Musique
Si Nantes jouit aujourd’hui d’une réputation nationale, voire internationale, sur le plan musical, il faut remonter loin en arrière pour retrouver les origines de sa longue destinée artistique. La maîtrise de la cathédrale est bien sûr sa plus ancienne institution puisqu’elle date du 4 janvier 1413. Forte d’une renommée qui dépasse largement le cadre du diocèse, elle connaît de grandes heures musicales jusqu’à ce que la Révolution française fasse disparaître quelque 450 maîtrises sur l’ensemble du territoire national.
Sa véritable renaissance s’opère à la fin du 19e siècle et surtout au début du 20e avec la longue lignée d’ecclésiastiques entreprenants tels que l’abbé Moreau, l’abbé Portier ou le chanoine Besnier, disparu en 1984. Du côté de la musique profane, nous ne savons quasiment rien avant les brillantes représentations de l’Arimène de Nicolas de Montreux, ce ballet de cour (ou « pastorale dramatique ») mêlant musique, danse et poésie, donné devant le duc et la duchesse de Mercœur dans la cour du château en 1596.
Plus marquante et décisive est la construction, entre 1660 et 1680, du premier théâtre d’opéra, situé alors dans la rue du Bignon-Lestard (l’actuelle rue Rubens). Sa salle rouge et or, éclairée de milliers de bougies, est jugée élégante : comme dans tous les théâtres italiens, le public se tient debout au parterre, tandis que les autres spectateurs se partagent un premier balcon de douze loges et deux autres étages constitués de galeries à rangées continues. Même si le répertoire de ses premières années nous échappe, on connaît mieux les triomphes que remportent, le siècle suivant, les opéras de Rameau, les opéras comiques de Grétry, Philidor ou Monsigny, sans compter l’inévitable Devin du village de Jean-Jacques Rousseau, si populaire en son temps. Hors de l’activité théâtrale, les Nantais mélomanes et musiciens peuvent se retrouver à l’Académie de musique créée par le maire Gérard Mellier et soutenue financièrement par les négociants de la Fosse ou de l’île Feydeau. Alors que le siège et les répétitions de l’Académie de musique se tiennent dans l’hôtel particulier de M. de Rosmadec (actuel Hôtel de ville), les concerts n’ont pas de salle propre et doivent trouver refuge, ici ou là, au gré des œuvres et des besoins.
Le Théâtre Graslin
Confrontés à un théâtre devenu trop petit pour sa population et une Académie de musique de qualité, mais sans cesse errante, les Nantais sentent le besoin de posséder enfin une salle digne de ce nom, égale en beauté et en capacité à celles d’autres villes françaises ou italiennes. Dans les années 1770, on supplie le duc de Penthièvre, gouverneur de Nantes au nom du roi, d’agir et de trouver une solution. C’est alors qu’entre en scène Jean-Joseph-Louis Graslin, receveur-général des fermes du roi, né à Tours en 1727. Doté d’une grande fortune personnelle, mais aussi entreprenant et audacieux, il propose à la Ville de bâtir à ses frais le nouveau quartier qui porte aujourd’hui son nom et d’y édifier en son centre un théâtre de prestige. Commencé dès 1778, ce grand projet d’urbanisme, l’un des plus ambitieux qu’ait encouragé la ville au cours de son histoire, connaît bien des vicissitudes : il permet finalement la naissance d’un quartier élégamment bâti d’immeubles de caractère. Le jour de Pâques 1788, on inaugure le « Grand Théâtre » construit par l’architecte voyer de la Ville, Mathurin Crucy, et déjà rebaptisé « Graslin » avant même son ouverture.
Dès lors et jusqu’à nos jours, la grande salle devient le lieu de rassemblement des Nantais désireux de se divertir et de s’ouvrir aux plaisirs du théâtre et de la musique. Quasi sans concurrence directe jusqu’au milieu du 20e siècle, le Grand Théâtre concentre à lui seul tous les types de répertoires : tragédie, comédie, opéra, opéra-comique ou opérette, ballet, concert et récital. C’est là que jouent Talma et Mademoiselle Mars, les grands noms de la Comédie Française au début du 19e siècle, là aussi qu’apparaissent le duc d’Angoulême en 1817, la célèbre duchesse de Berry pendant la saison 1828-1829, quatre ans avant qu’on ne l’arrête dans cette même ville, ou encore le duc de Nemours, fils de Louis-Philippe, en 1843. Le siècle du romantisme sait y acclamer de grands compositeurs tels qu’Auber ou Boïeldieu. Mais rien ne marque tant le théâtre et ses alentours que l’arrivée de Franz Liszt à Nantes, en décembre 1845, pour une série de trois concerts. Un service d’ordre hors du commun est mis en place pour empêcher la foule d’écraser celui qu’on considère comme le prince des pianistes, en plus d’un séducteur qui fait tourner les têtes de toutes les jeunes Nantaises. Le triomphe de ses trois spectacles au Grand Théâtre entraîne un concert supplémentaire à l’École de musique : généreux par nature et champion du concert caritatif, Liszt offre cette soirée aux « mères laborieuses » et fait lui-même la quête après avoir joué le Septuor de Hummel, entouré de six autres professeurs de l’école ; on récolte une telle somme qu’on peut ouvrir deux crèches pour jeunes enfants, au lieu d’une !
Une autre figure marque le tournant du 20e siècle et contribue à donner à l’Opéra de Nantes une renommée internationale : celle d’Étienne Destranges (1863-1915), ce journaliste, mélomane et mécène qui « introduisit Wagner et défendit les chefs d’œuvre lyriques », comme le mentionne une plaque toujours scellée dans le hall du théâtre. Musicien clairvoyant, premier Nantais à s’être rendu au sanctuaire wagnérien de Bayreuth, ami de Massenet, de Gounod ou de Vincent d’Indy qu’il reçoit à Nantes, Destranges porte très haut les couleurs de son journal Nantes lyrique et met le théâtre Graslin en contact avec les créateurs et les plus grandes salles de son temps : il correspond avec Cosima Wagner, fait donner à Nantes le premier opéra du maître allemand (Lohengrin, en 1891), et met à l’affiche les ouvrages symphoniques ou lyriques d’Alfred Bruneau, de Vincent d’Indy ou d’Ernest Reyer. Nantes est aussi, grâce à lui, le théâtre de créations nationales comme l’Hérodiade de Massenet en 1883, le Méphistophélès de Boito en 1887 ou, un an plus tard, l’Hamlet du compositeur nantais et grand ami de Jules Verne, Aristide Hignard. Tandis qu’Angers se fait une glorieuse renommée grâce à sa Société des concerts populaires, Nantes occupe sans conteste la première place des théâtres de l’Ouest dans le domaine de l’opéra.
Une vie musicale très riche
Ce rôle central du théâtre Graslin dans la vie musicale nantaise n’empêche pas une réelle diversification de l’offre tout au long du 19e siècle. Plusieurs sociétés de concerts se partagent les suffrages des Nantais en s’inspirant du grand modèle parisien de la Société des concerts du conservatoire, née en 1828. La Société philharmonique est une société d’amateurs de 300 abonnés. Créée en 1828 et disparue en 1833, elle compte 52 instrumentistes mais peut monter à 80 exécutants lors de concerts exceptionnels. Son répertoire habituel est constitué de symphonies de Beethoven et Haydn, ainsi que d’ouvertures de Mozart, Beethoven, Weber ou Cherubini. La Société instrumentale, très vite rebaptisée Société Marivaux, du nom de la rue où elle siège, est fondée par Charles Mellinet en 1828 mais disparaît deux ans plus tard. Elle compte un orchestre de 75 musiciens et joue surtout des symphonies de Beethoven et des ouvertures à grand orchestre. Enfin, la Société des beaux-arts est créée sur les ruines de la précédente, dès 1830, même si elle ne donne son premier concert qu’en 1832. Elle compte 200 à 300 abonnés et deux sections : l’une consacrée à la musique et l’autre à la peinture. Son répertoire est aussi voué à Beethoven, aux ouvertures de Mozart, Rossini ou Boïeldieu, ainsi qu’à la musique vocale (airs et duos d’opéras, romances…). Elle récupère les partitions de la Société philharmonique disparue en 1833.
Le travail conséquent réalisé par ces sociétés d’amateurs légitime la création d’une École de musique rattachée au conservatoire de Paris dès 1845 (année de la venue de Liszt), avant de prendre son envol en tant que conservatoire nantais dès 1846, date fondatrice officiellement retenue. Très vite, l’institution nantaise accroît son activité dans son célèbre hôtel particulier du 3 rue Harouys, où elle demeure jusqu’à l’inauguration de l’actuel Conservatoire, sur l’île Beaulieu, en 1979. Ouvert avec quelques dizaines d’élèves sous Louis-Philippe, le Conservatoire à rayonnement régional compte aujourd’hui 1 800 élèves et plus de 150 professeurs !
En termes de nouveautés, le début du 20e siècle n’est pas en reste. En 1903, Nantes décide de se pourvoir d’un orchestre d’harmonie rassemblant les meilleurs instrumentistes à vent, tandis que, dix ans plus tard, Vincent d’Indy, émerveillé par la qualité du premier chœur de haut niveau créé à Nantes, décide d’affilier ce dernier à la célèbre Schola Cantorum de Paris qu’il dirige. Ces deux sociétés d’amateurs n’ont jamais cessé leur activité : toujours dynamiques et bien ancrées dans le paysage nantais, la Philhar, créée en 1903, et la Schola Cantorum de Nantes, fondée en 1913, sont aujourd’hui les deux plus anciennes associations musicales de la ville.
Les bouleversements du dernier demi-siècle
L’entre-deux-guerres est une période fertile pour l’essor des cafés-concerts dédiés au jazz et de la musique de chambre, qu’illustrent deux grandes figures, les compositeurs Claude Guillon-Verne et Paul Ladmirault. Mais c’est sans conteste la seconde moitié du 20e siècle qui se montre la plus riche en bouleversements et créations de toutes sortes. C’est par exemple en 1958 que naît, dans la grande tradition « Bôzart », la « fanfare d’Archi ». Sa première apparition remarquée accompagne cette année-là l’enterrement du tramway nantais. Depuis cette date, la « Fanfarchi » a participé à de nombreux concours et soufflé ses cinquante bougies en 2008.
Du côté de Graslin, il devenait clair que le ronron des saisons lyriques données par la troupe du théâtre (dissoute en 1968) ou par l’Orchestre symphonique, ne suffisait plus à contenter une ville en forte croissance démographique. Avec son système dit « de répertoire », l’Opéra de Nantes entre dans une nouvelle phase de son histoire avec des spectacles moins nombreux qu’avec la troupe permanente, mais recourant davantage à la création et l’originalité. Après de fertiles et brillantes années sous la houlette de René Terrasson (1973-1981) ou de Marc Soustrot (1986-1990), la longue période de Philippe Godefroid (1990- 2003), certes marquée par quelques mises en scène contestées ou jugées provocatrices, permet aussi la résurrection d’un large répertoire français, oublié de la fin du 18e siècle à la seconde moitié du 19e, jamais donné à Nantes depuis ce temps (Boïeldieu, Auber, Halévy, Adam, Delibes, Chabrier…). S’y ajoutent de mémorables créations nationales (Kullervo de Sallinen, Susannah et Des Souris et des Hommes de Floyd, Le Procès de Von Einem, Powder her face de Ades, Les Soldats de Gurlitt…) ou mondiales comme Till l’Espiègle de Karetnikov. Malgré la baisse du nombre de titres donnés chaque année, la direction de Jean- Paul Davois poursuit une production de haute qualité et de créations, dans le cadre d’une nouvelle structure, Angers Nantes Opéra, englobant les théâtres des deux villes en un même Syndicat mixte depuis 2002. Elle reçoit en juin 2007 le prix Claude Rostand du Syndicat de la critique pour « la meilleure production lyrique en région », avec Jenufa de Janacek. Depuis janvier 2018, Alain Surrans a succédé à Jean-Paul Davois.
Avant cela, l’année 1971 est aussi celle d’un nouveau défi : regrouper les forces vives des cinq départements des Pays de la Loire pour soutenir la création, sous la baguette de Pierre Dervaux, d’un Orchestre philharmonique unissant deux « phalanges » de musiciens : celle de Nantes et celle d’Angers. Lancé en septembre 1971 avec un concert consacré à la Symphonie fantastique de Berlioz, La Mer de Debussy et Daphnis et Chloë de Ravel (avec les chœurs de la Schola Cantorum), l’Orchestre philharmonique des Pays de la Loire (OPPL), transformé en Orchestre national des Pays de la Loire (ONPL) à partir de 1996, vient de fêter le 40e anniversaire de son rayonnement musical, tant dans la région qu’à l’international. Il s’est doté depuis quelques années d’un chœur autonome de qualité, dirigé par Valérie Fayet, et compte un nombre d’abonnés qui le place largement en tête de tous les orchestres nationaux. Spécialisé dans un répertoire qui va de la fin du 18e siècle à la création contemporaine, l’ONPL laisse ainsi toute sa place à un autre orchestre permanent dédié au répertoire baroque, l’ensemble Stradivaria, que son chef Daniel Cuiller fait aussi rayonner à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières.
La question du manque de salles de concert, longtemps prégnante, a trouvé quelques réponses grâce à la construction de nouveaux espaces dévolus au spectacle. Alors que le théâtre Graslin, l’auditorium du Conservatoire et le Palais des sports de Beaulieu (construit entre 1967 et 1979) sont longtemps les seules ressources existantes, la Cité des congrès, ouverte en 1992 avec ses nombreuses salles dotées d’une excellente acoustique, et La Fabrique, inaugurée à l’automne 2011 pour accueillir la création dans le domaine des musiques actuelles, enrichissent le potentiel musical nantais.
À côté de ces structures permanentes, Nantes, s’est lancée depuis de nombreuses années dans la course aux festivals, importante pour sa notoriété nationale et internationale, et prouvant l’éclectisme musical qui n’a cessé de prévaloir dans la cité des ducs. Le Printemps des Arts, festival de musique ancienne et baroque fondé en 1984 par le metteur en scène Philippe Lénaël, s’est consacré, jusqu’à sa disparition en 2014, à l’interprétation sur instruments anciens d’un répertoire essentiellement tourné vers les 17e et 18e siècles, tout en démontrant la complémentarité des différents arts de la scène (musique, théâtre et danse) ; grâce à lui, Nantes a pu vibrer aux accents des plus grands noms du baroque, de Jordi Savall à Philippe Jaroussky. Le Festival des Fêtes de l’Erdre (1986) rebaptisé Les Rendez-vous de l’Erdre en 2005, marie allègrement la vitalité du jazz avec la belle plaisance et la richesse du patrimoine naturel de la rivière : fort de quelque cent dix concerts, il sait unir en quatre jours le blues à l’électro et le jazz traditionnel aux modes d’expression les plus contemporains.
À l’inverse, ce sont plutôt les bords de Loire et les nouveaux espaces aménagés sur l’Île de Nantes qui sont depuis 2002 le théâtre du festival Scopitone, qui rend hommage chaque année à la création dans le domaine des musiques actuelles. Mais avant lui est apparu en 1995 un nouveau météore dont la renommée internationale dépasse celle de tous les autres, La Folle Journée, concept aussi heureux qu’original imaginé par le Nantais René Martin : avec environ 150 000 billets vendus, il balaie d’un revers tous les discours alarmistes sur une musique classique prétendument moribonde !
Patrick Barbier
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(Droits d’auteur réservés)
En savoir plus
Bibliographie
Bourhis Michelle, La musique de chambre à Nantes entre les deux guerres, L’Harmattan, Paris, 2011
Courtonne Marcel, Un siècle de musique à Nantes et dans la région nantaise (1850-1950), Beaufreton, Nantes, 1953
La Laurencie Lionel de, La vie musicale en province au 18e siècle : l'Académie de Musique et le Concert de Nantes à l'hôtel de la Bourse (1727-1767), Société française d'Imprimerie et de Librairie, Paris, 1906
Leho Caroline, Moscovitch, Georgina (éd.), Conservatoire de Nantes : 150e anniversaire, CNR-Intégrales, Nantes, 1996
Mellinet Camille, De la musique à Nantes depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Impr. Mellinet, Nantes, 1837
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Rédaction d'article :
Patrick Barbier
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