
Paysages du territoire de Doulon pendant l’Ancien Régime
Très peu de bâtiments antérieurs à la Révolution française subsistent à Doulon. Néanmoins, plusieurs indices, en particulier la toponymie et les archives anciennes, permettent d’apprécier la physionomie du territoire du Moyen Âge et de l’époque moderne.
La toponymie, révélateur de la physionomie d’un territoire ?
Dans sa donation du monastère Saint-Médard à l’abbaye de Landévennec en 936, Alain Barbe Torte inclut « les forêts, les pièces d’eau, les prés, les terres incultes ou cultivées » qui en dépendent. Cette description laconique permet de poser des hypothèses sur la physionomie du territoire du 10e siècle. La mention de forêts entremêlées de terres laisse penser que le défrichement est sans doute déjà en cours et que la forêt est déjà morcelée en plusieurs bois de taille importante. Les landes et prairies inondables constituent peut-être les terres incultes tandis que les prés et les terres cultivées laissent entrevoir le début d’un élevage associé à quelques labours. L’analyse des toponymes qui se sont maintenus du Moyen Âge au cadastre napoléonien éclaire cette première description du territoire.

Territoire de Doulon sur le cadastre napoléonien
Date du document : 1834
Un territoire parsemé de zones humides et de bois
L’un des toponymes les plus fréquemment repérés à Doulon est celui de la Noë ou Noé, généralement associé à un possible patronyme ou à une description géographique : la Noë Garreau, la Noë des Landreaux, Noé Savary. Ce mot gallo (breton) désigne une prairie inondable. Il découle peut-être du gaulois « nauda » signifiant la mare. La présence des zones humides – marais et prairies – est sans doute l’un des éléments les plus caractéristiques du territoire. Elle se décèle également dans le toponyme de la Saulsaie (proche du Petit Jaunaie) qui existe dès le 16e siècle et peut-être dans ceux plus pittoresques de la Grenouille ou de la Grenouillère qui apparaissent seulement au 18e siècle.
À côté de ces nombreuses zones humides, la forêt devait au Moyen Âge être beaucoup plus dense que ne le laisse supposer son réduit actuel entre Doulon et Sainte-Luce. Ce n’est qu’à la fin 18e siècle que le défrichage conduisit à l’identification de deux bois, celui de Bois-Briand et celui du Bois-des-Anses au détriment d’une forêt. Un second secteur boisé est identifié dès le 16e siècle grâce au toponyme de la Chênaie (Haute et Basse). Ce secteur sera ensuite associé à celui de la Colinière à partir du 17e siècle. Enfin, d’autres secteurs boisés apparaissent dans les différentes descriptions du domaine du Blottereau et de Chamballan au 16e et 17e siècles. Le bois du Blottereau – encore représenté sur la carte de Cassini malgré les modifications de la propriété – disparaît sans doute dans la seconde partie du 18e siècle à la faveur de l’apparition du toponyme Beau-Soleil, signalant peut-être le défrichage de cette parcelle et l’ouverture de nouvelle terres labourables. Le bois Robillard n’apparaît qu’au 19e siècle et remplace sans doute le pâtis Robilleau, à la suite d’un glissement de graphie et d’une nouvelle gestion des landes au profit du bois.

Commune de Doulon sur la carte de Cassini
Date du document : 1744
Ces quelques constats toponymiques peuvent être rapprochés des archives textuelles. Les bois de haute futaie, composés d’arbres de grandes dimensions, sont rares et associés à des maisons nobles. Les bois les plus fréquents sont les saulzaies (plantés de saules) et les taillis (composés de petits arbres) plantés sur les zones humides. Pour le reste, lorsque la propriété comprend quelques arbres, ceux-ci sont méticuleusement mentionnés : « deux rangées d’arbres » par-ci, « quatre arbres de futaie » autour de la petite avenue du presbytère, etc. Il est donc vraisemblable que la disparition de la forêt sur Doulon soit un phénomène très ancien.
Les landes, élément caractéristique du Doulon ancien
Entre les zones humides et la forêt, de vastes étendues de landes couvrent une grande partie du territoire. Si aujourd’hui, seul le toponyme des « landreaux » a survécu, les textes anciens parlent des « grandes landes » situées au nord est, vers la Courrocerie, de la « lande lévesque » qui entre dans le Régaire épiscopal en 1544 après un achat à « noble homme François Jullien […] sieur de Bellair », de la gaignerie des landes, du chemin des landes, etc.
Deux noms liés à des pratiques agricoles sur les landes se repèrent dans les textes du 17e siècle et sont maintenus lors de la réalisation du cadastre napoléonien : l’écobu et le brûlis. L’écobuage est une pratique agricole ancestrale et une technique de préparation d'un espace avant sa mise en culture. Il est généralement pratiqué sur des landes, des maquis ou des garrigues. Il impose de retourner des mottes de terre et de végétation, de les laisser sécher puis de brûler par un feu couvert la croûte superficielle du sol, racines comprises, enfin d’épandre les cendres pour apporter des éléments nutritifs et fertiliser des sols pauvres. Le brûlis est également une technique de brûlage mais il ne soumet au feu que les parties aériennes de la végétation. Arthur Young lors de son voyage en Bretagne en 1787 remarquait que l’écobuage était caractéristique de l’agriculture en Bretagne.
Ces toponymes qui témoignent de la mise en culture des landes ou des tourbières qui préexistaient sont proches du lieu-dit « le pâtis ». Ce terme désigne une lande dans laquelle les bêtes sont mises en pacage, c’est-à-dire un terrain destiné à faire paître le bétail.
La lande était sans doute un élément fort du paysage doulonnais avant sa mise en labour.
Enfin, à l’ouest du territoire étudié, les toponymes de « Les Roches », « Les petites Roches », « Les Petites Pierres » rappellent que le rocher qui suit la Loire et donne son relief accusé à Nantes est proche. Ces terres sans doute moins favorables pour le labour semblent n’avoir été mises en culture qu’au moment du développement rapide du maraîchage.
Les toponymes qui survivent pour partie dans la dénomination actuelle autorisent à formuler des suppositions sur les caractéristiques géographiques de Doulon au début du Moyen Âge et leur évolution à l’époque moderne. Ils permettent de proposer un panorama originel de landes et de prairies inondables arrêtées à l’est et au nord par des massifs forestiers dans lesquels des zones de labours vont être ouvertes sans doute dès le début du Moyen Âge par des défrichements, de l’écobuage ou du brûlis.
Julie Aycard
Dans le cadre de l’inventaire du patrimoine du quartier de Doulon
2021
En savoir plus
Bibliographie
Association Doulon-Histoire, Les maraîchers du pays nantais, du jardinage au maraîchage, 2009
Maheux Hubert, « Champs ouverts, habitudes communautaires et villages en alignements dans le nord de la Loire-Atlantique : des micro-sociétés fossilisées dans l’Ouest bocager », In Situ [En ligne], 2004 [Consulté le 20 octobre 2021], article en ligne disponible ici
Le Bœuf François, « Les enjeux d’une approche chronologique de la maison paysanne dans les Pays de la Loire », In Situ [En ligne], 2008, [Consulté le 20 octobre 2021], article en ligne disponible ici
Pages liées
Dossier : Inventaire du patrimoine de Doulon
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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