cet appel d’offre. Pendant ces travaux, il est chargé de détruire le chœur roman, d’achever le bras nord du transept et l’abside.
Cependant en 1848, une sombre histoire de procès vient ternir le chantier encore en cours. L’architecte parisien Lassus, à la demande du ministère des Cultes, vient vérifier le chantier de la rénovation de la cathédrale de Nantes. Il accuse l’entrepreneur Garreau et l’architecte Seheult d’être responsables de mauvaises méthodes de construction et de coûts anormalement élevés du chantier. Débute alors une période difficile pour l’entrepreneur. Il arrête ses travaux et part à Paris pour se défendre au mieux pendant le procès qui dure jusqu’en 1854. Jugé innocent, il reçoit un dédommagement. Suite à cette épreuve, il souhaite renoncer au chantier de la cathédrale, mais accepte finalement d’achever la restauration face aux demandes insistantes de l’ancien député de Nantes Monsieur Bignon. Jean-Pierre Garreau termine son travail en 1855 aux côtés de l’architecte Théodore Nau, Saint-Félix Seheult ayant été démis de ses fonctions en 1849.
Il démissionne l’année d’après et commence ensuite à s’éloigner petit à petit de Nantes pour rejoindre Remouillé, petite ville du Vignoble Nantais, dont il est maire de 1853 à 1865.
La cathédrale de Nantes en 1853
Date du document : 1853
Une architecture particulière
Nantes n’est pas le seul territoire sur lequel Jean-Pierre Garreau intervient au cours de sa carrière : « J’ai construit églises, ponts, château ; un nombre considérable de maisons particulières et échelonnées aussi bien dans la ville que dans la campagne. J’ai entrepris et travaillé à peu près sur toutes nos routes, quelques soient le nom qu’elles portent ; tantôt aux limites du Morbihan et tantôt aux limites de Maine-et-Loire, et aux limites de la Vendée et enfin […] aux routes qui avoisinent la Mer. » (Jean-Pierre Garreau, Quelques réflexions sur mes travaux, Archives de Nantes)
À partir des années 1850 et jusqu’à sa mort, il fait de la commune de Remouillé son terrain de jeu. De nombreuses réalisations prennent place dans le bourg : son manoir du Champ-du-Pont, un grand lavoir, un musée de mannequin, un musée-bibliothèque, un calvaire, un minaret dénommé Tour Saint-Georges, ou encore d’innovants travaux de canalisations et de souterrains qui traversent la ville… sans parler de ce qui est devenu le symbole de la commune de Remouillé : sa chapelle-tombeau. Cette dernière, nommée aujourd’hui Chapelle Garreau, représente son travail et sa vie toute entière à travers son architecture éclectique. À la fois lieu de culte, musée, lieu de repos et tombeau familial, c’est l’œuvre qui lui ressemble le plus parmi toutes celles qu’il a édifiées, de par son style, ses utilisations et les objets que la chapelle-tombeau abrite.
La chapelle Garreau à Remouillé
Date du document : Début 20e siècle
Un curieux voyageur et collectionneur
À côté de son métier d’architecte-entrepreneur, Jean-Pierre Garreau est un homme érudit, doté d’une grande curiosité jamais assouvie. Comme de nombreuses personnes de son rang, il s’adonne aux voyages et à la collection, des activités émergentes courantes au 19e siècle.
En effet, Jean-Pierre Garreau a beaucoup voyagé entre 1830 et 1860, que cela soit pour son travail ou pour son plaisir. Il visite ainsi la cathédrale Saint-Paul à Londres, la cathédrale de Cologne en Allemagne et même la basilique Saint-Pierre à Rome pour s’en inspirer lors de ses travaux de la cathédrale de Nantes. Dans ses mémoires, il aborde de nombreuses fois le voyage comme constitutif de sa culture et de son savoir. Son ultime voyage au Moyen-Orient avec son épouse et une de ses filles en 1860 est ainsi le plus marquant, puisqu’il se rend seul à Jérusalem. Un voyage qu’il décrit comme « une épreuve à vivre de par les dangers et les maladies qui s’y trouvent ». En effectuant ce voyage, il témoigne de sa foi religieuse. En outre, il rapporte de nombreux objets et du sable de la Terre Sainte qu’il repend sur le sol de la crypte de sa chapelle sur lequel sont disposés son cercueil et ceux des membres de sa famille.
Par ailleurs, les nombreux objets et minéraux ramenés de ses différents voyages font de lui un grand collectionneur. Sa collection éclectique comprend également de nombreuses peintures, gravures ou encore objets du quotidien. Il décrit avoir plus de 3 000 objets répartis entre plusieurs édifices à Remouillé : son manoir de Champ-du-Pont, sa Tour Saint-Georges, son musée-bibliothèque et sa chapelle-tombeau.
Station III du chemin de croix de la chapelle Garreau
Date du document : 01/07/2025
Enfin, Jean-Pierre Garreau ne s’est pas contenté d’approvisionner seulement ses propriétés à Remouillé. Il a aussi fait beaucoup de donations suite à son voyage de 1860, à différents musées nantais qui se constituent à cette époque. Par exemple, il a donné des fossiles, coquilles et minéraux provenant de Syrie, d’Égypte, de Grèce, d’Italie, Suisse au Muséum d’Histoire naturelle. Il a également fait don au Musée de tableaux (Musée d’art de Nantes) de différents catalogues de galeries de tableaux visitées lors de son voyage en Orient, mais aussi de plans de la ville de Jérusalem et du Saint Sépulcre. Néanmoins, même si la trace de ces donations apparaît aujourd’hui dans des lettres de remerciements de 1860, les seuls objets qui nous sont parvenus à ce jour sont ses donations à la Société archéologique et d’histoire de Loire-Inférieure (qui gère à ce moment-là une partie des collections de l’actuel musée Dobrée) : une statuette venant de Rome et une stèle funéraire venant du Caire.
Fragment de statuette en marbre ramené de Rome (époque gallo-romaine)
Date du document : 2012
Une histoire oubliée
Si Jean-Pierre Garreau rêvait de créer une « dynastie Garreau » avec sa descendance, ce ne fut malheureusement pas le cas. Le couple donne naissance à quatre enfants, deux fils et deux filles. Un de ses fils meurt jeune, et une de ses filles n’a pas d’enfants. Ses petits-enfants décèdent à leur tour jeune ou sans descendance. La lignée des Garreau s’éteint alors en 1922 avec la mort d’une de ses petites-filles, Marie Hilléreau qui a ensuite tout légué à sa « loyale et dévouée » domestique, Victorine Vinet. Elle reçoit à ce moment-là un héritage colossal : la chapelle-tombeau et le musée-bibliothèque de Remouillé avec leurs objets, la grande maison de l’Abbaye où elle habitait dans la commune de La Planche, ainsi que quelques habitations nantaises.
Cependant, tout cela représente une charge trop grande pour la vie qu’elle avait mené jusqu’alors. Par conséquent, elle décide de vendre toutes les propriétés dont elle a héritées, exceptées la maison de l’Abbaye et la chapelle-tombeau.
C’est ainsi qu’aujourd’hui la mémoire de Jean-Pierre Garreau s’est peu transmise, malgré les constructions nantaises et remouilléennes d’une grande importance patrimoniale. Était-ce à cause de sa formation d’autodidacte peu commune qui ne trouvait pas sa légitimité dans ce milieu ? De son procès qui a laissé des traces sur sa réputation malgré son innocence ? Ou bien à cause de sa descendance éteinte qui n’a pas permis la transmission matérielle et immatérielle de son passage ? L’histoire s’efface plus facilement qu’elle ne s’écrit, mais de nouveaux éléments pourraient voir le jour dans l’avenir pour continuer d’approfondir l’histoire de cette personnalité nantaise.
Lucie Villeneuve
Mairie de Remouillé en partenariat avec le Pays d’Art et d’Histoire du Vignoble Nantais.
2025
Album : Jean-Pierre Garreau (1801-1896)
En savoir plus
Bibliographie
Garreau Jean-Pierre, Simple notice sur les monuments édifiés à Remouillé, Librairie Forest, Nantes, 1887
Webographie
Les œuvres architecturales de Jean-Pierre Garreau à Remouillé
Ressources Archives de Nantes
39 Z 1 : Travaux d'agrandissement de la cathédrale. Contentieux entre Jean-Pierre Garreau et le ministère de l'Instruction publique et des Cultes (1848-1870)
39 Z 2 : Livre 2e pour faire suite à la Cathédrale de Nantes Affaire Garreau (1852-1881)
Pages liées
Parcours À la découverte des œuvres de Jean-Pierre Garreau
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Rédaction d'article :
Lucie Villeneuve
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