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Nantes la bien chantée : Celle qui part avec un grenadier


Dans le grand ordonnancement des chansons de tradition populaire, si tant est qu’une expression aussi grandiloquente puisse avoir quelque légitimité, cette chanson entre dans la catégorie n°11 du catalogue de Patrice Coirault, celle étrangement nommée « Filles pressées ». Mais plus qu’une chanson sur l’impatience d’être mariée, c’est avant tout la force et la sincérité du sentiment amoureux dont il est question ici.

Nantes, dans le texte

Cette chanson-type est relativement bien attestée dans les collectes récentes mais, à ma connaissance, il n’y est jamais fait mention de Nantes ailleurs que dans cette version. Il faut bien admettre qu’il n’y a pas de raison apparente et solide pour citer cette ville plutôt qu’une autre car le cadre du récit, qu’il soit urbain ou non, n’a pratiquement aucune importance. Autrement dit, n’importe quelle autre ville eut convenu à l’histoire. À ceci près, tout de même, qu’une ville de garnison semble un choix qui ne manque pas de pertinence.

Même les autres versions recueillies en Loire-Atlantique (à Avessac ou Erbray notamment) ne placent pas le récit à Nantes et si celles d’Avessac a choisi Rennes, force est de constater que la majorité des versions ne font mention d’aucune ville et entament le récit qui apparaît ici en guise de second couplet.

Le débat

La catégorie des « Filles pressées », entendez « pressées de se marier » bien sûr, reproduit sur plusieurs types le schéma assez conventionnel de l’opposition entre la mère et sa fille, sous la forme d’un échange d’arguments entre celle qui se fait une idée quelque peu idéalisée du ménage et celle qui, parlant d’expérience, cherche à calmer les ardeurs de la première. Le motif est connu, bien attesté dans le répertoire et, quoique décliné à l’envi, se termine toujours par la défaite de la mère.

On peut en conclure qu’il s’agit là et avant toute chose d’un récit amoureux sincère et véritable, puisque la belle s’oppose vaillamment à l’autorité parentale en affirmant préférer le suivre au régiment plutôt qu’en être séparée. Au passage, on peut signaler que le statut de cantinière n’est pas le plus prestigieux de la poésie populaire, surtout si on la compare avec les filles-soldats. Loin s’en faut puisque la distinction entre cantinière et ce qu’on appelait « fille à soldats » n’est pas toujours des plus évidentes.

Cantinière française en tenue de zouave pendant guerre de Crimée en 1855

Cantinière française en tenue de zouave pendant guerre de Crimée en 1855

Date du document : 1855

Dans ce genre de débat, l’argument pécuniaire intervient presque systématiquement à un moment ou un autre. En pure perte dans la grande majorité des cas, à l’inverse de certains récits de séduction ou, parfois, le chant des sirènes sonnantes et comme on dit trébuchantes a raison des défenses de la belle. Parfois seulement car, sans s’aventurer sur le terrain de statistiques aléatoires, il semble bien que le motif dominant puisse trouver son expression dans le titre-type d’une chanson bien connue du répertoire : Au diable la richesse ! Comprenez : « Au Diable la richesse quand l’amour n’y est pas ». Ce sujet peut paraître en décalage avec les mœurs contemporaines et il l’est, en effet, tant l’importance, voire l’idée de mariage a subi de considérables évolutions au fil des générations, jusqu’à devenir un semblant de formalité n’engageant qu’à peine les principaux protagonistes.

Sans trop entrer dans le détail ni d’hasardeuses considérations socio-historiques, il convient toutefois de rappeler, à toute fin utile, que le mariage était une étape essentielle, voire fondamentale, dans la vie des jeunes gens, et plus particulièrement sans doute des jeunes femmes. La plupart d’entre elles n’avaient pas vraiment d’options alternatives pour s’assurer une forme d’émancipation et de relatif confort domestique, indépendant de la cellule familiale originelle. L’expression « cellule familiale » appelle d’ailleurs d’autres commentaires que je me réserve pour une future chronique. Confort mais aussi sécurité, si ce n’est sociale du moins « ménagère », pour peu bien sûr que le mari ne soit pas du genre violent, ce qui, hélas, n’a jamais été rare, semble-t-il. Il y aurait bien d’autres choses à écrire sur ce sujet passionnant lorsqu’il est exprimé par la tradition populaire et notamment par la chanson, laquelle d’ailleurs adopte souvent pour incipit ces mots lourds de sens : Mon père m’a donné un mari… Mais point trop n’en faut, puisque ce n’est pas vraiment le sujet de ces chroniques. En tout cas pas de celle-ci.

De tous les soldats qui apparaissent dans la chanson traditionnelle, les grenadiers ne sont certes pas les plus courants. Pour autant, ces combattants spécialistes, apparus au 17e siècle, ne sont pas rares non plus. Signalons au passage qu’en France, le grenadier fut longtemps (et peut-être encore ?) considéré comme un soldat d’élite.

Grenadiers à pied et grenadiers à cheval par Hippolyte Bellangé

Grenadiers à pied et grenadiers à cheval par Hippolyte Bellangé

Date du document : 1843

Cela dit pour souligner le fait que les amours de la belle ne se sont pas portées sur n’importe quel grouillot en uniforme. À ce propos, on remarquera que le premier narrateur, personnage masculin du premier couplet, disparait presque aussitôt de l’image pour céder les commandes du récit à l’héroïne, amoureuse s’il en est puisqu’elle va convaincre ses parents, initialement opposés à cette fréquentation, de la sincérité et de la force de ses sentiments jusqu’à les faire céder à ses attentes. Et à son impatience.

Soldats prenant une pause avec une cantinière par Adrien Moreau

Soldats prenant une pause avec une cantinière par Adrien Moreau

Date du document : Fin 19e-Début 20e siècle

La forme et le fond

Cette chanson peut être entendue comme une chanson « dialoguée » mais ne peut être classée dans les « chansons en forme de dialogue ». Cette dernière catégorie se caractérise par une distribution du texte entièrement sous forme d’un dialogue, le plus souvent entre deux personnages. Ici, seuls les couplets 3 à 5 apparaissent sous cette forme.

Le troisième volume du catalogue Laforte est entièrement consacré aux « chansons en forme de dialogue ». Il subdivise cette catégorie de chansons en huit parties, définies en fonction des personnages qu’elles mettent en scène :
A. Belle et amant
B. Bergère et galant
C. Fille et mère
D. Fils et mère (ou père, ou curé)
E. Fille et confesseur
F. Femme (Entendre « femme mariée ») et mari (ou galant)
G. Personnages historiques ou légendaires et personnification
H. Personne et groupe

La septième catégorie peut paraître assez obscure. Voici donc des exemples : Mandrin et Cartouche / Carême et mardi gras / Dialogue du vin de l’eau, etc. Pour la huitième catégorie, l’exemple le plus connu est peut-être le chant de noël D’où viens-tu bergère ?

Peut-être aurons-nous l’occasion de revenir sur cette forme de chanson, à condition bien sûr, qu’il s’en trouve une faisant mention de Nantes !

Hugo Aribart
Dastum 44
2023

1. J’ai bien passé cinq à six mois 
Dedans la ville de Nantes
J’étais heureux comme un bourgeois
J’avais ma mie auprès de moi
Tout au bord d’une fontaine - Bis

2. Un jour la belle s’en est allée
Au devant de sa mère
Ma mère, donnez-moi mon amant
Je l’aimerai si tendrement
Qu’vous avez aimé mon père - Bis

3. Hélas, ma fille, à quoi penses-tu
D’aimer ce militaire
Nous qui n’avons que toi d’enfant
Nous te marierons richement
Tu seras grosses fermière - Bis
[sur le bis : Tu s’ras notre héritière]

4. Grosse fermière ne m’appartient pas
N’importe votre fortune
J’aime bien mieux mon cœur placer
Avec mon joli grenadier
Que toutes vos grandes richesses - Bis

5. Eh bien, ma fille, nous écrirons
Au gouverneur de guerre
Nous verrons ce qu’il enverra
Peut-être que tu l’épouseras
Ton joli p’tit militaire - Bis

6. Le gouverneur a renvoyé
Une triste nouvelle
La guerre est déclarée partout
Les grenadiers partiront tous
Adieu donc, filles de Nantes - Bis

7. Entendez-vous, ma chère maman
La trompette guerrière ?
Mon grenadier marche devant
Et moi, j’irai tout en suivant
Adieu donc, chers père et mère
[Sur le bis : Je serai cantinière]

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En savoir plus

Bibliographie

Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes : Les soldats partiront tous (Pressées – N° 01123)

Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes : La fille unique (II, O-32)

Millien Achille, Littérature orale et traditions du Nivernais, chants et chansons, Paris, Leroux 1906-1910, 3 volumes, page 140 du volume 2

Interprétation

Agnès Pihuit et Françoise Bourse, à Guérande, le 10 juillet 2020, d’après la version publiée par Achille Millien

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Musique Nantes dans la chanson

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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