Quais
Au début du 20e siècle, alors que l’Erdre et la Loire coulent encore au coeur de la cité et s’y rencontrent, ce sont près d’une cinquantaine de dénominations de quais et de ponts qui marquent la toponymie de la ville. La gigantesque entreprise de détournement et de comblement (1926-1945) ne laisse subsister qu’une poignée de ces noms, évocateurs pour les vieux Nantais, mystérieux pour le visiteur : Pont-Morand, place du Port-Communeau, place de l’Écluse, allée du Port-Maillard, chaussée de la Madeleine même…
Ailleurs, c’est le terme d’allée qui révèle l’ancienne emprise des quais. Quant aux « îles » Gloriette et Feydeau, ce ne sont plus que des flots de voitures qui les baignent et les séparent de la place du Commerce, l’ancien Port- au-Vin.
Si on laisse de côté les quais récemment réaménagés pour les promeneurs et quelques embarcations de l’Erdre au canal Saint-Félix, ainsi que les quais aux activités résiduelles de la Loire portuaire, ce sont les fantômes des quais enfouis qu’il faut ressusciter pour mieux comprendre le centre-ville actuel et ses dénominations.
C’est à partir du 18e siècle (et la démolition des remparts) qu’une ligne continue de quais de pierre remplace remblais grossiers, estacades de bois et modestes perrés qui, bordant fleuve et rivière, étaient régulièrement victimes des caprices de l’eau : même « canalisées », les inondations, avec leur destruction des ponts et des portions de quais, ont rythmé la vie des riverains et nourri en partie l’argumentaire des partisans du détournement.
Débarquement du sucre, quai des Salorges
Date du document : Début 20e siècle
Il reste, très visible, l’empreinte architecturale des quais du 18e siècle, œuvre de l’architecte voyer Ceineray : quai du Port-Maillard (1761), quai Brancas (1764-1767), quai Flesselles (1772-1776). Si on y ajoute les quais de l’île Feydeau que les propriétaires eurent à construire à leurs frais, on est en présence de l’ensemble monumental dont, depuis Mellier, rêvent les échevins. Ailleurs, ce sont les activités économiques qui s’y déroulent qui déterminent l’aménagement général des constructions : ainsi le quai de la Poissonnerie à l’extrémité amont de l’île Feydeau, où arrivent tous les produits de la mer qui s’entreposent sous la belle rotonde du marché aux poissons.
Quai de la Fosse
Date du document : début 20e siècle
Les quais de granit de l’Erdre endiguent la rivière dont le flux et le débit sont régulés par une écluse : ils sont le théâtre d’activités très variées liées au trafic des gabares et chalands qui s’y amarrent. À leur arrivée à Nantes, ils baissent le mât de leur grande voile et sont halés à la cordelle et manœuvrés à la gaffe ; ils se motorisent peu à peu à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Ils approvisionnent la ville en bois de construction et de chauffage, en matériaux lourds divers (chaux, pierres, sable, charbon, ardoises) souvent venus du pays de Châteaubriant. Leurs lieux spécifiques de déchargement fixent les entreprises qui les utilisent. L’urbanisation, en densifiant l’habitat sur ces quais, mène cependant à l’abandon d’activités trop polluantes : ainsi le quai des Tanneurs ne mérite plus son nom dès les années 1870 quand les tanneries le quittent pour le quartier de Versailles.
Amarrés à point fixe, les bateaux-lavoirs constituent eux aussi un élément déterminant de l’animation des quais par leurs activités quotidiennes bruyantes, particulièrement le lundi lorsque lavandières et blanchisseuses livrent en toues, puis en brouettes, le linge à leurs pratiques bourgeoises.
Aquarelle du quai des Salorges
Date du document : années 1890
Photographies, cartes postales et récits de la mémoire orale sont souvent sollicités à Nantes pour réveiller le souvenir de ces lieux ensevelis sous les gravats des comblements. Mais, même enfouis, il reste que pour cet usager discret de la ville qu’est le badaud rêveur « les quais sont toujours beaux ». Le début du 21e siècle a vu, pour les quais subsistants, à la fois une déréliction accentuée (fin des trafics quai Wilson et quai des Antilles) et la reconversion de ce qui était devenu une friche portuaire en lieu culturel, festif et… lieu de mémoire, avec le réaménagement du Hangar à bananes, l’installation des Machines de l’île dans les halles des chantiers navals, et le Mémorial de l’abolition de l’esclavage…
Jean-Louis Bodinier, Jean Breteau
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)
En savoir plus
Webographie
Nantes, la métamorphose d'une ville - Auran/Ina : Quai Cheviré
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Jean-Louis Bodinier, Jean Breteau
Vous aimerez aussi
Fontaine de la place Royale
Architecture et urbanismeLa place Royale serait-elle la place Royale sans sa fontaine monumentale ? Cela semble impensable, et pourtant, il a fallu près de 80 ans après la construction de l’esplanade pour...
Contributeur(s) :Gillian Tilly
Date de publication : 21/07/2022
6074
L’évocation du magasin Prisunic rappelle pour de nombreux Nantais de vieux souvenirs. Pendant des décennies, les enseignes Prisunic, Monoprix ou Uniprix ont marqué le quotidien des...
Contributeur(s) :Gillian Tilly
Date de publication : 12/09/2022
2594
TGV
Société et cultureL’arrivée du TGV à Nantes en 1989, huit ans après l’ouverture de la liaison Paris-Lyon, traduit une volonté politique d’aménagement du territoire en termes de désenclavement et de décentralisation.
Contributeur(s) :Jean-Pierre Branchereau
Date de publication : 28/02/2022
1734