Blancs
Désignés, à partir de 1793, par analogie avec la couleur de la monarchie capétienne, les « Blancs », partisans de la monarchie, s’inscrivent dans une hostilité de principe à la Révolution et dans la continuité des combats politiques menés pour la défense de la religion catholique dès 1790, après le vote de la Constitution civile du clergé. Ce sont les Blancs de « l’armée catholique et royale » qui mènent l’assaut contre Nantes, en juin 1793, donnant à l’antagonisme politique avec les Bleus une dimension âpre et radicale que l’épisode de la Terreur contribue à ancrer dans les cultures politiques des deux camps.
À Nantes, le poids de la noblesse légitimiste
Bastion bleu depuis les guerres de Vendée, Nantes n’en est pas moins marquée par la présence des Blancs. Elle est un lieu de résidence, notamment dans le quartier Saint-Pierre, autour de la cathédrale, pour la noblesse rurale de Loire-Inférieure voire de Vendée aux fortes convictions royalistes. Ville d’évêché, elle se caractérise par une forte emprise du clergé dont la culture politique s’identifie, pour des décennies, à la cause royaliste. Sous la Restauration, les grands propriétaires nobles résidant en ville constituent une part importante du maigre corps électoral mais ils doivent composer avec la grande bourgeoisie libérale qui ne leur permet pas toujours d’imposer leurs candidats aux élections à la Chambre des députés. Nobles et clercs qui communient dans une même culture politique blanche exercent néanmoins une influence sociopolitique d’autant plus forte qu’ils sont en phase avec l’esprit réactionnaire du régime, notamment sous le règne de Charles X où l’évêque Joseph Micolon de Guérines peut laisser libre cours à ses convictions royalistes. C’est en 1823 qu’est ainsi inaugurée la statue de Louis XVI sur la place d’Armes qui prend le nom du souverain guillotiné.
Mais l’avènement de la monarchie de Juillet est un coup dur pour les Blancs et nombre de grands propriétaires se replient sur leurs domaines ruraux. Malgré tout, l’emprise de la noblesse légitimiste à Nantes se remarque dans la tentative d’insurrection menée par la duchesse de Berry en 1832. C’est en partie dans la ville, en effet, que l’insurrection est préparée et c’est là que la duchesse est arrêtée. L’action des milieux légitimistes à Nantes ne se manifeste plus alors qu’à travers l’existence d’organes de presse qui connaissent bien des vicissitudes du fait des tracasseries administratives et de la répression qui les poursuit. À L’Ami de l’ordre, fondé en décembre 1830, succède Le Rénovateur, dont l’existence est plus brève encore, puis L’Hermine, créée en 1834, qui réussit à se maintenir jusqu’à la fin du régime. Mais la culture politique blanche n’est pas seulement portée par l’aristocratie nantaise, elle a aussi des relais au sein d’un clergé qui, depuis la fin de la Révolution, cherche à restaurer sa puissance grâce à son emprise croissante sur l’enseignement et à une visibilité renforcée dans la sphère publique.
La détestation de la République
La révolution de 1848 change la donne pour les légitimistes. Certes, Nantes affirme son ancrage républicain, mais ces derniers triomphent dans les campagnes du département à l’occasion des élections à la Constituante d’avril et renforcent leur influence, y compris dans la ville, lors des élections de mai 1849. L’établissement de l’Empire est cependant un revers pour les Blancs tandis que l’opposition républicaine se renforce. La création, en 1852, de L’Espérance du peuple permet néanmoins d’assurer la diffusion des idées légitimistes dans la ville, ce que vient conforter la création, en 1869, de l’hebdomadaire L’Ami de la Vérité. Plus de 150 Nantais participent enfin, entre 1860 et 1870, à l’aventure des zouaves pontificaux sous le commandement du général Léon de La Moricière, lui-même né à Nantes, pour défendre le Saint-Siège dans une exaltation et une fidélité symptomatiques de l’identité blanche.
L’avènement de la Troisième République dessine la perspective d’un régime détesté pour les Blancs qui trouvent cependant dans la période de l’ordre moral l’occasion d’exprimer leurs convictions politiques. C’est l’un d’entre eux, le contre-amiral Cornulier-Lucinière, qui est nommé maire de Nantes, en 1874, après la destitution arbitraire du républicain René Waldeck-Rousseau, régulièrement élu. Une des premières mesures de la nouvelle administration est d’enlever le buste de la République qui présidait aux délibérations du Conseil municipal. Mais les élections municipales de 1878 mettent un terme à cette situation tandis que les républicains s’assurent la maîtrise des institutions du pays.
Un socle religieux traditionaliste
Les mesures anticléricales prises par le gouvernement sont l’occasion pour les Blancs d’affirmer leur hostilité à la République dont ils soulignent de manière constante la filiation avec la Révolution persécutrice. Nantes est le théâtre d’affrontements importants qui montrent que, minoritaires sur le plan électoral, les Blancs n’en ont pas moins la capacité de mobiliser des milliers de catholiques pour défendre les intérêts de l’Église. Lors de l’expulsion des Capucins en octobre 1880, plus de 10 000 manifestants protestent contre cette décision. Plus que la défense de la monarchie dont le rétablissement est de moins en moins à l’ordre du jour, c’est bien la défense religieuse qui devient le cœur de leur action politique. Le traditionalisme catholique, conforté précédemment par les prescriptions de Pie IX récusant dans le Syllabus (1864) les principes de la modernité politique, de la démocratie et du libéralisme, occupe désormais une place centrale dans la culture politique blanche. C’est d’ailleurs dans cette dimension qu’elle déborde le cercle restreint de l’aristocratie légitimiste pour toucher des milieux sociaux plus diversifiés, notamment une frange de la bourgeoisie nantaise dont l’attachement à la religion catholique s’est développé dans le cadre des grands établissements scolaires catholiques nantais.
Quoiqu’en déclin sur le plan électoral, les Blancs continuent de marquer la vie politique et sociale nantaise. Un nombre encore important de nobles résident, au moins une partie de l’année, à Nantes, dans les hôtels particuliers des cours Saint-Pierre et Saint-André, et y développent une sociabilité mondaine, il est vrai très fermée, à l’exemple du cercle Louis XVI. La décision de Léon XIII de prôner le ralliement au régime (1892) fragilise le camp des Blancs. Mais la décision est loin d’emporter l’adhésion des catholiques les plus militants et la noblesse locale dans sa grande majorité refuse de franchir le pas. De fait, l’influence de la démocratie chrétienne reste très limitée à Nantes tandis que le catholicisme social s’inscrit, pour l’essentiel, dans la culture politique blanche comme en témoigne l’action de Charles Le Cour Grandmaison, armateur et député, collaborateur d’Albert de Mun. La législation anticléricale du début du siècle et l’avènement de Pie X renforcent d’ailleurs les antagonismes avec le camp des Bleus, comme le montrent les grandes manifestations contre les Inventaires en 1906.
Monument de la mémoire blanche, 7 rue des Martyrs
Date du document : 13-01-2013
La greffe nationaliste
Dans ce paysage politique, la naissance de l’Action française, dont la section nantaise est créée en 1904, apporte un nouvel élan aux Blancs et infléchit leur culture politique dans une orientation résolument nationaliste. Elle touche des milieux sociaux plus diversifiés, notamment dans la petite bourgeoisie nantaise, mais également dans la grande bourgeoisie industrielle, à l’instar de Jean Babin-Chevaye. Nombre de nobles y voient le moyen de redonner vie et sens à l’idée monarchiste. La détestation de la « gueuse » avait d’ailleurs trouvé à s’exprimer de manière virulente lors de l’affaire Dreyfus où Nantes avait connu de fortes émeutes antisémites en 1898. Si cet antisémitisme n’est pas propre aux Blancs, il marque profondément leur identité politique où le néoroyalisme de l’Action française et le traditionalisme catholique se mêlent désormais intimement.
Les années d’après-guerre ouvrent une période d’incertitude pour le camp des Blancs, alors que le régime républicain sort conforté du premier conflit mondial et que le second ralliement semble mettre un terme au conflit religieux d’avant-guerre. Contrôlant toujours les campagnes du département, à travers l’action du Comité de la droite, substitut du vieux comité royaliste, présidé par le marquis de La Ferronnays, les Blancs doivent à Nantes laisser libre cours à une droite républicaine qui impose la primauté de ses préoccupations économiques. Ils restent néanmoins une des composantes de la droite nantaise et participent à ce titre au regroupement des forces conservatrices à l’occasion des élections municipales. Du reste, ils contrôlent toujours le Conseil général dont les sessions sont l’occasion d’affirmer la vitalité des Blancs dans la ville.
L'intransigeantisme catholique
Cette vitalité s’exprime aussi, de manière vindicative, dans l’activisme ligueur de l’Action française qui connaît un second apogée au début des années 1920. La ligue maurrassienne contribue également à la pérennité dans la ville d’une sociabilité blanche mondaine à dimension politique à travers l’action des Dames et Jeunes filles royalistes et l’organisation de bals. Mais c’est surtout à travers l’intransigeantisme catholique que la culture politique des Blancs s’exprime autour de la défense de Dieu et de la Patrie et dans une détestation de la Révolution et des francs-maçons. Cet intransigeantisme s’affirme dans le quotidien L’Écho de la Loire, fondé en 1919, dont le conseil d’administration compte royalistes et ralliés. On l’entend dans de nombreux prêches et dans les propos de l’évêque Eugène Le Fer de La Motte, sympathisant de l’Action française. Enfin, elle marque certaines cérémonies religieuses comme la Fête-Dieu.
La lutte contre le Cartel des gauches est l’occasion pour les Blancs de réaffirmer leur influence au sein du monde catholique nantais notamment par le biais d’une notabilité royaliste qui domine la plupart des associations catholiques, à l’instar de la Ligue patriotique des Françaises ou de l’Association catholique des chefs de famille, présidée par Louis Jollan de Clerville, qui relaie dans le diocèse l’action de la Fédération nationale catholique du général de Castelnau. La manifestation du 1er mars 1925, qui réunit 80 000 catholiques menés par l’évêque de Nantes et les parlementaires royalistes, souligne combien la culture politique blanche reste largement présente dans l’opinion catholique. La fidélité revendiquée à la foi et au passé dans la lutte contre les ennemis de la religion permet de s’en prendre au principe de laïcité et de récuser les fondements de la République.
Condamnation papale
La condamnation, en 1926, de l’Action française par Pie XI est un coup très dur pour les Blancs. Elle prive, à terme, les royalistes nantais d’un soutien clérical qui ne leur avait jamais été jusque-là mesuré et fragilise leur légitimité auprès des populations catholiques. L’identité blanche se dilue, dans les années 1930, dans les formes d’opposition radicale au régime, particulièrement dans l’antiparlementarisme des ligues. Elle irrigue toujours cependant le traditionalisme catholique, dont la grande crise économique réactive les critiques à l’égard du système capitaliste et libéral. Le corporatisme, défendu par Pie XI dans l’encyclique Quadragesimo anno (1931), trouve ainsi de l’écho au sein des Blancs qui l’interprètent dans le cadre de leur culture politique, en un sens hostile à la démocratie parlementaire. On en perçoit notamment l’écho à la Chambre d’agriculture de Nantes, dominée par les grands propriétaires aristocratiques.
Vichy, la divine surprise
L’avènement du régime de Vichy est une « divine surprise » pour les Blancs nantais qui se retrouvent pleinement dans ses valeurs politiques et dans sa haine de la République. Le triptyque « Travail, Famille, Patrie », tout comme l’apologie des « autorités naturelles » ainsi que la défense de l’Église et de ses intérêts, notamment sur le plan scolaire, rencontrent à l’évidence les faveurs du clergé nantais comme de l’aristocratie locale. Du coup, la Libération porte un coup fatal aux Blancs dont la culture politique est assimilée au régime précédent. La plupart des notables blancs en sortent discrédités tandis que la République et le régime parlementaire ne sont plus contestés. Si certains Blancs trouvent à s’engager dans la frange la plus conservatrice de la droite nantaise derrière le Parti républicain de la liberté puis les Indépendants, la culture blanche n’est plus ici que résiduelle. Elle se pérennise seulement au sein de l’opinion catholique, dans sa branche traditionaliste représentée notamment par Jean Le Cour Grandmaison, un temps président de la Fédération nationale d’Action catholique, puis dans l’intégrisme qui conteste les évolutions de l’Église depuis le concile de Vatican II. Elle n’est pas non plus sans marquer l’engagement d’un certain nombre de catholiques nantais dans la défense de l’empire colonial et, surtout, dans la défense de l’enseignement confessionnel qui réactive le vieux clivage entre les Blancs et les Bleus.
Extrait du Dictionnaire de Nantes
(droits d'auteur réservés)
2018
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Bibliographie
Bensoussan, David, Combats pour une Bretagne catholique et rurale : les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres, Fayard, Paris, 2006
Bourgeon, Jean, « Nantes la Bleue, Nantes la Blanche », dans La mémoire d'une ville : vingt images de Nantes, Skol Vreizh, Morlaix, 2001, pp. 11-17
Bourreau, Hélène, Bourreau, René, Les députés parlent aux électeurs : les professions de foi en Loire-Inférieure (1881-1936) : monarchie et République, Publications de la Sorbonne, Paris, 1999
Bourreau, René, Monarchie et modernité : l’utopie restitutionniste de la noblesse nantaise sous la Troisième République, Publications de la Sorbonne, Paris, 1995
Faugeras Marius, « Enquête sur la condamnation de l'Action française par l'église catholique au Pays nantais », Enquêtes et Documents, n°5, 1980, pp. 99-167
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Rédaction d'article :
David Bensoussan
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