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Anna Davis Philip (1862 – 1930) Escaliers

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Jean-Baptiste Ceineray (1722-1811)


Jean-Baptiste Ceineray figure parmi ces architectes qui ont profondément marqué le paysage urbain nantais. Architecte voyer de 1760 à 1780, il a contribué à faire de Nantes, ville close enfermée dans ses remparts médiévaux, une cité moderne ouverte sur son fleuve et ses faubourgs.

Un architecte académique

Jean-Baptiste Ceineray naît à Paris en 1722. Son père, François Ceineray, est maître charpentier (ou maître menuisier). Il suit dans un premier temps une formation auprès de l’architecte Franque dans son cabinet parisien avant d’être admis en 1743 à l’Académie royale d’architecture. À la fin de sa formation, il séjourne quelques temps en Italie où il étudie les principales réalisations architecturales du pays. En 1752, il s’installe à Nantes pour y faire carrière et épouse Marie Sauvaget, fille de l’armateur et négociant François Sauvaget.

Sa formation académique le distingue fortement des architectes locaux formés sur le terrain par leurs proches. En 1757, il est désigné comme suppléant de l’architecte voyer Nicolas Portail, qui du fait de ses nombreuses indispositions, n’est pas en mesure de remplir l’ensemble des missions que lui assignent les autorités municipales. En 1760, il prend le poste de Portail.

Un projet urbain ambitieux

Entre 1754 et 1755, l’architecte Pierre Vigné de Vigny élabore un premier plan général d’embellissement pour Nantes. Ce projet est commandé par le duc d’Aiguillon, qui de par ses charges de lieutenant général de la ville et commandant en chef en Bretagne, représente le pouvoir royal en province. Les autorités municipales nantaises se voient ici imposer un projet urbain voulu par l’État. À partir de 1760, Jean-Baptiste Ceineray, nommé architecte voyer de Nantes, reprend le plan de Vigné de Vigny pour mieux l’adapter aux contraintes locales et le mettre en œuvre. En effet, Vigné de Vigny avait travaillé sur un fonds de plan peu fiable et, ne vivant pas à Nantes, il était trop peu informé sur les particularités de la ville. De son côté, Ceineray connaît bien cette cité qu’il habite depuis huit ans. Ainsi, le plan qu’il dessine conserve certaines idées de Vigné de Vigny mais se montre aussi plus ambitieux : l’architecte propose de détruire une partie de l’enceinte médiévale afin de faire de Nantes une ville moderne et ouverte sur ses faubourgs. Le projet d’urbanisation de l’île Gloriette pensée par Vigné de Vigny est abandonné pour laisser place à de nouvelles propositions : création de deux promenades publiques aux abords de la cathédrale, aménagement du front de Loire donnant sur le bras de la Bourse, canalisation de l’Erdre, etc. Toutefois, ces propositions n’ont pas été uniquement formulées par Ceineray. Certaines d’entre elles émanent d’autres acteurs concernés par ce projet. Le plan de Ceineray, dressé en 1761, est finalement approuvé par le Conseil d’État du roi en 1766.

Le voyer avant l’architecte

Le plan d’embellissement validé en 1766 prévoit l’ouverture de la ville sur ses faubourgs et la Loire par la destruction d’une partie des murailles dont l’usage défensif est devenu obsolète. En tant qu’architecte voyer chargé de l’aménagement des voies publiques, Jean-Baptiste Ceineray s’attache à mettre en œuvre ce projet. Il reprend le principe d’un ordonnancement symétrique de façades d’immeubles alignés, cher à Gérard Mellier, dans l’optique de créer au sud de la ville un front urbain en bord de Loire, et à l’est un quartier neuf rassemblant les principales institutions municipales et religieuses.
 
Au sud de la ville, la démolition de l’enceinte médiévale permet l’aménagement d’un quai continue entre le château et le quai de la Fosse. Les immeubles construits ont avant tout vocation à devenir des logements. La place du Bouffay, qui donne à présent sur la Loire, est repensée et régularisée avec l’édification de nouveaux immeubles au nord. À l’est demeurent des constructions datant du 16e et du début du 18e siècle ainsi que l’ancien hôtel de la Monnaie, détruit en 1820. À l’ouest, l’ancien palais de justice et la prison du Bouffay subsistent jusqu’au milieu du 19e siècle.  

À l’est de la cité sont aménagées deux promenades s’étendant de l’Erdre à la Loire, dénommées aujourd’hui « cours Saint-Pierre » et « cours Saint-André ». Lors de leur création au 18e siècle, elles portaient le nom de cours des États. Les deux cours sont séparés par une place, la place d’Armes (actuelle place Maréchal-Foch). Sur les espaces gagnés en bordure des cours sont élevés des immeubles (hôtel Pépin de Bellisle, hôtel Lelasseur, hôtel d’Aux) dont la conception est soumise à des règles architecturales précises dictées par Ceineray lui-même, garant de l’harmonie de l’ensemble.

Ceineray exerce également ses talents d’architecte voyer sur la prairie de la Madeleine, où les seules constructions existantes se concentrent à proximité du pont de la Belle-Croix et de la Madeleine. Au début des années 1770, les propriétaires de terrains situés sur ce vaste domaine inondable font valoir leur droit d’y construire des immeubles. L’architecte voyer est alors sollicité pour ce projet d’aménagement. De nouveau, il impose aux propriétaires un plan d’alignement et des contraintes architecturales respectueuses de l’harmonie de cet ensemble d’immeubles à bâtir du nord au sud de la chaussée de la Madeleine.

Au-delà de ces réalisations, Jean-Baptiste Ceineray propose des plans pour l’aménagement des futures places Royale et Graslin et pour l’île Gloriette. Ces travaux seront engagés dans les décennies suivantes, notamment par son successeur Mathurin Crucy.

Une contribution architecturale plus modeste

En tant qu’architecte, Jean-Baptiste Ceineray est apprécié de la noblesse et de la bourgeoisie nantaise pour sa contribution à l’édification d’hôtels particuliers (hôtel Deurbroucq) et de demeures de villégiature dans la ville et ses faubourgs. Il est toutefois l’auteur de peu d’édifices publics, à l’exception de la nouvelle Chambre des Comptes qui abrite aujourd’hui les services de la préfecture de Loire-Atlantique et des Pays de la Loire.

L’architecte voyer a dressé les plans de plusieurs bâtiments municipaux qui resteront sur le papier. Il imagine, en retrait du quai Brancas, une halle au blé dotée d’une salle de spectacle, d’habitations et de quelques boutiques. Rue Sain-Catherine, il prévoit l’élévation d’un théâtre. Entre 1769 et 1774, il soumet également trois projets pour la reconstruction de l’hôtel de la bourse, détruit pour son manque de solidité. Ce bâtiment n’est finalement pas construit durant le mandat de Ceineray qui se contente d’édifier une halle provisoire en bois. Enfin, en 1773, il dessine les plans de l’église Saint-Nicolas pour la future place Royale projetée.

Au final, la réalisation architecturale la plus marquante de Ceineray reste la Chambre des comptes. Mentionné sur le plan de Vigné de Vigny, il l’inscrit au cœur de son projet de quartier institutionnel neuf à l’est de la ville. La Chambre des comptes est élevée dans l’axe de la nouvelle « rue Royale » qui mène à la cathédrale.

Une fin de vie dans le dénuement

Durant sa carrière, Jean-Baptiste Ceineray connaît un certain nombre de contentieux avec divers entrepreneurs, propriétaires et architectes. Sa recherche constante du respect de l’harmonie exigée par son plan d’embellissement de 1766 l’amène à imposer des choix architecturaux jugés parfois trop catégoriques. Il s’oppose par exemple aux Seheult et aux Portail, deux familles d’architectes réputées dans la région nantaise.

Souffrant de problèmes de santé, Jean-Baptiste Ceineray démissionne de son poste d’architecte voyer en 1780 et pour lequel il continue à percevoir une pension. À partir de 1793, la situation financière de la municipalité ne permet plus aux autorités de lui verser de l’argent. En 1799, il adresse une lettre aux représentants de la ville afin de rendre compte de sa situation personnelle : « Bientôt octogénaire, presque aveugle, réduit à la plus affligeante misère, relégué à un quatrième étage, dans un dénuement absolu, je suis moins touché de tous ces maux ensemble que de l’oubli de la commune de Nantes. […] Citoyens, faites un pas, jetez un regard dans l’enceinte, hors de l’enceinte de cette grande cité, et, à tous les points, vous trouverez des témoins qui déposent pour moi, témoins muets, mais énergiques et flatteurs, qui me vengeront dans la tombe de la froide et dédaigneuse indifférence de la génération actuelle. » Sa pension est rétablie la même année. Malgré cela, il meurt dans la pauvreté en 1811.

Bien des années après son décès, le maire de Nantes Ferdinand Favre donne son nom au quai situé au nord de l’ancien palais de la Chambre des comptes. Cet hommage honore la mémoire d’un architecte qui, malgré sa contribution conséquente à la modernisation et l’embellissement de Nantes, n’a jamais cherché à profiter de sa situation pour s’enrichir.

Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2022

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En savoir plus

Bibliographie

Bienvenu Gilles, De l'Architecte voyer à l'ingénieur en chef des services techniques, les services d'architecture et d'urbanisme de la ville de Nantes du XVIIIe siècle au XXe siècle, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2013

Chabot Barres Catherine, Recherches sur l'architecte Jean-Baptiste Ceineray (1722-1811), Paris IV, 1992

Le Nail Bernard, Dictionnaire biographique de Nantes et de Loire-Atlantique. Les hommes et les femmes qui ont fait la Loire-Atlantique, Le Temps éditeur, 2010, p. 86-87

Renoul Jean-Charles, « Ceineray », Annales de la Société Académique de Nantes et du département de Loire-Inférieure [En ligne], tome 32, 1861, p. 451-490, [Consulté le 8 mars 2022], article en ligne disponible ici

Rousteau-Chambon Hélène, « La Chambre des comptes de Jean- Baptiste Ceineray », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], tome 108, n°4,‎ 2001 [Consulté le 8 mars 2022], article en ligne disponible ici

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Architecte et urbaniste Architecture domestique Lieu institutionnel Plan d'embellissement

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Rédaction d'article :

Noémie Boulay

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