Robert Badinter et Nantes
Figure majeure de la 5e République, l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter a vécu la « drôle de guerre » à Nantes. Une année dont les souvenirs restent très présents dans sa mémoire.
Robert Badinter est né le 30 mars 1928 dans le 16e arrondissement de Paris de Charlotte Rosenberg et Simon Badinter, tous deux originaires de familles juives de Bessarabie, le nom historique d’une région principalement située sur l’actuelle Moldavie. Fourreurs, ses parents sont naturalisés français quelques semaines avant sa naissance. Il a un frère, Claude, de trois ans son aîné.
Des vacances d’été au Pouliguen
La famille Badinter réside rue Raynouard et Robert et Claude effectuent leur scolarité au lycée parisien Janson-de-Sailly. Lors des vacances d’été, leurs parents les emmènent au bord de la mer, et notamment au Pouliguen, où Robert aime jouer sur la plage, au club Mickey. C’est d’ailleurs dans cette petite ville voisine de La Baule que la famille se trouve à l’été 1939, accompagnée d’Idiss, la grand-mère maternelle de Robert et Claude. Ensemble, ils assistent au feu d’artifice du 14 juillet, sur la baie, mais cet été-là, Simon Badinter est avant tout préoccupé par la guerre qui s’annonce. Alors que les hostilités débutent en Pologne le 1er septembre, il décide que son épouse Charlotte, leurs deux enfants et Idiss demeureront à Nantes, loin de Paris et des possibles bombardements aériens. Simon rentre à Paris, persuadé d’être très vite mobilisé en tant que réserviste au sein de l’armée française.
Septembre 1939 : l’arrivée à Nantes
À Nantes, la famille s’installe dans un appartement situé au deuxième étage du numéro 2 de la rue du Château. On y entrepose les stocks de fourrures familiales ramenées de Paris. Charlotte Badinter, aidée d’un vieil ouvrier, ouvre une boutique rue de Feltre, louée à un jeune fourreur nantais mobilisé. Robert et Claude sont élèves non loin de là, au Petit Lycée, une annexe du lycée Clemenceau qui porte aujourd’hui le nom de lycée Jules-Verne. Pendant cette « drôle de guerre », des masques à gaz sont distribués préventivement aux enfants, comme à leurs professeurs. Quelques femmes viennent d’ailleurs enseigner à la place de leurs collègues masculins mobilisés.
Tous les jeudis après-midi, Robert Badinter se rend au cinéma avec sa grand-mère Idiss. Ils en profitent pour prendre connaissance des actualités, mais surtout pour voir de nombreux films, qu’il s’agisse de westerns, de comédies ou encore de dessins animés. Cette passion commune leur permet de nouer des liens très forts. Alors que Robert raffole des galettes bretonnes vendues dans la pâtisserie qui fait face à la boutique de sa mère, Idiss aime fréquenter les marchés de l’esplanade du château des ducs de Bretagne et ramener à son petit-fils un bon goûter qu’ils partagent le plus souvent ensemble. Ils apprécient aussi le paysage depuis les fenêtres de leur appartement. Celui-ci fait face au château et leur offre une vue privilégiée sur son pont de pierre et ses fossés où quelques biches viennent brouter l’herbe.
Juin 1940 : la débâcle de l’armée française
L’apparente insouciance de ces quelques mois prend fin le 10 mai 1940, quand l’Allemagne contourne la ligne Maginot et envahit les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France. Les troupes allemandes mènent une guerre éclair et dès le 14 juin 1940, elles atteignent Paris.
Simon Badinter quitte la capitale et rejoint Nantes en passant par des routes secondaires. Il retrouve sa famille en pleine nuit et décide dès le lendemain de se rendre à Toulouse. Craignant que les Allemands ne fassent prisonniers tous les hommes en âge de combattre, Simon emmène avec lui Claude, désormais adolescent et âgé de quinze ans. À Nantes, Robert se retrouve donc seul avec sa mère et sa grand-mère.
Le Petit Lycée devient un centre d’accueil pour les nombreux réfugiés qui fuient la débâcle. Le 19 juin, les Allemands s’emparent sans combat de la cité des ducs, déclarée ville ouverte. De nombreux habitants quittent alors la ville, qui se mure peu à peu dans le silence. Un matin, Robert Badinter voit depuis sa fenêtre de jeunes soldats allemands s’approcher du château sur un side-car armé d’une mitrailleuse. Apercevant une biche brouter de l’herbe dans les fossés du château, ils explosent de rire. Ce « rire du vainqueur », comme il le désigne plus tard, le marque à jamais.
Robert Badinter à Nantes
Date du document : 1940
Septembre 1940 : de Paris à la zone libre
Une fois l’armistice signée, le père et le frère de Robert Badinter reviennent à Nantes, tout comme le jeune fourreur qui leur avait loué sa boutique, désormais démobilisé. La rentrée de septembre approchant, Simon Badinter décide de retourner à Paris, avec Claude et les stocks de fourrures. Charlotte, Idiss et Robert ne tardent pas à les y rejoindre, alors que le régime collaborationniste de Vichy prépare déjà ses premières lois antisémites. La famille Badinter envisage rapidement de gagner la zone libre et en 1941, elle rejoint Lyon.
Restée à Paris avec son fils Naftoul, Idiss meurt d’un cancer le 17 avril 1942. Quelques semaines plus tard, Naftoul Rosenberg est dénoncé et déporté à Auschwitz-Birkenau. Le 9 février 1943, à Lyon, Simon Badinter est l’une des quatre-vingt-six victimes de la rafle de la rue Sainte-Catherine, ordonnée par le chef de la Gestapo lyonnaise Klaus Barbie. Il est déporté à Sobibor. Ni le père, ni l’oncle de Robert Badinter ne reviendront des camps d’extermination nazis.
L’engagement contre la peine capitale
Après avoir suivi des études de droit et de lettres, Robert Badinter devient avocat au barreau de Paris à l’âge de vingt-deux ans. En 1965, il passe l’agrégation de droit et devient professeur des universités de Besançon, Amiens puis Paris I Panthéon-Sorbonne. Il publie de nombreux livres et articles. Nommé ministre de la Justice en 1981 par le président de la République François Mitterrand, il obtient l’abolition de la peine de mort en France. Il fait voter de nombreuses lois en faveur des libertés, des droits des victimes et de l’amélioration de la condition des détenus. En 1986, il est nommé président du Conseil constitutionnel.
En 2008, il est de retour dans la cité des ducs en tant qu’invité d’honneur du bicentenaire du lycée Clemenceau. Puis en 2011, la convention nationale des avocats, qui se déroule cette année-là à Nantes, lui remet un prix pour l’ensemble de sa carrière et pour ses combats pour l’abolition universelle de la peine capitale et l’amélioration des conditions de détention des personnes incarcérées. Devant six mille confrères et consœurs, il y reçoit une très longue ovation.
Cécile Gommelet
2021
En savoir plus
Bibliographie
Badinter Robert, Idiss, Fayard, 2018
Frèrejean Alain, Robert et Élisabeth Badinter, Éditions de l’Archipel, 2018
Missika Dominique, Szafran Maurice, Robert Badinter : L’homme juste, Tallandier, 2021
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Rédaction d'article :
Cécile Gommelet
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