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Marionnettes Henry Orrion (1891 – 1971)

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Caractéristiques du territoire de Doulon 19e - 20e siècles


Les caractéristiques de Doulon commencent à se modifier dans la première moitié du 19e siècle. À cette époque, Nantes, en pleine expansion économique et démographique, attire une population nouvelle qui par manque de place ou de moyens s’installe sur les territoires limitrophes.

L’ouest de Doulon devient une terre d’élection pour cette population qui va peu à peu faire grossir le quartier de Toutes-Aides : en 1856, 600 personnes habitent ce quartier, presque le double du reste du territoire ; en 1876, la commune compte 3304 habitants dont 2410 à Toutes-Aides.

Cet accroissement de la population entraîne également une modification de sa composition sociologique. Au début du 19e siècle, des artisans (maréchaux, charrons, cercliers, tonneliers) apparaissent dans les recensements et 40 ans plus tard, les premiers ouvriers et employés sont recensés : Martin Lefevbre poseur de rail, Alexandre Moreau employé du chemin de fer.

Plan topographique de la partie sud-ouest de Doulon

Plan topographique de la partie sud-ouest de Doulon

Date du document : 07-12-1887

Deux éléments de crispation : la localisation de l’école publique et de la nouvelle église

Sous l’impact de cet afflux de population, un quartier – au sens urbain du terme – se crée là où pendant des siècles il n’y avait eu que des hameaux épars dans un paysage agricole et cette métamorphose va polariser la commune et entraîner des crispations au sein du conseil municipal : en 1818, celui-ci s’insurgeait du projet de fusion entre Doulon et Sainte-Luce voulant maintenir l’unité et l’identité du village ; 70 ans plus tard, en 1888, certaines voix demandent la division de la commune et la création de deux entités, celle du bourg de Doulon ou Vieux Doulon et celle de Toutes-Aides. Entre ces deux positions diamétralement opposées, les dissensions ont été exacerbées par une forte prise en compte de la distance et du temps nécessaire pour se rendre d’un point à un autre au sein du territoire. Deux sujets vont cristalliser les passions communales : l’école et l’église.

En 1846, alors qu’aucun terrain n’était disponible au bourg, le conseil avait édifié la première école communale sur un terrain dépendant des Perrines, profitant de l’offre de don d’un terrain par M. Minatte, maire de Doulon, et pensant que cette situation serait profitable au plus grand nombre puisque le quartier voisin de Toutes-Aides regroupait la plus forte population. Mais ce choix avait suscité le mécontentement des habitants du bourg et de leur curé, considérant que l’école doit être située « au centre de la commune afin d’épargner aux enfants une perte de temps toujours si précieux dans la campagne » et qu’elle doit être située « au voisinage de l’église pour qu’ils puissent passer de l’école aux exercices du catéchisme sans doubler leurs courses et leur fatigue ». Cette première école payante est rapidement délaissée ; on constate que les enfants de Toutes-Aides préfèrent aller dans les écoles de Nantes qui sont gratuites. Ce n’est qu’en 1885, suite à l’augmentation rapide des effectifs scolaires, que de nouveaux locaux pour l’école communale sont construits à l’arrière de la mairie ; les écoles du bourg du Vieux-Doulon ne seront bâties qu’en 1900.

Pour l’église, le processus est presque identique. Dès 1844, la nécessité d’engager de lourds travaux sur l’église Saint-Médard va lancer les premières demandes de transfert de l’édifice à Toutes-Aides dont la population est plus nombreuse. En 1854, la commune demande la création d’un poste de vicaire considérant que « la paroisse s’étend sur une ligne de 4 kilomètres, que l’église placée dans le bourg se trouvant éloignée de plus de 2 kilomètres du village de Toutes-Aides où il existe une chapelle, les habitants de ce village et des environs sont très nombreux et représentent plus des deux tiers de la commune, ne peuvent pas tous assister aux offices de la paroisse, qu’il fait que dans chaque famille, une partie se rend à la messe de la chapelle de Toutes Aides ». Cette première formulation officielle aboutit 20 ans plus tard à la création d’une nouvelle paroisse, celle de Notre-Dame de Toutes-Aides officialisée en 1873 malgré l’opposition forte du curé de Saint-Médard et de ses paroissiens. Le nouveau statut d’église de l’ancienne chapelle de Toutes-Aides entraîne, en 1874, une demande de création d’un cimetière. Celui-ci sera établi aux Perrines en 1888.

Église Notre-Dame de Toutes-Aides

Église Notre-Dame de Toutes-Aides

Date du document : 1890

La séparation de la commune en deux entités géographiques

La création de deux équipements scolaires et de deux églises sur le territoire est le résultat d’une évolution sociétale forte sur l’appréhension du temps et de la distance. Les habitants de Doulon sont entraînés dans le bouillonnement économique et démographique de Nantes : le « temps » des ouvriers n’est pas le même que celui des paysans, celui des jardiniers est plus rapide que celui des laboureurs.

Si l’école et l’église ont été des sujets de crispations fortes entre les habitants et au sein du conseil, le débat sur l’implantation de la mairie dans la commune lancé dès les années 1830, confirme la translation du pouvoir communal vers l’ouest. Le nouveau quartier va également être séparé de son territoire originel par des aménagements urbains : en 1873, la construction d’un boulevard de ceinture, actuel boulevard de Doulon,  est mis en œuvre créant une première barrière ; en 1877, la ligne Nantes – Châteaubriant est inaugurée par la compagnie du chemin de fer de Paris-Orléans constituant une seconde ligne de séparation entre le Vieux Doulon et Toutes-Aides. Ces deux lignes vont circonscrire géographiquement le quartier qui devient alors une entité définie. Il bénéficiera des progrès initiés par Nantes comme la prolongation de la ligne de tramway en 1876, l’arrivée du gaz et de l’éclairage public en 1884, la mise en place d’un marché en 1888, la création de trottoirs et de caniveaux en 1898, la construction d’un égout collecteur en 1900. Doulon bénéficie également d’aide pour la mise en place du réseau d’eau avec le don de bornes-fontaines et de bouches à incendie. L’augmentation de la population dans ce nouveau quartier urbain fait étudier la possibilité d’y installer les premiers bains-lavoir en 1903.

Dans les premières années du 20e siècle, l’ensemble des services devant composer une communauté française (mairie, école, église et cimetière) se retrouve à Toutes-Aides au détriment du bourg de Doulon. Ce glissement géographique peut s’assimiler à un encellulement tardif sous la force de l’attraction économique de Nantes, alors qu’au Moyen Âge ce phénomène était engendré par un pouvoir (église ou château) propre de la commune. Consciente de cette partition, le conseil municipal nomme ces quartiers, « la partie agglomérée » de Doulon et demande à dresser un plan des rues et places, le premier demandé depuis le cadastre de 1834.

Mairie annexe de Doulon

Mairie annexe de Doulon

Date du document : 31-01-1978

L’annexion à Nantes en 1908

En 1905, Nantes, trop à l’étroit dans ses limites communales, conçoit un projet visant l’annexion des communes de Doulon sur son flanc oriental et de Chantenay sur son flanc occidental. Ce projet rencontre une vive opposition de la part des habitants et du conseil municipal comme en témoignent les délibérations communales : « La suppression de notre commune est demandée, c’est une sentence de mort civile requise contre Doulon. » Pour essayer de sauvegarder l’indépendance de la commune, le maire plaide sa cause auprès du ministère, mais les besoins de Nantes, de son port, de sa population sont toujours primordiaux pour l’Etat.

Si l’annexion a été vécue comme la disparition d’une identité et une assimilation annoncée, elle est en réalité l’aboutissement du processus de polarisation et d’encellulement tardif datant du 19e siècle : l’attraction nantaise avait déporté l’ensemble des services communaux vers l’ouest du territoire attirant là des habitants urbains, souvent ouvriers à Nantes.

Dans les faits, l’annexion ne change rien pendant plusieurs décennies car le territoire du bourg n’a pas suffisamment d’aménagements pour encourager son urbanisation. Il va donc falloir, dans la lignée du percement du boulevard de ceinture, que Nantes reprenne sur Doulon les aménagements qu’elle réalisait sur son propre territoire depuis le 18e siècle.

En effet, lorsque Nantes absorbe le territoire, il n’y existe qu’un seul chemin de grande communication, celui qui passe par la Colinière et la Basse-Chênaie pour relier Nantes à Thouaré. Projeté en 1850, cet axe devait à l’origine traverser Toutes-Aides, les Perrines, le Petit Sauzaie, le bourg, la Papotière, Chamballan et le moulin du Bois-Briand avant que le projet de ne soit modifié en 1853 au grand dam de la commune de Doulon qui y voyait un moyen de désenclaver le bourg.

Le désenclavement du bourg par la création de routes

Dès 1912, la Ville s’attelle à mener à bien ce projet de désenclavement en dressant le plan d’alignement du futur boulevard Penaud. L’agrandissement et la transformation du chemin de terre qui existait sous l’Ancien Régime vont entraîner la construction du premier lotissement doulonnais, avenues Praud et Pelletier d’Oisy.

Plan d'alignement du chemin n°101 du bourg de Doulon

Plan d'alignement du chemin n°101 du bourg de Doulon

Date du document : 24-10-1913

Outre les chemins, le bourg manque également d’aqueducs et de collecteurs. En 1903, les canalisations d’eau avaient été tirées depuis la « partie agglomérée » de Doulon jusqu’au Grand Blottereau pour desservir l’école d’Agriculture. Grâce à la Première Guerre mondiale et à l’installation de l’hôpital américain dans le parc du Grand Blottereau, le premier réseau d’égout collectif va longer une partie de ce nouveau boulevard et amener un certain confort urbain au Vieux Doulon.

En 1929, la dernière phase d’aménagement du boulevard Penaud permet de créer une première « place » au hameau du bourg. Plus proche du carrefour que de l’espace urbain pensé et programmé, la création de la place du Vieux Doulon annonce celle de la rue de la Papotière sur une longueur de 237 mètres.

À la même époque, les services de la voirie constatent que le chemin du Perray qui mesure 352 mètres entre la gare de Saint-Joseph et la route de Sainte-Luce n’est pas terminé : il est empierré sur seulement 180 mètres et ne mesure que 6 à 7 m de large. Malgré le fait que le chemin est très fréquenté par les cyclistes et les piétons, les services ne sont pas certains de réussir à créer une voie de 10 mètres de large car les propriétaires riverains ne veulent pas vendre les terres nécessaires à l’agrandissement.

Dans les années 1930, la dynamique maraîchère qui crée la richesse de Doulon et le développement de l’automobile permettent de faire aboutir les projets communaux dans le nouveau quartier : le boulevard Penaud est élargi à 20 mètres car « cette voie est de plus en plus fréquentée, en raison du grand nombre de constructions édifiées depuis quelques années dans ce quartier en plein développement. Elle est empruntée par un service régulier d’autocars assurant la liaison entre la Ville et le bourg de Doulon puis Sainte-Luce ». Puis, en 1938, l’élargissement et l’alignement du chemin du Perray sont enfin mis en œuvre.

En parallèle de cet aménagement de la voirie, la ligne de chemin de fer entre Nantes et Châteaubriant va devenir une liaison centrale entre le centre-ville et le quartier. En 1912, la Ville demande à la SNCF de transformer la halte de Doulon en véritable gare pour permettre de prendre les trains express. L’agrandissement de l’édifice s’accompagne de la mise en place de nouveaux hangars et quais de chargement pour les maraîchers. Sur le même trajet, la ligne de tramway est prolongée jusqu’à la mairie annexe de Doulon en 1930.

Ces aménagements urbains ne sont pas suivis immédiatement d’une phase d’urbanisation car le « Vieux Doulon » est toujours une terre complètement agricole mais des projets entrent en gestation comme celui de la construction d’une cité jardin par l’office des habitations Bon Marché au lieu-dit Beau-Soleil.

Plan d'ensemble des opérations réalisées au Vieux-Doulon lors de la création du lotissement de la propriété de Becdelièvre

Plan d'ensemble des opérations réalisées au Vieux-Doulon lors de la création du lotissement de la propriété de Becdelièvre

Date du document : vers 1920

L’urbanisation de l’après-guerre : les lotissements et les équipements

Après un demi-siècle d’incubation urbaine et de préparation (modeste) du territoire, l’après-guerre lance le mouvement d’urbanisation du quartier en accroissant les besoins de logements sur Nantes.

Les premiers ensembles bâtis mis en œuvre sont destinés à la population cheminote et s’installent sur le domaine ferroviaire, le long du dépôt et de la gare de triage. Dès 1944, les premiers baraquements provisoires sont bâtis sur la future cité des Enklays. Ils sont suivis dès 1946 des premières maisons individuelles. Ces premières constructions ne sont pas assez nombreuses pour loger près de mille familles. Une cité en bois avec des rues et une école est donc érigée dans le parc du Grand-Blottereau. En 1947, la construction des maisons de la cité Marin-Poirier est lancée, celle des tours en 1958. Pour accueillir les enfants, les écoles du quartier sont reconstruites et agrandies donnant naissance au groupe scolaire Maurice-Macé.

L’accroissement de la population et la disponibilité des terrains encouragent l’État à installer dans le quartier un nouveau bâtiment public : le lycée de la Colinière dont les premières classes ouvrent en 1962. L’ouverture de l’établissement pousse le service municipal de la voirie à anticiper les futurs besoins du quartier et à détruire le manoir Saint-Laud pour percer un boulevard joignant la place du Vieux Doulon à la Colinière. En 1964, sur le flanc de ce boulevard, les premiers immeubles collectifs de Doulon sont érigés et les terres de l’ancien lieu-dit des Grenouilles sont loties en quarante parcelles disposées autour des rue Bernadette, Anne-Marie et de la rue des Grenouilles.

La mise en lotissement est favorisée, le 17 avril 1967 par la décision municipale de faire prendre en charge par la commune la viabilisation des terrains des particuliers désirant bâtir. En 1970, le lotissement de la Mustaudière qui rassemble une centaine de parcelles est lancé face au lycée en cours de finalisation. Pour répondre aux besoins des anciens et des nouveaux habitants, un petit centre commercial s’installe en 1971, rue du Pontereau. Dans ce secteur en plein bouleversement, l’État implante, en 1982, le casier judiciaire national sur une parcelle limitrophe au lycée et la Ville de Nantes érige la maison de quartier en 1979.

L’urbanisation du Vieux-Doulon par lotissements privés engendre plusieurs spécificités. La première tient au caractère privé de la voirie. En effet, les lotissements sont généralement aménagés par des syndicats de propriétaires qui gèrent encore aujourd’hui la majorité des aménagements de ces lotissements. Cette maîtrise foncière privée donne lieu à un marquage fort des limites avec la mise en place de barrières amovibles ou de plots de béton et de caméras pour empêcher les non-résidents de se garer sur les lieux. La seconde tient au maintien de certaines constructions agricoles au sein des lotissements. Les murs qui clôturent à partir du début du 20e siècle les parcelles sont bien souvent maintenus pour délimiter les parcelles. Certains éléments pittoresques comme les réservoirs sont également conservés. Cette permanence de certains éléments permet de lire encore aujourd’hui le passé récent de Doulon dans son parcellaire.

Les années 1980 : la fin des terres agricoles

En 1983, l’adoption du plan d’Occupation des sols bouleverse l’équilibre installé depuis trois décennies grâce au dialogue entre équipements publics, aménagement de voirie et lotissement d’habitations. Le POS est le premier règlement d’urbanisme que va connaître Doulon. Il détermine entre autres choses les zones dites « NA » ou zones d’urbanisation future et les zones dites « NC » ou zones agricoles. Par ce document, la quasi-totalité des terrains agricoles du Vieux Doulon deviennent des zones constructibles, offrant une réponse à la pression foncière que connaît la ville. La légalisation de la vente des terrains agricoles à fins de construction d’habitation décuple le nombre de lotissements à Doulon.

Les nouveaux habitants vont bientôt bénéficier de l’ouverture du tramway en 1985 entre la Haluchère et le centre-ville de Nantes, un service qui met celui-ci à moins de vingt minutes de Doulon et augmente l’attractivité du quartier.

Julie Aycard
Dans le cadre de l’inventaire du patrimoine du quartier de Doulon
2021

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