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1736

Jean-Baptiste Carrier (1756-1794)


Militant révolutionnaire, ce juriste auvergnat est élu représentant du peuple à la Convention nationale, désignée au suffrage universel pour rédiger une constitution républicaine. S’il est très effacé, ses votes révèlent une fermeté qui le rapproche de la Montagne.

Il est envoyé en mission dans l’Ouest à l’été 1793. Les «missionnaires de la République », représentants du peuple souverain, défendent la Nation, alors confrontée à de graves dangers : l’invasion des armées de l’Europe coalisée, la guerre civile menée par les Vendéens et les « fédéralistes ». Les Vendéens de la virée de Galerne sont écrasés en décembre, mais l’épouvante provoquée par les massacres de patriotes et par l’assaut des insurgés contre Nantes le 29 juin est toujours vive chez les Nantais, d’autant plus que Charette reste actif. Si la révolte « fédéraliste » – à laquelle adhère brièvement la municipalité de Nantes – est matée, elle a touché les deux tiers du pays et abouti à livrer Toulon aux Anglais. À Nantes même, la situation est catastrophique et dangereuse. L’afflux de patriotes réfugiés et de soldats aggrave la disette dans une grande ville privée de ravitaillement par des campagnes hostiles ou ravagées : les autorités craignent l’explosion d’une émeute qui déstabiliserait la base républicaine. La présence de nombreux suspects fait craindre un complot. Enfin, des épidémies éclatent dans les prisons surpeuplées.

Carrier à Nantes

Arrivé à Nantes en octobre, Carrier doit vaincre les rebelles, traquer les conspirateurs et ravitailler la ville. Les sans-culottes nantais et les représentants en mission qui l’ont précédé ont combattu les fédéralistes : le maire René Baco a été emprisonné et la municipalité a été renouvelée. De plus, un tribunal criminel extraordinaire a été institué dès mars.

Carrier accentue la répression si bien que les arrestations de suspects se multiplient (par exemple, celles des 132 Nantais, parmi lesquels figurent des nobles, des juristes et des négociants, auxquels est reprochée leur origine aristocratique ou leur inclination girondine), puis les exécutions massives se développent : 3 600 prisonniers environ sont fusillés, les noyades font entre 1 000 et 4 000 victimes. La volonté de terroriser les ennemis contribue sans doute au choix de ce procédé. Carrier n’évoque les noyades qu’à mots couverts dans sa correspondance avec la Convention, écrivant par exemple que des prêtres réfractaires « ont été enfermés dans un bateau sur la Loire [et qu’]ils ont tous été engloutis dans [ce] torrent révolutionnaire ». Sa détermination révolutionnaire dans les domaines politique, militaire et frumentaire lui assure le soutien de nombreux Nantais, militants révolutionnaires ou citoyens acquis aux idées nouvelles et heureux d’attribuer des prénoms républicains à leurs enfants. Cependant, des tensions l’opposent à certains sans-culottes qui lui reprochent de donner la priorité au ravitaillement de l’armée, de s’appuyer sur un petit noyau de militants (Lamberty, Fouquet) en marge de la Société populaire (que Carrier ferme même quelques jours) et, enfin, de soutenir la stratégie des colonnes infernales qui réveillent l’insurrection vendéenne. Ces tensions rencontrent la volonté du Comité de salut public de reprendre le contrôle de la Terreur, si bien que Carrier est rappelé à Paris au début du mois de février 1794. Après son départ, ses proches sont rapidement exécutés.

La fabrication d'un bouc émissaire

En septembre 1794, donc après la chute de Robespierre, s’ouvre à Paris le procès des 132 Nantais. Très rapidement, ils apparaissent comme les victimes d’une terreur criminelle, si bien que sont jugés les membres du comité révolutionnaire et Carrier lui-même. Les dépositions constituent d’ailleurs les sources essentielles sur les noyades, ce qui pose problème, car le procès de Carrier répond surtout à un objectif politique. L’opinion publique est horrifiée par les noyades, les massacres de Vendée, les orgies qui transforment l’accusé en monstre. Grâce à cette dénonciation de la Terreur, la réaction peut progresser – le soir de l’arrestation de Carrier les muscadins attaquent le Club des Jacobins, fermé le lendemain (11 et 12 novembre) – sans que la Convention entière soit ébranlée (notamment les anciens terroristes comme le Nantais Fouché ou les chefs de la réaction Fréron et Tallien), car Carrier sert de bouc émissaire. Il est condamné et exécuté le 16 décembre, ainsi que deux membres du comité révolutionnaire, les autres étant acquittés.

La légende noire

Le personnage ainsi façonné hante la mémoire nantaise jusqu’à nos jours : son spectre est utilisé en fonction des besoins. Vers 1840 ainsi, l’historien Camille Mellinet, partisan de la monarchie de Juillet, est sans doute encore marqué par l’irruption des ouvriers sur la scène politique et sociale lors des journées de juillet 1830, lorsqu’il évoque l’accueil enthousiaste réservé par des « gens en haillons [aux] mains calleuses » à un Carrier qui lance des « imprécations contre le luxe insolent des riches, [et y] mêle des cris de mort ». À la fin du 19e siècle la légende noire de Carrier se diffuse à travers les travaux de l’historien légitimiste Alfred Lallié, qui voit dans la condamnation de Carrier et de la Terreur un moyen commode de rejeter la Troisième République naissante. Relayée par des ouvrages de moindre ampleur, la peinture et la gravure, cette vision n’est contestée que par quelques historiens bleus. Enfin, elle est ravivée à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française par des auteurs qui développent alors le thème du « génocide » vendéen.

En dépit de la légende noire de la Terreur, il apparaît que de très nombreux Nantais ont adhéré à la défense révolutionnaire de la Nation, incarnée un temps par le représentant du peuple en mission Carrier.

Samuel Guicheteau
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)

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