Ligne des ponts : un espace aménagé (2/4)
Espace emblématique du rapport ancestral entre la Loire et la ville de Nantes, la « ligne des ponts » nantaise était un ensemble unique en France et en Europe érigé pour traverser 2 kilomètres de fleuve et permettre une liaison entre les différentes régions de la façade atlantique. Les métamorphoses radicales que le fleuve a subi au début du 20e siècle et les transformations dans le domaine des transports de denrées l’ont fait disparaître au profit d’une multitude de ponts pour les besoins des habitants.
Carte des îles de Nantes au 18e siècle
Date du document : 02/2021
Les faubourgs de la ligne des ponts
Du Moyen Age au 19e siècle, la ligne des ponts est constituée de six grands ponts serpentant d’île en île sur les deux kilomètres qui séparent la rive nord et de la rive sud de la Loire. Si la majorité des îles sont submersibles, quelques îlots rocheux émergent suffisamment pour permettre, au Moyen Age, l’installation de hameaux étagés sur leur flanc et traversés par des chaussées très fréquentées. Au bas des talus rocheux, les bancs de sable qui composent les îles offrent des grèves d’échouage pour les communautés îliennes.
Faubourg de la Saulsaie, de la Madeleine, de Petite, de Grande Biesse ou encore de Vertais, les hameaux des ponts situés en dehors des murailles de la ville sont, jusqu’à la Révolution, des faubourgs. Mais, au contraire de ces quartiers situés en dehors des murailles, leur situation géographique entre les deux rives leur permet d’être protégés par le fleuve et par une succession de portes plus ou moins fortifiées.
Plan de la ville de Nantes
Date du document : 1650
Des portes pour contrôler la traversée de la Loire
Au sud, la forteresse de Pirmil, construite en 1366 contrôle la traversée de la Loire vers Nantes de la guerre de Succession de Bretagne jusqu’en 1626. Le pont bâti à ses pieds est doté, du Moyen Age au 19e siècle, d’un pont-levis sur la rive sud et d’un tablier de bois pouvant être facilement détruit aux abords de Vertais.
A la suite, sur le premier îlot, le hameau de Vertais est pourvu d’une porte à deux battants surmontés par une chambre bâtie en pans de bois hourdis. Cette architecture simple, si elle présente peu de résistance face à une armée, offre la possibilité de clore le hameau la nuit venue et de contrôler les allers et venues grâce à une loge de garde. La même protection est installée sur les îlots de Grande et Petite Biesse avec les corps de garde de la barrière des Récollets et du pont de Toussaints, protégé par la porte Gellée.
Carte de la troisième tournée militaire de Mr le Marquis de Paulmy dans les provinces maritimes occidentales de la France : Normandie et Bretagne
Date du document : 1754
Le passage de la chaussée de la Madeleine, en plein cœur du fleuve, semble libre mais, au bout du pont de Belle-Croix, une porte protégée par une tour et un pont-levis sont installés en 1466 pour protéger l’entrée de la Saulsaie. Cette dernière île est séparée de la ville par le pont de la Poissonnerie dont les premières travées du tablier sont en bois pour pouvoir être détruites et dont la dernière travée est un pont-levis commandé par la porte de la Poissonnerie. Celle-ci est ainsi décrite en 1636 « sortant de la ville de Nantes, le long de la rue de la Mercerie et Poissonnerie tirant au midy et à la porte de Poissonnerie ou du Pont vous passer le pont-levis soustenu par une arcade d’admirable structure ayant en sa corde bien 40 pieds d’estendue et fort peu de largeur et d’époisseur. C’est l’une des choses que les étrangers admirent à Nantes ».
Plan de la ville de Nantes par Tassin
Date du document : 1634
Au 17e siècle, les fortifications lourdes, à l’exception de la porte de la Poissonnerie, disparaissent avec l’arasement du château de Pirmil et la destruction de la porte sud de la Saulzaie. En revanche, les petits postes ou corps de garde et les portes-barrières légers sont maintenus. Chaque faubourg peut donc surveiller les allées et venues des voyageurs et habitants et se refermer pendant la nuit.
Outre, ces postes de gardes, les hameaux successifs de ce faubourg fluvial sont également des lieux de perception des taxes. Habitants et voyageurs sont ainsi soumis jusqu’au 18e siècle – où ils sont abrogés – à différents droits de péage comme les droits des seigneurs, de la traite domaniale de Nantes, des coutumes de la Madeleine. Il semble y avoir eu trois lieux successifs de perception : la tour de Pirmil, l'entrée de Vertais et la chapelle de la Madeleine.
Des faubourgs parfois difficiles d’accès
L’une des particularités de ces faubourgs est d’être complètement ou partiellement séparés de la ville lorsque les ponts sont inutilisables. Les hameaux se trouvent alors isolés et pourraient être démunis des ressources que constitue le passage des marchands. Afin de ne pas détourner les flux de voyageurs pendant les décennies parfois nécessaires à la reconstruction d’un pont, des bacs affermés par la ville sont mis en place sur le trajet des ponts. Ainsi, en 1527, un bac, c’est-à-dire un grand bateau plat servant à passer des voyageurs, des marchandises et des animaux d’un bord à l’autre d’un cours d’eau, est mis en place « de la Magdelayne, tirant juc à l'entrée de Biecze, pour deux moys ». Le tarif appliqué est d’un denier par piéton pour un aller-retour en une journée, deux deniers pour « un homme ayant un cheval chargé seul », quatre deniers pour une douzaine de moutons, deux deniers par boeuf ou vache, un denier par pourceau. Seuls les « petitz enffens, pouvres mendicans ou mendians » ne doivent aucun paiement « pour y passer et rappasser ». En 1565, un bac est mis en place entre Vertais et Pirmil selon les mêmes conditions. Malgré tout, les bacs sont moins sûrs que les ponts et le passage subit les affres des conditions climatiques.
Vue illustrative de la ligne des ponts au 16e siècle
Date du document : 24-12-2020
L’installation d’établissements religieux
Cet espace de faubourg est également ponctué d’établissements religieux. Le premier à y être fondé, en 1362, est l’aumônerie de Toussaints que Charles de Blois fait édifier, au milieu de la Loire pour soigner les lépreux en les éloignant de la ville, mais également les voyageurs. L’établissement à l’obligation d’accueillir tous ceux qui s’y présentent et de les héberger pendant un jour. L’aumônerie sera reliée à l’hôpital en 1598.
En 1443 par Alain Resmond, bourgeois de Nantes, habitant l’île de la Saulsaie fonde une petite chapelle, confié aux recteurs de la paroisse Sainte-Croix, sur l’île de la Saulsaie pour que les habitants des îles puissent entendre la messe hebdomadaire sans devoir se rendre dans la ville.
Enfin, au début du 18e siècle, les Récollets, prédicateurs et volontiers missionnaires, s’installent « sur les ponts » puis fondent un monastère sur l’île de Grande Biesse, le long de la boire éponyme.
Arpentage des îles et ilots de la Loire, détail
Date du document : 1665
La disparition de l’ancienne ligne des ponts
A partir de la première moitié du 19e siècle, l’espace se modifie radicalement avec l’agrandissement et la réunion des îles suite aux travaux d’aménagements de la Loire. Les îles se rehaussent et s’urbanisent. Le remblaiement des terrains limitrophes va faire disparaître la chaussée sur arches de la Madeleine qui devient une « simple » rue entre deux ponts. En parallèle, une ligne de ponts secondaire est créée pour joindre la Bourse à la Prairie-au-Duc.
Au 20e siècle le comblement des bras nord de la Loire et des boires centrale va complètement modifier la ligne des ponts. Entre 1926 et 1940, le comblement des bras nord ensevelis les ponts de la Poissonnerie et de Belle-Croix. Puis, l’assèchement et le remblaiement de la boire de Toussaint en 1924 génère l’enfouissement du pont éponyme. Un phénomène répété pour la boire et le pont des Récollets en 1948 : seul un vestige du pont des Récollets est encore visible dans le square Vertais.
Tandis que la ligne originelle est réduite à deux ponts, celui de la Madeleine devenu pont du Général Audibert et celui de Pirmil, de nouveaux ponts sont créés isolément ou en ligne. Le premier est un pont transbordeur, ouvert en 1902, pour joindre la Fosse à la Prairie-au-Duc. Détruit en 1958, il est remplacé par le pont Anne de Bretagne en 1975.
Pont transbordeur de Nantes
Date du document : 1903-1958
Entre 1962 et 1966, une seconde ligne de pont est mise en œuvre pour accompagner l’urbanisation de l’île Beaulieu. Le pont Aristide Briand qui joint l’île de la Madeleine à l’île Beaulieu est relié par le boulevard du Général de Gaulle au pont Georges Clemenceau qui dessert la côte Saint-Sébastien.
L’urbanisation de l’actuelle Île de Nantes va engendrer de nouveaux besoins de locomotion. Pour y répondre, le pont Willy Brandt qui joint Malakoff à l’île Beaulieu et celui des Trois Continents qui joint la Prairie-au-Duc à Rezé sont construits en 1991 sans former une ligne. Puis, le pont Léopold Sédar Senghor est ouvert en 2010 pour joindre l’île Beaulieu à la ville de Saint-Sébastien, et le pont Eric Tabarly joint Malakoff à l’île Beaulieu à partir de 2011.
Les aménagements du 20e siècle ont donc transformé le paysage fluvial et fait disparaître la grande ligne de ponts originelle qui liait les deux rives au profit d’une multitude d’ouvrages qui créent des liens entre différents quartiers. Ces transformations illustrent un changement de mentalité : les ponts ne sont plus uniquement pensés pour la traversée des denrées entre le sud et le nord de la Loire mais pour l’utilité quotidienne qu’en ont les Nantais.
Suite Ligne des ponts : habiter les îles (3/4)
Julie Aycard, Julien Huon
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Rédaction d'article :
Julie Aycard, Julien Huon
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