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Saint-Michel II


Lorsque Jules Verne décide de faire construire le Saint-Michel II, en 1875, c’est un auteur et un yachtman reconnu qui passe commande au chantier Le Marchand du Havre de son deuxième bateau : un cotre pour succéder au « yacht de plaisance » que l’écrivain avait fait construire quelques années plus tôt par un chantier du Crotoy où il avait alors ses habitudes.

C’est le deuxième bateau de Jules Verne (lequel en posséda trois - les Saint-Michel I, II et III - Michel étant le prénom de son  fils) que l’association La Cale 2 l’Île a pris l’initiative de reconstruire au plus près de l’identique.

En 1875, Jules Verne est définitivement installé à Amiens, où son épouse, Honorine, a des attaches. L’ancien rebelle nantais qui se définissait comme « antimilitariste » a été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1870. Il est aussi membre du très select Yacht Club de France depuis 1874. Vingt mille lieues sous les mers a paru cette même année. Ce sera ensuite Le Tour du monde en quatre-vingt jours en 1873. Adapté en pièce de théâtre, les quelque quatre-cents représentations de ce texte, données au théâtre de la Porte Saint-Martin, à la fin de l’année 1874, apporteront une petite fortune qui permettra à Jules Verne d’amplifier ses passions maritimes et, ainsi, de faire construire le Saint-Michel II, inspiré des plans des bateaux pilotes du port du Havre surnommés Hirondelles de la Manche, plus rapide et, surtout, plus confortable que son premier bateau.

Le « Saint-Michel II » sur la Loire devant le hangar à bananes

Le « Saint-Michel II » sur la Loire devant le hangar à bananes

Date du document : 14-05-2011

Une passion de la mer née de l’enfance

Car Jules Verne, né à Nantes en 1828, a toujours été attiré par la mer et les bateaux. C’est lui qui écrira plus tard : « […] J'ai vécu dans le mouvement maritime d'une grande ville de commerce, point de départ et d'arrivée de nombreux voyages au long cours. […] En ce temps-là, nous n'avions que les lourds bâtiments à voile de la marine marchande. Mais que de souvenirs ils me rappellent ! En imagination, je grimpais à leurs haubans, je me hissais à leurs hunes, je me cramponnais à la pomme de leurs mâts ! Mon plus grand désir eût été de franchir la planche tremblotante qui les rattachait au quai pour mettre le pied sur leur pont ! » (dans Souvenirs d'enfance et de jeunesse).

Cette passion de la mer et des bateaux ne le quittera jamais et, en 1865, il écrira à son éditeur Hetzel : « J’ai été passer quelques jours en mer sur le yacht de plaisance d’un de mes amis, et j’ai été là le plus heureux des hommes ». Et en mars 1866, il loue au Crotoy une maison baptisée La Solitude, tout près du port. Et c'est aussi dans ce port de la baie de Somme qu’il fera construire le Saint-Michel I.

Le Saint-Michel I se révèle un excellent bateau : «  Le Saint-Michel […] est devenu l’un des premiers marcheurs de la baie de Somme et, quand il y a une bonne brise, il s’enlève comme une mauve ! (NDLR : un oiseau marin) […] Nous nous sommes trouvés avec des mers bien fortes et le bateau s’est toujours admirablement comporté ». C’est aussi à son bord que Jules Verne écrira quelques parties de Vingt mille lieues sous les mers : « Que j’ai trouvé de bonnes choses en mer, en naviguant sur le Saint-Michel ! ». Mais son rayon de navigation se réduit aux côtes de la Manche.

Aussi, Jules Verne cherche-t-il un bateau plus grand, donc confortable mais aussi bon marcheur et ne nécessitant pas trop de bras. Il est orienté par son ami crotellois Paul Bos, capitaine de navire, avec lequel il navigue parfois, vers les bateaux pilotes du port du Havre, ces fameuses Hirondelles de la Manche réputées pour leur vitesse. Car, chez les bateaux pilotes (qui guident les gros bateaux de commerce pour entrer dans les ports), celui qui gagne le marché est le premier arrivé auprès du navire qui se présente sur rade. Pour cela, il faut des bateaux rapides et légers en équipage. C’est donc une coque, dérivée des cotres pilotes du Havre, qu’il commande à Abel Le Marchand, patron du chantier éponyme, l’un des meilleurs de France.

Mise à l'eau du « Saint-Michel II »

Mise à l'eau du « Saint-Michel II »

Date du document : 04-06-2009

Le 25 avril 1876, le Saint-Michel II glisse sur sa cale de lancement. « L’ensemble et les détails de ce yacht ne laissent rien à désirer. L’élégance y est réunie à la solidité, la finesse de ses formes est aussi remarquable. Les dimensions de de ce bateau de plaisance sont les suivantes : longueur onze mètres de l’étrave à l’étambot, et treize mètres de dehors en dehors, largeur trois mètres soixante au maître bau, il aura deux mètres trente-trois de tirant d’eau », écrit Le Journal du Havre.

  Le « Saint-Michel II » sous voiles

Le « Saint-Michel II » sous voiles

Date du document : 04-06-2011

À voile et à vapeur

Malgré ses qualités, Jules Verne ne gardera pas le Saint-Michel II très longtemps : deux saisons seulement. La raison tient du hasard et de l’opportunité : à la faveur d’un voyage qu’il effectua avec le Saint-Michel, du Havre à Saint-Nazaire en fin juillet-début août 1877, l’écrivain en profite pour séjourner à Nantes quelques temps et c’est en se promenant sur les quais du port qu’il apprend qu’un steam-yacht (voile et vapeur), goélette mixte de 35 mètres de long, est à vendre à un prix très intéressant. Répondant au nom de Saint-Joseph, il appartient au marquis de Preaulx, un Angevin qui possède une belle fortune et multiplie les bateaux comme les maîtresses. Jules Verne l’achète pour 55 000 francs en octobre 1877 et le rebaptisera… Saint-Michel III.

Dans le même temps, il charge Abel Le Marchand de vendre le Saint-Michel II au Havre. Et c’est finalement deux pilotes de Saint-Nazaire, MM. Lucas et Nachet, qui s’en portent acquéreurs au prix de 8 000 francs seulement (Jules Verne en espérait 13 000 francs). Une nouvelle carrière commence pour le Saint-Michel dans l’estuaire de la Loire. Il ne sera retiré du service qu’en 1892 pour être ensuite acheté par un plaisancier malouin qui lui donna le nom de Cattleya ; enfin, en 1900, l’administration pénitentiaire l’acquiert pour la colonie pénitentiaire de Belle-Île : il servira, écrit Philippe Valetoux (Jules Verne, en mer et contre tous), « probablement de navette entre la colonie pénitentiaire installée sur l’île et le continent. Ainsi ce bateau dont l’ancien propriétaire, Jules Verne, était si attaché à sa liberté, devient, par un singulier paradoxe, l’outil de l’enfermement ! ». En 1913, le bateau fut détruit délibérément : à cette époque, on ne restaurait pas les bateaux ad infinitum et la notion de patrimoine ne renvoyait qu’à l’héritage des pères… de l’antiquité !

Quelques données techniques de l’actuel Saint-Michel II

Longueur hors tout : 20,24 mètres
Longueur de coque : 13,27 mètres
Largeur : 3,52 mètres
Tirant d’eau : 2,25 mètres
Poids : 23 tonnes
Surface de voilure : 150 mètres

Le « Saint-Michel II » sous voiles

Le « Saint-Michel II » sous voiles

Date du document : 04-06-2011

Une « renaissance » à Nantes

C’est lors d’une rencontre entre les municipalités d’Amiens et de Nantes organisée dans la perspective de la commémoration du centenaire de la mort de l’écrivain (1905-2005) que le projet de reconstruire le Saint-Michel II est né. Les deux villes avaient décidé de travailler ensemble et, dans le courant de l’année 2000, une délégation nantaise, composée notamment de Yannick Guin, alors adjoint à la Culture et du vice-président de La Cale 2 l’Ile, s’était rendue à Amiens. Lors de cette rencontre, une association amiénoise émit l’idée de reconstruire le Saint-Michel III… Une idée ambitieuse mais assez peu réaliste. Le responsable de La Cale 2 l’Ile revint à Nantes en proposant à son conseil d’administration de faire renaître le n°2, ce qui paraissait à la portée des savoir-faire contemporains et des finances publiques ou privées qu’il serait nécessaire de mobiliser.

Cinq ans plus tard, le chantier du Saint-Michel II commençait dans le hangar 31 du quai des Antilles à Nantes. Il dura six années. Baptisé le 14 mai 2011, le cotre – classé bateau d’intérêt patrimonial (BIP) - représente, depuis cette date, la ville de Nantes dans les ports de l’Atlantique et de la Manche, jusqu’en Allemagne, en mer baltique, ou dans les îles Scilly. Il navigue de mars à octobre entre cinquante à quatre-vingts jours par an et près de trois mille personnes ont eu la chance de monter à son bord. Et si le nouveau Saint-Michel II d’aujourd’hui n’est pas complètement identique à l’original – il est notamment motorisé et ses membrures sont en lamellé-collé, technique inconnue à l’époque de Jules Verne -, il n’en demeure pas moins qu’il reste fidèle à un esprit. Celui qui animait l’écrivain né à Nantes « où j’ai vécu dans le mouvement maritime d’une grande ville de commerce, point de départ et d’arrivée de nombreux voyages au long cours ».

Franck Barrau
2019



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En savoir plus

Bibliographie

Verne Jules, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, texte paru dans le journal Youth's Companion de Boston en 1891 (manuscrit appartenant à la Ville de Nantes – Bibliothèque municipale)

Valetoux Philippe (éd.), Jules Verne, en mer et contre tous, Éd. Magellan et Cie, Paris, 2005

Caro François, « Le Saint-Michel II de Jules Verne renaît sur l’île de Nantes », Plein Ouest, n°127, avril-mai 2006, p. 54

Mével Xavier, « À bord du Saint-Michel II, cotre de Jules Verne », Chasse-Marée, n°239, février 2012, p. 56-63

Ripoche Frédéric, « Lancement du Saint-Michel II », Chasse-Marée, n°216, août 2009, p. 6

Valetoux Philippe, « Les yachts de Jules Verne », Chasse-Marée, n°140, janvier 2001, p. 16-32

Webographie

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Dossier : La plaisance à Nantes

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Rédaction d'article :

Franck Barrau

Anecdote :

Franck Barrau

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