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Franceline Ribard (1851 - 1886) Paul Griveaud (1847-1909)

Saupiquet


Le 20 décembre 2024, la dernière usine Saupiquet de France ferme à Quimper. Une nouvelle page se tourne pour l’entreprise fondée à Nantes en 1877 par Arsène Saupiquet.

Arsène, fondateur de Saupiquet

Pierre Géraud Arsène Saupiquet est né à Jussac en 1849. D’une famille de marchands et de ferblantiers-chaudronniers cantalous, il est recensé voyageur de commerce en 1869 et s’établit avant 1872 à Nantes. Il aurait travaillé chez Riom (imprimeur ferblantier) avant de s’associer à Jacquier (conserveur). Cette association est de courte durée (1875-1877) mais lui fait découvrir le métier. 

La construction d’une réputation (1877-1891)

Fort de ses expériences, il se lance alors à son compte. Son apport personnel, la dot de sa femme, et probablement l’aide de sa mère, lui permettent de construire une usine rue de Crucy à Nantes, une autre aux Sables d’Olonne et d’acquérir quatre sites bretons. Il est créatif, habile techniquement et dynamique commercialement. Innovation, qualité et communication assoient très rapidement sa notoriété ; la marque est accompagnée pendant longtemps de « l’œil de la providence », pour illustrer sa démarche qualité.

Publicité pour les conserves Arsène Saupiquet

Publicité pour les conserves Arsène Saupiquet

Date du document : 1882

Afin de renforcer ce positionnement, il participe à plusieurs expositions en France et à l’étranger. En 1883, il rédige un ouvrage sur les falsifications des produits. En 1889, il s’associe à Lefèvre-Utile pour diffuser une revue, La Revue des Spécialités Alimentaires, auprès des épiciers afin de mieux les informer, et tenter de mutualiser les actions commerciales d’entreprises alimentaires nantaises.

Création de la SA des Ets Arsène Saupiquet le 29 mai 1891

Dès 1889, des idées de regroupement se développent dans la conserverie nantaise. L’affaire, dite de la « Sardine Union Limited » l’année suivante, pousse probablement Arsène Saupiquet à passer à la vitesse supérieure. Avec sa marque Jockey Club et la boîte du même nom, et avec son image qualité, il a une réelle « différenciation produit ». Mais sa situation financière n’est pas bonne. Le passage en Société Anonyme pour lever des fonds et poursuivre son développement s’impose. Il crée, avec sa femme Berthe Athénaïse, le 29 mai 1891, la Société Anonyme des Établissements Arsène Saupiquet. Compte tenu de sa renommée, il n’a pas de problème à trouver des investisseurs. 51 actionnaires le suivent. Les principaux, hormis le banquier Rousselot, sont liés à la conserve.

Boîte Saupiquet Jockey Club

Boîte Saupiquet Jockey Club

Date du document :

Faillite, incendie, Arsène minoritaire, mais il garde le contrôle !

Quelques semaines plus tard, coup sur coup, son banquier fait faillite et l’usine de la rue de Crucy part en fumée. Ses associés des Docks Nantais lui permettent de se relever. Arsène garde le contrôle de l’entreprise bien que minoritaire en capital. Malgré quelques frictions avec certains actionnaires, il conserve une grande liberté d’action et plusieurs grands projets sont réalisés : campagnes publicitaires de grande ampleur, rachats d’entreprises, importations, exportations et agents à l’étranger. Il conserve son esprit pratique et créatif, reste proche de la production et des ouvriers. Ouvert aux nouvelles initiatives sociales, il met en place un intéressement de 8 % aux bénéfices pour le personnel.

Défendre son image et ses droits

Sans être procédurier, Arsène continue de défendre ses positions. Plusieurs litiges ou affaires de commerce durent de nombreuses années. La plus longue est celle menée contre le fabricant de boîtes Dauché pour avoir livré à la concurrence des contenants similaires à la boîte Jockey. Le débat sur la possibilité ou non de protéger « une forme » devient un exemple dans les manuels de jurisprudence. D’autres affaires durent longtemps, sans gain de cause, même dans des cas manifestement abusifs comme ces imitations de boîtes Jockey utilisant la marque Soupiquet.

La rupture

Bien que minoritaire, Arsène Saupiquet a tendance à exercer seul la gestion de l’entreprise. Les administrateurs délégués ont du mal à mener leur surveillance des comptes et de la bonne marche de l’entreprise. Les résultats ne sont pourtant pas bons. Mais le dynamisme et l’optimisme du directeur semblent rassurer, réunion après réunion, le conseil d’administration. Un nouvel administrateur fait même voter une augmentation de 30 % des appointements d’Arsène Saupiquet.

Il fait entrer son fils, Arsène Pierre André (1877-1962), dans la société. Et le 6 août 1900, ce dernier devient secrétaire du conseil d’administration. Il gère aussi la modernisation de l’usine de Montrouge directement avec son père, sans communiquer de plan d’ensemble, ni budget, ni planning.

Le 27 février 1901, des ordres d’un administrateur délégué, Puget, sont contredits par Saupiquet fils. Ce qui donne lieu, quelques jours après, à une violente altercation et des injures entre Puget et Saupiquet père devant le personnel ! Le 9 mars 1901, ce dernier démissionne.

Arsène Saupiquet fils quitte la société Saupiquet après la démission de son père. Dès avril de la même année, il crée la « Société A. Saupiquet fils et Cie », fabricant de conserves à Nantes, rue Sully. Cette création génère un très long conflit avec la SA des Ets Arsène Saupiquet. Le 5 août 1906, un incendie se déclare et détruit locaux et stocks de l’usine d’Arsène Saupiquet fils.

Nouvelle vie à Paris

Après l’incendie en 1906, Arsène Saupiquet père et fils quittent Nantes pour Paris. Arsène père développe une affaire de négoce de café et de thé, tente un retour à la conserve en 1908, avec un projet en Tunisie qui n’aboutit pas. Il décède en 1915. Son fils persévère aussi, mais échoue à deux reprises, en 1911 puis en 1925 dans un projet à Madagascar. Il poursuit une activité de courtier et décède en 1962. Le témoignage de Paulette Robine, sa fille, en 1991 pour le centenaire de l’entreprise, apaise enfin les relations entre la société et son fondateur.

Les beaux jours

Nul n’est indispensable, pas plus Arsène Saupiquet père qu’un autre. Jules Gauquelin (1853-1929) le remplace à la tête des Ets Arsène Saupiquet, un mois après sa démission, en avril 1901. Il y reste jusqu’en 1920.

Beaucoup d’innovations développent les ventes, momentanément ou durablement : les sardines à la ravigote, les ananas Toutoute, les plats cuisinés, les viandes et les pâtés, les champignons, le thon sauce catalane, le thon au naturel emboîté à cru, le mélange pois-carotte, le maquereau au vin blanc, les filets de sardines, les plats cuisinés individuels, les salades, la gamme des « grillés », etc. Côté emballages, la boîte Jockey Club et sa clé, bien sûr, mais aussi la boîte chaudron, la boîte bol, le sachet, les ouvertures faciles, les opercules pelables, les matériaux (verre, fer blanc, alu, plastique, complexes). Il y a aussi les tentatives de sorties du marché de la conserve avec les surgelés Cassegrain (société intégrée à Saupiquet en 1966) ou plus tard, en 1997, au rayon frais.

Catalogue des produits Saupiquet

Catalogue des produits Saupiquet

Date du document :

Citons aussi les rassemblements festifs des salariés comme les promenades du personnel sur l’Erdre à partir de 1904 ou les tournois de foot inter-sites des années 1980. Des opérations de sponsoring, foot et voile, ont pu également développer une image positive.

Maillot du FC Nantes avec pour sponsor principal Saupiquet

Maillot du FC Nantes avec pour sponsor principal Saupiquet

Date du document : 1991-1992

Les années noires

De réduction en augmentation de capital, l’actionnariat change au cours de l’histoire de l’entreprise.  À deux reprises au moins, elle a failli disparaître. En 1902, lorsque son actionnaire parisien « La société des revenus industriels » fait faillite. Puis en 1936, dans une situation désespérée, après l’effondrement du marché et des stocks importants, lorsque les frères Ouizille proposent une reprise par les Ets Delory.

Saupiquet, grand rassembleur de la conserverie nantaise

Alors qu’elle n’était pas la plus légitime pour le faire, l’entreprise parvient à mener la restructuration du secteur en absorbant une vingtaine d’entreprises entre 1955 et 1970. Cette position dominante ne lui profite pas longtemps : la Compagnie mixte de navigation devient majoritaire au capital en 1985, cession des activités de légumes en 1989, puis des plats cuisinés en 1994, pour se recentrer sur l’activité poisson. Ce qui n’empêche pas la fermeture de l’usine de Ciboure fin 1996, événement important et emblématique du déclin amorcé.

Plaquette de présentation de la compagnie Saupiquet

Plaquette de présentation de la compagnie Saupiquet

Date du document :

Innovations et paris audacieux ne permettent pas, non plus, de retrouver une rentabilité suffisante dans un contexte d’actionnariat fluctuant. En 2000, Saupiquet passe sous le contrôle d’une entreprise italienne, Trinity Alimentari. L’entreprise recentre alors son activité sur la conserve de poisson. L’usine de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ferme en 2001, le siège nantais en 2005, l’usine de Vannes en 2010, celle de Quimper en 2024.

Souvent critiquée par ses concurrents, parfois par ses salariés, l’entreprise a pourtant largement contribué au progrès de la technique de l’appertisation, à la qualité des produits, au développement du marché et surtout à l’activité économique de nombreuses localités. Elle a procuré de l’emploi à des dizaines de milliers de personnes depuis sa création. En France au moins 76 communes ont été concernées par les implantations ou reprises d’activité par Saupiquet. Et 16 sites de production à l’étranger sans compter les bureaux commerciaux. Autant d’histoires à raconter…

Brigitte Blesteau, Brigitte Haye, Laurent Venaille
Association La conserve des Salorges à la Lune
2024



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En savoir plus

Bibliographie

Fiérain Jacques, « La restructuration de la conserverie à Nantes », Enquêtes et Documents, n°4, 1978, p. 207-272

Fiérain Jacques, « Saupiquet et les crises de la conserve (1877-1945) », Enquêtes et Documents, n°5, 1980, p. 193-240

Fiérain Jacques, « Saupiquet et l'industrie du thon en Afrique noire (1956-1979) », Enquêtes et Documents, n°6, 1981, p. 171-216

Guyvarc'h Didier, « Saupiquet », Place publique Nantes Saint-Nazaire, n°14, mars-avril 2009, p. 58-59

Rochcongar Yves, « Saupiquet, Pierre Gérard Arsène », dans Capitaines d’industrie à Nantes au 19e siècle, MeMo, Nantes, 2003, p. 301-3024

Rouzeau Marie (dir.), Conserveries en Bretagne : l'or bleu du littoral, actes du colloque, Loctudy, Institut culturel de Bretagne, septembre 2005, Coop Breizh, Spézet, 2007

Pages liées

Conserverie Saupiquet

Revue des Spécialités Alimentaires

Conserveries

Tags

Conserverie Agroalimentaire Industriel

Contributeurs

Rédaction d'article :

Brigitte Blesteau, Brigitte Haye, Laurent Venaille

Anecdote :

Brigitte Blesteau, Brigitte Haye, Laurent Venaille, Anaïs Mailet

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