Nantes la bien chantée : Le cadet de noblesse
Le motif des filles-soldats est l’un des plus romanesques de la chanson traditionnelle qui, en s’appuyant sur ce thème, revêt à la fois les atours du récit aventureux et de l’histoire d’amour, avec ce qu’il faut de pathos et de rebondissements pour s’assurer les bienfaits immatériels d’un succès populaire.
Nantes, dans le texte
C’est au troisième couplet de la version présentée ici que Nantes est mentionnée, mais ce troisième couplet a été emprunté à la version publiée par Barbillat et Touraine - recueillie auprès de Mme Labesse-Berthon, à Châteauroux – et ajoutée à celle recueillie par Gustave Clétiez – recueillie en pays Guérandais - et publiée par Fernand Guériff, laquelle ne localise l’action à aucun moment du récit.
Localiser à Nantes la scène d’adieu n’a bien-sûr rien de farfelu mais la création populaire ou l’auteur initial – si tant est qu’il y en eût un – aurait tout aussi bien pu choisir une autre ville, une ville de garnison par exemple – dont le nom se termine par une assonance féminine. Il apparait en effet que le premier vers de chaque tercet se termine ainsi.
En ajoutant ce couplet à la version Clétiez-Guériff, plutôt qu’en procédant à une substitution, nous avons fait le choix d’accentuer le caractère dramatique de la scène de départ, dans laquelle on exprime la double crainte de perde son honneur – pour le personnage féminin – et de perdre la vie – pour les deux protagonistes.
Une aventure épique
Le récit reprend nombre de motifs habituels qui définissent les genres « départ de soldats » et « filles-soldats ».
Ainsi que le veut un usage davantage voulu par la tradition populaire que par une codification consciente, l’histoire débute au moment du départ et plus précisément par ce qui se présente comme la scène de séparation entre le jeune soldat qui part en guerre et sa bien-aimée qu’il doit donc laissée au pays. Ce type de scène se retrouve dans un très grand nombre de chansons « de départ », qu’il s’agisse de soldats ou de marins. Ce qui, au passage, me fait souvent dire que les histoires de soldats sont avant tout, dans la plupart des cas, des histoires d’amour ! Au reste, la scène de séparation n’en est pas une puisque la belle accepte de suivre son amant à la guerre et, pour ce faire, prend l’habit de soldat afin de ne pas se faire reconnaitre en tant que femme.
Ce qui surprend le plus, à mon sens, dans cette scène très stéréotypée, c’est que la belle prend l’habit de soldat à la demande de son chéri, lequel se montre tacitement insistant puisque la première réaction de l’héroïne est de refuser en arguant légitimement des dangers encourus. En général, lorsque ce motif est employé, la belle se travestit sans en informer son amant soldat, afin de pouvoir rester à ses côtés.
Plus surprenants encore sont les événements suivants, au cours desquels on constate que l’héroïne s’est prise au jeu et est devenue soldat à part entière, s’illustrant au combat et adoptant les mœurs et pratiques de ses congénères, embrassant les femmes « à mon plaisir ». Et la question se pose alors : s’est-elle réellement prise au jeu ou surjoue-t-elle son rôle pour mieux protéger son secret ?
Le fait est que le stratagème ne prend pas auprès d’une hôtesse qui, on le comprend à demi-mots, est habituée à la fréquentation des soldats et sait donc reconnaître un soudard d’une amoureuse héroïque, mais la fille-soldat ne veut pas en démordre et défend son identité d’emprunt, tenant des propos qui pourraient être tenus tels quels par son amant. Il faut bien reconnaître qu’elle a eu tout le temps d’étudier le langage et les mœurs des hommes de la troupe.
Le motif du travestissement
Le travestissement est un motif que l’on retrouve dans beaucoup de chansons traditionnelles. Les intentions des personnages, masculins ou féminins, peuvent varier d’une chanson-type à l’autre mais le plus souvent, le sentiment amoureux prédomine et motive les démarches les plus audacieuses. A ce stade de mon propos, quelques exemples s’imposent car les galants ne manquent pas d’imagination en la matière.
L’un des plus habile est Le jardinier du couvent qui, afin d’approcher sa belle enfermée au couvent pour, précisément, être soustraite aux soupirs et aspirations de son amoureux, se fait passer pour jardinier. Il est accueilli pour travailler au jardin du couvent puis parvient à ourdir un complot avec sa belle afin de pouvoir s’échapper. Leur stratagème réussit et les deux amants s’enfuient vers des horizons lointains et bienveillants.
Parfois, l’héroïne est la victime du stratagème, comme dans Le frère qui met sa sœur à l’épreuve, chanson dans laquelle le frère teste la vertu de sa sœur en se faisant passer pour un chevalier qui tente de la séduire – il y parvient, d’ailleurs… Autre épreuve, celle imposée par le galant qui, afin de connaître les sentiments véritables de sa belle, prend l’habit d’un curé afin d’entendre sa promise en confession. Laquelle se montre très habile pour ne dévoiler que la partie avouable de sa conduite.
Plus grivois, une chanson recueillie à de très nombreuses reprises relate la démarche d’un galant qui, sur le conseil de son père ou de sa mère, s’habille en fille avant d’aller demander à loger chez sa belle. Les parents l’accueillent et l’invitent à partager la couche de leur fille. S’ensuit exactement ce que chacun peut imaginer…
La fille habillée en page, est une très belle histoire d’une amoureuse qui, profitant d’une visite à son galant emprisonné, l’exhorte à échanger leurs vêtements. Ainsi, l’amant captif peut-il sortir de la prison dans les habits de sa belle, laquelle n’a plus qu’à se faire reconnaître pour être à son tour libérée.
Mais les filles déguisées prennent tout de même le plus souvent l’habit de soldats, au point que Patrice Coirault en a fait judicieusement une catégorie à part entière.
Des personnages romanesques : les filles-soldats
Cette catégorie, la 67e dans le catalogue de Patrice Coirault, est entièrement construite sur ce très beau motif. Ce sont avant tout des récits amoureux mais cela n‘exclut pas, comme c’est le cas ici, une attitude héroïque.
La plus brave de ces belles travesties est peut-être celle que l’on trouve parfois sous le prénom d’Angélique – carrément ! – qui, ayant pris l’habit de soldat s’illustre au combat au point de subir une blessure au bras. Elle se fait alors reconnaître en dévoilant une partie de son anatomie qui ne laisse planer aucun doute quant à son genre véritable. Son attitude héroïque mais aussi la pureté et la force de ses sentiments amènent les autorités à libérer les deux jeunes gens afin qu’ils puissent aller vivre leur amour loin de la fureur des batailles et des regards envieux des hauts-gradés. Dans certains cas, plus rares, la belle prend l’habit de soldat à l’insu de son galant et ce afin de rester auprès de lui, certes, mais aussi pour le protéger, à la fois des combats et des tentations qui s’offrent aux soldats dans les moments de repos et dont la fidélité est souvent la première victime.
Dans La fille de Moncontour, le personnage se fait reconnaître au cœur des combats en intimant à son galant de mettre les armes à bas et de quitter l’uniforme pour l’épouser. Assez joué au petit soldat, le temps est venu de passer aux choses sérieuses !
Hugo Aribart
Dastum 44
2019
C’est un jeune cadet qui s’en va t’à la guerre
Qui va dire à sa maîtresse : veux-tu venir avec moi
Je te jure sur mon âme que tu n’auras d’amant que moi
De partir avec toi, mon cher cadet, je n’ose
De quitter ma chère mère, ça me met la mort au cœur
Toute fille qui va t’en guerre risque de perdre son honneur
Quand elle fut là-haut, là-haut sus l’pont de Nantes
Adieu père et adieu mère, adieu parents et amis
Toutes les filles qui vont en guerre ne sont pas sûres d’en revenir
L’honneur, ne perdras point, ma petite brunette
Je te donn’rai ma casaque, ma ceinture à trois boutons
Mon joli chapeau à plume, et tu seras comme un dragon
A ma première campagne, je s’rai pas trop hardie
A la seconde campagne, je s’rai beaucoup plus hardie
J’embrass’rai toutes les dames, les dames, les filles à mon plaisir
Quand ils furent rendus à la première auberge
L’hôtesse la voit, la regarde et d’un air tout souriant
Etes-vous fille de chambre ou bien bergère dans les champs
Bergère, je ne suis point, chère dame l’hôtesse
Je suis cadet de noblesse, enfant de bonne maison
J’ai quitté ma chère mère pour m’en aller au régiment
Si vous êtes cadet, enfant, comme vous dites
Vous aimez donc la bamboche et vous buvez le bon vin
Et, le pistolet en poche, les filles en votre dessein
Dans mon dessein, j’n’ai point ces gentes demoiselles
J’aimerais mieux, ma compagne, être au service du roi
Et non pas ces demoiselles, pour les emmener avec moi.
En savoir plus
Bibliographie
Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly (Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes)
La fille qui se dit cadet de noblesse (Belles à l’armée – N° 06705)
Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes
La fille soldat à l’hôtel (II, M-15)
Barbillat Emile et Touraine Louis-Laurian, Chansons populaires dans le Bas-Berry, 5 volumes, fac-similé, La Châtre, CMDTB, 1997, tome IV, page 51
Guériff Fernand, Le trésor des chansons populaires recueillies en pays de Guérande, volume 1, Le Pouliguen, Atelier Jean-Marie Pierre, 1983 (collecte de Gustave Clétiez)
Enregistrement
Hervé Dréan (chant) et Rachel Goodwin (piano), à Saint-Dolay (56), en août 2019, d’après un assemblage des versions Guériff et Barbillat
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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