Vendéens
Les Vendéens n’ont d’abord été, pour les Nantais, que des immigrés du « Poitou », à l’exemple des maçons de La Garnache venant en troupe, ou parfois des réfugiés fuyant la guerre ou la famine. Ces rapports banals sont bouleversés en 1793.
1792 : une alliance inattendue
Lorsque, en février 1793, la Convention décrète la levée des 300 000 hommes, destinés à aller combattre aux frontières, elle provoque un refus généralisé du « tirage », c’est-à-dire de la désignation des jeunes gens par les communes et les districts. Mais, dans l’Ouest, et dans la Vendée en particulier – le nom du département créé en 1791 –, ce motif précis de révolte s’inscrit dans un contexte bien plus large, politique, social, culturel.
Des populations rurales attachées à des formes de religiosité marquée par les démonstrations spectaculaires se trouvent en désaccord, puis en opposition avec des citadins imprégnés par la culture plus sécularisée et plus mondaine, possédant une sensibilité plus intellectuelle. Les partisans du prêtre « réfractaire » font face à ceux du prêtre « jureur » qui accepte la Constitution civile du clergé avec le soutien des maires et des gardes nationaux, voire de soldats. Les nobles poitevins rejoignent ce mouvement, quelques-uns entretenant autour d’eux des noyaux de ruraux contre-révolutionnaires comme, non loin de Machecoul, autour de la famille de La Lézardière. Ainsi se forme peu à peu une alliance, inattendue tant les clivages antérieurs étaient importants, entre ruraux, curés, nobles contre l’État révolutionnaire et ses représentants, administrateurs, gardes nationaux, propriétaires et notables bourgeois. À partir de 1792, les envoyés de l’Assemblée législative constatent que toute la région est dans une situation proche de la guerre civile.
1793 : les Vendéens, ennemis de la République
Ce n’est cependant qu’en mars 1793 que les « Vendéens » entrent véritablement dans l’histoire nantaise. Ville républicaine, Nantes est assiégée par les insurgés venus du nord et du sud du département. Les défenseurs rompent le siège, mais les insurgés du sud de la Loire obtiennent le 19 mars une victoire inattendue au cœur du département de la Vendée, à Pont-Charrault. Les « Vendéens » deviennent les ennemis publics de la République entre 1794 et 1795. Le mot est forgé par le succès initial qui fait parler de « guerre de Vendée et des départements circumvoisins » à la Convention dès le 23 mars 1793, vite abrégée en guerre de Vendée. L’abréviation est d’autant plus acceptée par les administrateurs de la Loire-Inférieure qu’ils veulent faire oublier que les insurrections les plus graves ont lieu entre Le Loroux-Bottereau et Machecoul, où plus de 150 Bleus sont massacrés, provoquant un traumatisme national.
Dès ce moment, Nantes est constamment sous la menace. Les premières victoires vendéennes apportent aux insurgés, dès avril 1793, les fusils et l’artillerie abandonnés par leurs adversaires. L’offensive la plus dangereuse est menée le 29 juin 1793 lorsque des milliers de Vendéens convergent vers Nantes et manquent de peu sa conquête. La division entre les chefs et la blessure mortelle de Cathelineau ajoutées à la détermination du maire Baco de La Chapelle et à la mobilisation des républicains locaux ont empêché que le port soit contrôlé par la contre-Révolution. Cette peur joue un rôle essentiel dans les mois qui suivent, entretenue par les récits des « réfugiés de la Vendée », républicains ayant échappé au massacre ou familles des victimes. La ville, surpeuplée de ces réfugiés, de militaires et de prisonniers, est en permanence au bord de la disette et victime de maladies contagieuses. Cette situation, incontestable, permet d’expliquer la brutalité des mesures prises par Carrier, l’emprise exercée par les révolutionnaires radicaux, la violence de la répression et l’atonie de la population. Nantes n’arrive à desserrer l’étau qu’à l’été 1794, sauf pendant l’accalmie de janvier et février lorsque Charette signe le traité de paix de la Jaunaye.
Nantes, ville héroïque
Nantes est alors présentée comme une ville héroïque, en gommant ses penchants girondins, et martyre, en insistant sur les noyades et les fusillades couvertes par Carrier. Elle devient ainsi la ville républicaine par excellence. L’image est confortée en 1814-1815 et en 1830 lorsque les soulèvements se produisent dans les campagnes au nom de la légitimité monarchique contre Napoléon Ier ou Louis-Philippe, comme pendant le 19e siècle, marqué par les affrontements politiques entre monarchistes catholiques et républicains. La « guerre de Vendée » contribue ainsi puissamment à installer la ville dans un modérantisme républicain dont un Carrier mythifié dans l’horreur constitue l’autre repoussoir.
Mémoire « blanche »
Les mémoires « blanche » et « bleue » des événements marquent Nantes jusqu’à nos jours. Cela se traduit longtemps par une historiographie très contrastée, et la mémoire blanche, entretenue par une association, le Souvenir vendéen, s’affiche discrètement dans les rues : place Viarme, une croix évoque l’exécution de Charette « fusillé pour son dieu et son roi » et, près du rond-point de Rennes, au fond de l’impasse dite avenue du Lavoir, une plaque rappelle que dans « les carrières appelées la fosse du chemin de Rennes » ont été « enfouis les restes de milliers de victimes de la Révolution » et « au soir de son exécution le corps du général Charette ».
Hôtel de la Vendée, quai de Richebourg
Date du document : Début du 20e siècle
20e siècle : les Vendéens s'installent
En Vendée, ce « département devenu province » à travers les représentations, la ville est au 19e siècle et encore au début du 20e, pour l’Église catholique, associée à la dépravation des conduites et à la perdition des âmes, ce qu’exprime la presse catholique ou la littérature régionaliste. Dans La Terre qui meurt, René Bazin fait ainsi de Nantes une ville lointaine qui permet à Mathurin d’imaginer ce que peut être Anvers d’où émigrerait son fils, « un port plus grand que Nantes où tu as passé une fois ». Les géographes Alain Chauvet et Jean Renard ont bien montré comment l’Église soutient le développement industriel des bourgs vendéens pour y retenir le plus longtemps possible la population. Mais les travaux d’un autre géographe, Claude Cabanne, montrent aussi que la cause est perdue et que la Vendée nourrit au 20e siècle un des principaux flux d’émigration vers Nantes : les Vendéens s’installent d’abord au sud de la ville avant de s’y répartir au fil des générations.
Nantes devient peu à peu, sinon la capitale de la Vendée, du moins la grande ville de référence concurrencée éventuellement par Angers dans le Haut-Bocage ou plus sûrement par La Rochelle au sud du département. Dans les années 1970, la Vendée utilise les principaux services nantais, ce que montrent la fréquentation du CHU, la diffusion de la presse quotidienne régionale ou l’analyse des flux téléphoniques. L’affirmation progressive de la régionalisation renforce ensuite les liens de la Vendée à la capitale régionale. En 2007, les supporteurs vendéens du Football Club de Nantes représentent la plus forte colonie d’abonnés extérieurs à la Loire-Atlantique.
Nantes et Vendée, des territoires associés
Au début du 21e siècle, le dynamisme de la Vendée, même s’il a des racines locales, est largement tributaire de celui de Nantes, de l’université (grâce ou malgré des antennes à La Roche-sur-Yon), du port (importation du bois pour l’industrie du meuble ou de l’alimentation animale pour l’élevage), de l’aéroport, et le littoral vendéen devient un espace de loisirs pour de nombreux Nantais.
La Vendée s’invite donc dans les débats sur l’aménagement de l’agglomération nantaise. La construction progressive du réseau autoroutier oblige, avant l’ouverture de l’autoroute d’Angers aux Sables-d’Olonne, au détour par Nantes. C’est également le cas des liaisons ferroviaires (par le pont de la Vendée), et ce n’est sans doute pas un hasard si l’un des plus anciens hôtels de la gare est celui de la Vendée. Et le Conseil général de Vendée exprime son intérêt pour un nouveau franchissement de la Loire dans la perspective du transfert de l’aéroport vers le nord de l’agglomération, synonyme d’accès plus difficile pour les Vendéens.
L’image de la Vendée, et donc des Vendéens, est sans doute à Nantes encore tributaire des stéréotypes d’une histoire trop souvent caricaturée, mais elle est largement renouvelée par le dynamisme croisé de deux territoires associés dans les mêmes mouvements de métropolisation et de littoralisation.
Jean-Pierre Branchereau, Jean-Clément Martin
Extrait du Dictionnaire de Nantes
(droits d'auteur réservés)
2018
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Rédaction d'article :
Jean-Pierre Branchereau, Jean-Clément Martin
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