Caractéristiques du territoire de Doulon jusqu’au 19e siècle
Si Doulon est aujourd’hui un quartier nantais situé à l’est de l’agglomération, c’était jusqu’en 1908 une commune indépendante située à quelques kilomètres de Nantes. Du Moyen Âge à la fin du 20e siècle, la commune est traversée par l’étier de Mauves qui sépare en deux le territoire : au sud, la prairie de Mauves est une zone inondable et inondée une grande partie de l’année, laissée pour l’essentiel en pré ou en bois ; au nord, un territoire cultivé.
La commune n’avait la particularité de n’être composé que de hameaux relativement petits qui ne se sont densifiés qu’à partir des années 1960. L’urbanisation du quartier est donc un phénomène récent qui témoigne de la permanence entre le Moyen Âge et le 20e siècle d’un mode de gestion du territoire très fréquent dans les régions de l’Ouest mais relativement inattendu sur le flanc oriental de Nantes.
Une nébuleuse de villages
La nébuleuse de « villages » qui émaillent le territoire de Doulon trouve vraisemblablement son origine dans les modes de mises en valeur du territoire par les gaigneries et les tenures au Moyen Âge, bien avant la mise en place d’une paroisse au début du 12e siècle : les laboureurs se sont installés à proximité de leurs terres plutôt que de se regrouper autour d’un bourg aux limites bâties bien définies. En France, ce mode d’implantation sur le territoire est généralement le reflet d’une économie agricole basée sur l’élevage, mais il est également le résultat de facteurs historiques et géographiques spécifiques. En effet, la position de Doulon aux portes de Nantes a peut-être appuyé ce phénomène par la création de nombreuses maisons nobles ou de fiefs ; ce qui est une manière facile et efficace de remercier des serviteurs zélés et de les faire accéder au titre d’écuyer mais qui va démultiplier les seigneuries puis les tenures au lieu de les regrouper.
Tableau d'assemblage du cadastre parcellaire de la commune de Doulon
Date du document : 1834
Dans ce paysage éclaté, les liaisons peuvent être difficiles. Les lieux-dits sont parfois distants de plusieurs kilomètres, accessibles par de petits chemins de terre souvent inondés. Chaque hameau vit donc en quasi-autarcie : d’après les descriptions du 18e siècle, trois fermes composent la plupart d’entre eux dont une au moins avec une laiterie et, autour des habitations, les prés, les zones de labour, les vignes et les jardins offrent à tous l’occasion de pouvoir survivre sans sortir des limites du hameau.
Au centre du territoire, le hameau du « bourg » – aujourd’hui place du Vieux-Doulon – s’est constitué autour d’un ancien établissement monastique devenu église paroissiale. La présence de l’église en fait un point d’attraction pour tous les habitants qui s’y retrouvent au moins une fois par semaine pour entendre la messe. Exception faite du culte, les occasions de sociabilité au bourg sont rares car celui-ci n’accueille aucun marché : les hameaux se contentent de leur production vivrière et les habitants vont à Nantes pour vendre leur surplus. En 1809, le conseil municipal précise que la population de Doulon quoique nombreuse est indigente, la presque totalité des habitants n’ayant que de petites fermes- dites borderies.
L’indépendance des hameaux semble se renforcer aux 18e et 19e siècles par la construction de chapelles (à la Colinière, au Blottereau, à la Papotière sur les propriétés des différents châteaux mais également au Portail-Rouge et aux Gohards) et par la mise en place, en 1775, d’un marché tous les quinze jours et de quatre franches-foires aux bestiaux annuelles près de la nouvelle chapelle dite Notre-Dame-des-Grâces.
L’échec de l’encellulement
La présence de l’église au bourg de Doulon est attestée dès le 9e siècle tandis que le cimetière est cité dans des sources de la fin du 11e siècle et du début du 12e siècle. Cet enclos ecclésiastique s’est peut-être implanté sur des terrains ayant appartenu à la seigneurie de Chamballan, toute proche.
La présence de l’église et d’une seigneurie – peut-être matérialisée par un manoir (Saint-Laud ?) – n’a pourtant pas suscité de phénomène d’attraction et ni d’encellulement qui aurait eu pour conséquence de créer un bourg dominant sur le territoire. Malgré le fait que les deux kilomètres à parcourir entre Toutes-Aides et le bourg s’approchent depuis le 13e siècle de la distance critique maximale que l’Église ne souhaite pas dépasser entre le domicile des fidèles et le sanctuaire qui doit les accueillir hebdomadairement, les habitants ne se sont pas rapprochés de ce dernier : ils ont trouvé des solutions de substitution en allant dans les églises de Nantes ou en construisant de petites chapelles comme celles érigées au Gué Robert ou à Toutes-Aides au Moyen Âge.
Il en va de même pour le château. La présence possible de mottes castrales et la construction supposée d’un château-fort au Gué-Robert n’ont pas réussi à attirer suffisamment les habitants pour créer un bourg le long de l’étier. Pourtant, le lieu regroupait non seulement un château mais également une chapelle, située aux environs du Ponceau/Petit-Blottereau. L’échec de l’encellulement autour du château explique peut-être pourquoi nul n’a jamais revendiqué le titre de « seigneur de Doulon » : le fief originel n’était pas assez consolidé dans le territoire pour résister au temps et a été vite morcelé.
Ainsi, Doulon n’a connu ni « inecclesiemento » ni « incastellemento» à la manière de la majorité des communes de la France, mais est resté un territoire ouvert sans dénominateur fort. Pour autant l’appréhension géographique vécue par les habitants a donné naissance à des expressions proches de celles que l’on rencontre dans les bourgs où la situation de l’église crée « un haut » ou « un bas » bourg. En effet, deux ensembles sont désignés jusqu’au milieu du 19e siècle : le « haut doulon » et le « bas doulon » mais cette dénomination fait référence à la présence de l’étier qui, sur ce territoire, détermine, bien plus que les monuments, la géographie et son corollaire, l’implantation humaine : le bas Doulon – aussi nommé « vallée de Doulon » sous l’Ancien régime – est sous le niveau des hautes-eaux du fleuve contrairement au haut Doulon. La délimitation entre les deux Doulon est floue pour ceux qui ne vivent pas sur le territoire car elle n’a jamais fait l’objet d’une inscription dans la toponymie. C’est une délimitation d’usage qui exprime la réalité du territoire.
Les spécificités du bourg : forme, architecture, bâtiments, réseaux
Au 18e siècle, outre l’église, le bourg se compose de deux maisons ainsi que d’une ferme avec une laiterie et de quelques autres logis en ruine. Au début du 20e siècle, la situation est quasiment identique à l’exception de la création de deux buvettes et de deux écoles à l’extérieur du hameau.
Trois phénomènes peuvent expliquer que le bourg n’ait jamais réussi à s’étoffer malgré la présence de l’église et du cimetière. Tout d’abord, les commerces ne s’y installent pas avant l’extrême fin du 19e siècle. Auparavant, aucun commerce ne semble avoir été installé au bourg et aucun des habitants recensés dans les différents actes de l’Ancien Régime ne revendique une autre profession que celle de laboureur.
En parallèle, aucun notable n’a jamais réellement habité le bourg et aucune maison d’importance n’y a été construite à l’exception du presbytère et du manoir Saint-Laud qui devient rapidement une ferme.
Le bourg ne fut pas non plus un nœud routier au centre d’un réseau qui aurait relié l’ensemble des hameaux et aurait orienté la circulation du territoire. Certes, il est traversé par le chemin allant de Nantes à Sainte-Luce mais les deux autres voies (chemin de la Rivière et actuelle rue du Pontereau) qui y mènent ne sont guère importantes. En outre, si le bourg se situe sur le chemin menant de Nantes à Sainte-Luce, c’est aussi le cas du Verger, des Perrines, du Sausaie, de Chamballan, de l’Ecusson et de la Papotière. Le chemin de la Rivière qui relie le bourg à l’étier n’est pas le seul à le rejoindre : le chemin du Grand Blottereau, le chemin du Gué Robert sont également des axes de traverse et ils sont plus directs.
Le peu de chemins menant au bourg suggère qu’il n’y a aucune raison – à l’exception des services religieux – de se rendre plus à cet endroit que dans les autres villages. Cette supposition est d’ailleurs confortée par le fait qu’il n’y a aucun marché à Doulon avant le 19e siècle, ni aucune foire avant le 18e siècle ; et que ces foires furent implantées à la Colinière sous l’impulsion de la famille Charrette tandis que le marché était établi à Toutes-Aides par la commune.
Détail du bourg de Doulon sur le cadastre parcellaire de la commune de Doulon
Date du document : 1834
Le recensement de 1856 démontrait d’ailleurs que le bourg n’avait pas plus d’habitants que les autres villages. On y dénombrait 66 personnes tandis qu’une centaine était recensée au Landreau (bas et haut réunis) ou à la Noé Garreau, et que la Clardière et la Ragotière regroupaient une soixantaine de personnes.
Si le bourg ne constitue pas un pôle d’attraction suffisant pour avoir généré de nombreux chemins, la circulation interne n’a pas non plus fait l’objet d’un aménagement. Les bâtiments (presbytère, église, fermes) s’échelonnent le long des deux axes qui traversent le village et aucun autre sentier ou voie plus conséquente n’y a été percée. La seule mention qui suggère un réseau parallèle concerne l’entrée du seigneur de Chamballan dans l’église par un chemin qui, traversant la propriété du presbytère, évite au seigneur de faire le tour par le grand chemin et lui ménage une entrée séparée.
Enfin, l’architecture du bourg semble avoir peu différé de celle des villages. En effet, il n’y a au bourg que deux grosses maisons, le presbytère et le manoir Saint-Laud, qui se distinguent des fermes alentour. Le premier, construit au 17e siècle, en impose par sa massivité et les murs qui le protègent à une époque où ceux-ci entouraient encore partiellement les maisons nobles. C’est une grosse bâtisse couverte d’ardoise qui comporte six pièces dont des pièces de réception au rez-de-chaussée éclairées de plusieurs fenêtres. Il a des dépendances dont une écurie, un four, un pressoir, une laiterie et deux greniers dans lequel le recteur peut entasser ses réserves et, en particulier, les dîmes auquel il a droit.
L’autre maison importante est le manoir Saint-Laud dont l’origine est mal connue. Aujourd’hui disparu, il avait été reconstruit - d’après son style architectural visible sur les photographies du début du 20e siècle – au 17e siècle dans la même veine que d’autres bâtisses nobles du territoire. Il était pourvu d’un étage auquel on accédait par une tourelle d’escalier hors-œuvre de plan rectangulaire aux angles chaînés de pierre de taille. Sa porte en arc plein cintre donnait vraisemblablement accès à une « grande » salle pourvue d’une cheminée tandis qu’à l’étage il y avait sans doute deux chambres à feu.
Manoir de Saint-Lô
Date du document : sans date
Jusqu’à la fin du 19e siècle où les typologies urbaines vont commencer à s’implanter sur l’ouest du territoire, ces bâtiments sont vraisemblablement plus imposants que les habitations des paysans. Pour autant, ils ne constituent pas un cas unique car des manoirs sont dispersés dans un grand nombre de lieu-dit et, jusqu’au 18e siècle, le Verger, le Grand et le Petit Blottereau, la Rivière, la Colinière, la Chesnaie, la Papotière et Bois-Briand sont pourvus d’édifices de type manoirs ou folies construits durant le Moyen Âge ou l’époque moderne.
Le lien habitat/champs
Si aucun phénomène d’encellulement n’a été déclenché par la présence des édifices religieux et aristocratiques, il faut donc chercher dans les spécificités de la mise en valeur du territoire les raisons de la dispersion durable de l’habitat à Doulon.
En effet, il semble que le lien d’attraction dominant à Doulon ait été celui entre une « maison » et les champs qui l’entourent, ce qui a engendré la dispersion de l’habitat puisque chaque laboureur s’est implanté au plus proche des terres qu’il cultivait. Ce phénomène a peut-être été généré dès l’origine de la mise en valeur du territoire par la création de gagneries (espaces à défricher en commun par plusieurs exploitants créé sur des terres ecclésiastiques ou aristocratiques) au 10e ou au 11e siècle, d’hébergement (petite exploitation qui ne dépasse pas quelques hectares, créée sur une terre seigneuriale pour défricher une forêt ou mettre en exploitation de la lande ou des marais) au 12e ou au 13e siècle, ou par la création de tenures (exploitation agricole concédée par le seigneur à un tenancier à charge de redevances et de services) pendant tout le Moyen Âge.
Sur le modèle décrit pour l’installation de gagneries par l’abbaye du Ronceray à Saint-Lambert-du Lattay (Maine-et-Loire) dès le 11e siècle, des « villages » regroupant plusieurs familles ont pu s’établir dès une époque reculée au milieu de terres dépassant rarement la vingtaine d’hectares et entourées d’un unique fossé pour former des hameaux auréolés de jardins, de vergers et de parcelles labourables sans clôture. Ce phénomène originel est soutenu ensuite par l’implantation de borderies (petites fermes exploitant moins de cinq hectares) liées à la création de tenures ou d’hébergement. Il a également pu être accentué par la faiblesse des seigneuries qui en multipliant les tenures nobles ou non nobles se créaient un réseau de vassalité tout en profitant des fruits de la mise en culture pour s’enrichir.
La densité de l’habitat et des installations agricoles semble liée à la qualité et à la taille de la terre à exploiter. Une petite tenure de moins d’une « hommée » (terrain pouvant être travaillé par un homme en un jour) n’a que rarement donné lieu à la création d’un habitat. En revanche, les quelques métairies du territoire comme celle des Perrines, de la Courrocerie, de la Marmonnière, du haut Saulzay ont donné naissance à des exploitations denses car elles géraient de vastes terres.
Ces exploitations semblent avoir été regroupées à un seul endroit de leur finage (territoire exploité) : les textes anciens ne mentionnent pas de granges ou de courtils dispersés, à l’écart des habitations.
La dispersion de l’habitat sur le territoire ne doit pas laisser penser que les habitants vivaient dans un total isolement. En effet, les fermes étaient entourées de nombreuses « issues » qui ouvraient sur des chemins menant aux différents lieux-dits des alentours. L’analyse du cadastre de 1834 permet de mieux saisir la multiplication des chemins entre les lieux-dits et la multiplicité des contacts possibles entre les habitants. À ces cheminements cadastrés, s’ajoutent des chemins qui avaient presque disparu lors de l’enquête cadastrale et la multitude des franchissements et passages dans les pâtures qui ne sont pas perceptibles sur plan.
Hypothèse de restitution d'anciennes liaisons entre les lieux-dits du territoire de Doulon
Date du document : 1834
La présence de ces cheminements nombreux et variés permet de soupçonner les pratiques de voisinage confortées par l’obligation d’une entente minimum entre cultivateurs. Cette supposition est renforcée par une très forte pratique de communs jusqu’à la fin du 19e siècle : après la récolte, de nombreux champs servaient de pâture commune aux animaux d’un même finage voire de la commune entière.
L’habitat dispersé caractéristique de Doulon jusqu’à la fin du 20e siècle est donc une spécificité qui remonte aux débuts du Moyen Âge et qui traduit vraisemblablement un processus d’implantation humaine liée à l’effort de défrichement, puis à la pratique de champs ouverts et de communs. C’est donc le lien entre les habitants et leurs champs qui a été déterminant au détriment du pouvoir d’attraction d’une église ou d’un château.
Suite Caractéristiques du territoire de Doulon 19e - 20e siècles
Julie Aycard
Dans le cadre de l’inventaire du patrimoine du quartier de Doulon
2021
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Dossier : Inventaire du patrimoine de Doulon
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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