Solidarité
La solidarité se traduit dans des formes qui dépendent étroitement de l’idéologie, depuis le christianisme jusqu’à la promotion laïque de la fraternité, élément de la trilogie républicaine telle que la formule Robespierre dès 1790, inspiré par la notion chrétienne de pauvres « frères en Jésus-Christ ». Elle peut revêtir des formes individuelles, institutionnelles – celles-ci l’emportent dès le 17e siècle, pour des raisons d’efficacité – ou associatives. Elle peut, enfin, se concevoir verticalement dans le cadre des hiérarchies sociales et s’appeler charité, horizontalement, dans le cadre de rapports entre compagnons de travail, voisins, parents, etc., ou dans un compromis entre ces deux démarches, comme dans les formes récentes de solidarité collective à l’égard des plus démunis. Elle est donc un puissant moyen de mobilisation sociale.
Une ville banale jusqu'à la Révolution
Dans ce cadre au moins national, les particularités nantaises n’apparaissent que tardivement. Mus, dans des proportions qui dépendent évidemment des individus et des moments, par l’idéal de charité chrétienne et la peur sociale, des notables font l’aumône et s’engagent même dans les moments d’extrême misère, ainsi en 1532 pour assurer des distributions de pain et de soupe de fèves, mais cette forme de solidarité se limite expressément aux miséreux originaires de la ville. Le souci en outre de garantir les contreparties espérées, en prières et en bon comportement, conduit en 1650 à cette extraordinaire idée de faire disparaître la pauvreté en enfermant les pauvres dans un « hôpital général » installé au Sanitat, providentiellement libéré par la fin des épidémies de peste : autour des valeurs de travail, piété et discipline, ce rêve d’enfermement ne cède que devant l’émergence d’un très nombreux prolétariat industriel, au 19e siècle. Il est vrai que, parallèlement, très peu de traces demeurent des solidarités « horizontales », comme celles que les édiles dénoncent à plusieurs reprises au Marchix, dans les années 1630, entre pauvres, vagabonds et petits voleurs, ou bien encore au 18e siècle les solidarités entre compagnons, parfois violemment exclusives d’un compagnonnage à l’autre.
C’est, probablement, l’idéologie qui fait évoluer les comportements pendant la Révolution. Jusque-là en effet, les divers réfugiés n’avaient suscité que rejet – les miséreux chassés des campagnes par les crises, ou les Portugais au début du 17e siècle – ou, au mieux, indifférence, comme les Irlandais puis les Acadiens. L’afflux de réfugiés vendéens, en 1793, mobilise pour la première fois les énergies, au nom de la solidarité républicaine, sans que cela empêche les profiteurs de sévir : il en restera des réflexes de solidarité idéologiquement marqués dont bénéficieront notamment les Polonais au 19e siècle, les réfugiés espagnols de la guerre civile ou bien encore ceux du Sud-Est asiatique, réflexes qui font cependant singulièrement défaut – sauf exception – quand il s’agit des juifs entre 1940 et 1944.
Pouvoirs publics et solidarité
État – par la loi qui impulse, et parfois financièrement – et surtout Ville interviennent de plus en plus à partir du milieu du 19e siècle, un moment qui n’est pas neutre : il s’agit bien de concilier le souci de régulation sociale et, dans certains cas au moins, une réelle volonté de solidarité avec les plus démunis. C’est ainsi que les ateliers nationaux emploient en 1848, après la révolution de février, environ 500 ouvriers chômeurs à l’achèvement du Jardin des plantes, et que le maire Ferdinand Favre réorganise en 1853 le Bureau municipal de bienfaisance sans rompre avec les congrégations religieuses qui y jouent un rôle déterminant. Des médecins y interviennent à partir de 1856, en complément des fonctions traditionnelles de nourriture, de chauffage, d’abri pour la nuit, le véritable tournant intervenant dans les premières années du 20e siècle avec une politique affirmée en matière de santé (contre la tuberculose par exemple, 1901) et de famille (vieillards, enfants, familles nombreuses…). Cette évolution conduit à la Protection maternelle et infantile (1947) et au Bureau d’aide sociale (1953).
La loi impose aussi à la Ville, en 1926, de créer un bureau de placement, une solidarité à l’égard des chômeurs qui relaie le rôle joué depuis 1893 par la Bourse du travail.
Allégorie de la Charité
Date du document : 30-04-2008
Quand les intéressés organisent la solidarité
En 1832 naît la Prévoyance industrielle, première société de secours mutuel à Nantes, et en 1833 l’Association typographique, première esquisse de syndicat moderne. Nantes est donc relativement précoce dans l’organisation d’une solidarité ouvrière évidemment inspirée par les précurseurs du socialisme, même si les débuts sont difficiles : les premières coopératives, créées en 1849 et 1850, ne survivent pas aux restrictions d’un Second Empire autoritaire, qui tolère seulement l’essor d’un mutualisme étroitement contrôlé.
C’est donc dans les années 1880 que se situe le vrai départ d’une solidarité organisée. Elle est bientôt d’autant plus forte que le mouvement syndical – libéré par la loi de 1884 –, le mouvement coopératif, qui connaît son âge d’or entre 1880 et 1914, et même dans une certaine mesure le mouvement mutualiste se retrouvent autour d’une adhésion à la République et, pour une large part, dans une adhésion plus ou moins nette aux idéaux socialistes. C’est ce que salue le maire de Chantenay Paul Griveaud en créant en 1905 un boulevard de la Solidarité – une dénomination rare dans les grandes villes –, tandis que Nantes accueille en 1904 le 8e Congrès de la Mutualité qui, sous la pression de l’État, marque un passage de la libre adhésion vers une cotisation obligatoire concrétisée en 1930 avec les assurances sociales.
Le 20e siècle tout entier est ainsi partagé, en matière de solidarité, entre contrôle social et administratif d’une part, autonomie parfois revendicative de l’autre : les « soupes communistes » distribuées aux grévistes des premières années du 20e siècle, ou les grèves « de solidarité », ont peu à voir avec la Sécurité sociale organisée en 1945, même si toutes relèvent bien de la solidarité. Même des mouvements apparemment spontanés comme, dans le logement social, celui des castors, lancé à Nantes en 1951, ont besoin du soutien municipal.
Couverture de la partition de la  Marche des Mutualistes 
Date du document : 22-05-1904
Cette complexité se traduit aujourd’hui par la floraison des ONG (Organisations non gouvernementales) qui font appel au public afin de traiter en France et dans le monde entier toutes les formes de souffrance et de maltraitance, par de grandes opérations médiatiques (Téléthon…), et plus encore sans doute par l’essor des délégations de service public, reconnaissance de principe du devoir de solidarité mais aussi de l’incapacité des pouvoirs publics de mener certaines actions sans l’aide d’administrateurs bénévoles. La Maison de la veille sociale de Loire-Atlantique, association humanitaire, gère ainsi la question des sans-abri (Samu social au niveau de l’agglomération, appels d’urgence au niveau du département) sans pouvoir satisfaire, à certains moments, plus de 5% des demandes. De grosses associations comme Saint-Benoît Labre ou L’Étape, nées au début des années 1950, sont devenues aujourd’hui de véritables services employant entre 100 et 150 salariés mais ne peuvent évidemment suffire à la prise en charge de tous ceux qui ont impérativement besoin de la solidarité pour vivre et parfois survivre.
Résidents des Castors devant les maisons en construction
Date du document : 1955
Les insupportables injustices de la société, à Nantes comme ailleurs, continuent donc à susciter des formes de réponse très diverses, y compris – ce qui est peut-être un effet de la concurrence longtemps forte à Nantes entre sensibilités chrétienne et laïque – les formes très spontanées qui empêchent ici « qu’une famille soit à la rue » et là qu’un « sans papiers » soit expulsé…
Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
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Rédaction d'article :
Alain Croix
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